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Discuter du religieux au prisme de la science: un écueil assuré!

C’est avec grande irritation que j’ai lu un texte d’opinion qui fustigeait le fait d’adhérer «sérieusement» à une religion en «traitant» cette pratique de «délire collectif».
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C'est avec une grande irritation et avec désolation que j'ai lu un récent texte d'opinion qui fustigeait (et le qualificatif n'est pas excessif) le fait d'adhérer «sérieusement» à une religion en «traitant» cette pratique de «délire collectif» (dixit l'auteur).

En raison de mes travaux doctoraux portant sur le phénomène religieux/spirituel, je ne peux m'empêcher de réagir - je m'en fais un devoir citoyen - en proposant quelques aspects critiques qui, je l'espère, auront l'habileté de calmer la démesure idéologique de ce qui a été écrit avec une fermeté véhémente.

L'homme qui croit

C'est peu dire que «croire» est une vertu anthropologique dont l'histoire porte des traces diverses depuis l'avènement d'Homo Sapiens Sapiens. Depuis toujours, l'Homme croit en quelque chose. Qu'il le dessine ou le chante, l'écrive ou le louange, il adhère à des croyances politiques, morales, spirituelles, etc.

Ainsi, certains croient en leur enfant, en une pédagogie éducative, au pouvoir de l'économie solidaire, à l'écologie, au Tao te King, au fait que la beauté fait du bien, que l'art guérit ou encore, qu'avoir la foi aide à traverser une épreuve... On ne croit pas tous de la même façon. L'intensité se présente ici comme le baromètre des singularités, si bien que certains croient un peu, beaucoup, énormément, à la folie... et d'autres, pas du tout! Et en matière de dévotion, certains vouent un culte à la science, en croyant qu'elle offre l'ultime clef pour accéder à la vérité.

Parlant de science, je suis frappée d'entendre des propos qui relatent le fait que «la religion», pratique moyenâgeuse s'il en est une (!), est dépassée du fait qu'elle est dénuée d'objectivité. J'aimerais ici rappeler que ce que l'on qualifie de «science» relève d'une construction théorique élaborée par les êtres humains, en vue d'expliquer, prédire ou mieux comprendre des phénomènes matériels, mathématiques ou humains qui ont cours dans le monde actuel ou passé.

Or, il va de soi que les sciences dites exactes ou expérimentales s'avèrent peu utiles pour étudier les phénomènes humains tels que la souffrance de l'exil, le deuil d'un enfant, la joie de l'été ou le culte des ancêtres. En ces lieux, le souci d'objectivité et de vérité ne règne plus et la «Science» cède sa place à la philosophie et aux sciences sociales.

Cette capacité de réfléchir ainsi aux choses de la vie a été rendue possible grâce à l'émergence de la conscience, dont Homo Sapiens s'est vu dotée au cours de l'évolution. Elle se comprend en tant que potentialité créatrice à l'origine de la diversité qui, du fait des variations anthropologiques qu'elle occasionne, impose le principe de la différence.

Ces variations concernent différents aspects de la vie tels les systèmes médicaux, matrimoniaux et économiques, les pratiques alimentaires et sexuelles, des conceptions de la mort, de la vie, des moralités et justement, des pratiques et institutions religieuses.

Distinguer l'institution religieuse des croyances et pratiques

Toutefois, il importe de distinguer l'institution religieuse des croyances et pratiques. D'aucuns l'avoueront: toute institution est traversée par le politique et le fait religieux n'y échappe pas! Pour cette raison, à côté de l'institution, se trouvent des personnes qui adhèrent à une mythologie ou à un livre sacré parce que ces sources offrent des réponses à propos de mystères de la vie... que la science ne peut (prétendre) résoudre!

Pourquoi critiquer de manière aussi véhémente des personnes qui s'affilient à un système de valeurs ou à une histoire sacrée? Parce qu'elles croient en un Dieu? Au nom de quoi prétendre que la science offre toutes les réponses et se permettre de dénigrer dès lors ceux qui entretiennent un dialogue avec une réalité immatérielle? Ou encore, qui cultivent leur vie intérieure, même si cette «culture» prend l'allure de pratiques alimentaires, vestimentaires et rituelles? Au nom d'une science prétendant faire preuve de vérité absolue? En vue de défendre l'athéisme?

Quand on sait à quel point la science est elle-même un produit traversé par des intérêts politico-économiques, imposer ce régime de pensée «occidentalocentrée» ne revient-il pas à une forme de renouveau colonialiste, voire néolibérale? Sans compter que cette discrimination contrecarre les principes de la démocratie.

Les anthropologues et sociologues ne cessent de documenter le «réenchantement du monde», notamment en montrant que le foot, le sport extrême, les diètes ou l'usage de drogues ont en quelque sorte remplacé l'effet du religieux! L'institution religieuse a initialement comme mandat de transmettre des savoir-faire et savoir-être, d'être un foyer nourricier. Lorsqu'une croyance religieuse ne se présente pas comme un instrument du pouvoir, peu importe son intensité, elle veut être une ressource offrant notamment des réponses aux mystères de l'existence ou lui donnant un sens.

Essentiellement vécue dans l'intimité, la croyance peut permettre de trouver l'espérance et d'apaiser des souffrances. Aussi, toute pratique religieuse ne conduit pas nécessairement à l'intégrisme ou à la discrimination féminine. Ce mode de pensée est hautement réducteur. D'aucuns diront d'ailleurs que bien des femmes peuvent être victimes de violence conjugale sans que le religieux soit ici de mise.

Enfin, rappelons que les pratiques religieuses sont des phénomènes sociaux qui se transforment comme toute chose, au gré du temps. Aussi, le fait religieux d'aujourd'hui n'est plus celui du Moyen-Âge ou d'avant la Révolution tranquille... si bien qu'il importe que ceux qui ont vécu de mauvaises expériences n'attribuent pas à cet écho d'enfance, une valeur absolue.

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