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Oui, ma fille a les cheveux courts. Non, ce n’est pas un garçon. Laissez-la tranquille.

Je veux que mes enfants sachent que notre monde a des attentes basées sur le genre qui sont biaisées, cruelles et systémiques.
La fille d'Alyssa Walker
Courtoisie/Alyssa Walker
La fille d'Alyssa Walker

«Est-ce que c’est un garçon?» «Est-ce que c’est une fille?» «Qu’est-ce que c’est?»

Ça, c’est ma fille. Elle entend vos questions et sent vos regards. Elle n’est pas ça. C’est une humaine de 5 ans. Elle aime jouer à l’extérieur, dessiner des autoportraits, être une sirène, faire du vélo avec son frère, cuire des biscuits les jours de pluie et bien d’autres choses que les enfants aiment faire.

Parfois, elle porte des robes. Parfois, des chandails. Parfois, elle se déguise en astronaute, en cochon ou en beigne. Parfois, un mélange des trois. Et elle a les cheveux courts.

Cette dernière caractéristique ne devrait pas être ce qui attire l’attention. Ce serait autre chose si ses cheveux étaient hérissés ou de couleur néon, ou si elle avait des mots ou des formes rasés sur sa tête. Là, je pourrais peut-être comprendre pourquoi les gens la regarderaient fixement.

Par contre, ce n’est pas le cas.

Des gens nous arrêtent à l’improviste à l’épicerie pendant que ma fille chante sa chanson préférée pour dire: «Votre fils? Il chante?»

Ma fille me dit avec ses yeux: «Vas-y et dis-leur, maman.» C’est ce que je fais.

- «C’est ma fille et elle chante du ―», je commence.

- «Il ... je veux dire elle -?»

- Elle chante, imbécile.

Et on repart.

Elle chante du jazz dans l’allée des cornichons. Et des inconnus stupéfaits se demandent tout haut si je laisse mon fils se déguiser en fille ou ma fille se déguiser en garçon ou ... je les laisse se questionner.

Vous vous demandez aussi, je parie. C’est bien, mais pas vraiment.

Mon enfant est une fille - quelle que soit la définition de ce terme. Elle est assez catégorique quand elle dit: «Je suis une fille aux cheveux courts, maman. Quel est le problème de tout le monde?» Et si elle en venait à penser autrement et à vouloir autre chose, qu’est-ce que ça changerait? Elle est elle-même et je suis sa mère et j’aime mes enfants et c’est tout. C’est comme ça pour moi, en tout cas.

Je sais contre quoi elle se bat. Elle apprend qu’elle est confrontée à quelque chose et son frère le sait aussi. Ils ne savent pas exactement ce que c’est.

Les enfants d'Alyssa Walker
Courtoisie/Alyssa Walker
Les enfants d'Alyssa Walker

L’épicerie n’est pas un cas isolé.

Sur le terrain de soccer:

Un parent: «Il a fait un but! Attends, ce petit garçon a un nom de fille! Oh. Oh. Attends. Je pense que c’est une...?

Moi: «Oui, elle aime le soccer! Comme son frère.»

Au salon de coiffure:

Barbier (mon fils est sur la chaise): «Est-ce que je dois couper les cheveux de l’autre garçon ensuite?»

Moi: «Oui, s’il vous plaît, ma fille aimerait une coupe. Ce serait génial.»

Barbier: «Oh. … Nous, euh, nous ne coupons pas, euh… les cheveux des filles.»

Je paie, on sort.

Ma fille: (mains sur les hanches) «Maman, cet homme m’a discriminée parce que je suis une fille.»

Mon fils: (le visage plissé) «Maman, j’aimerais pouvoir redonner ma coupe de cheveux.

Oui, elle a vraiment dit discriminée.

À la piscine:

Étranger: «Pourquoi ce petit garçon est en bikini? Ou est-ce une…? Oh. Attends, il y en a un autre. Eh bien, lui, il porte un maillot normal...»

Moi: «Oui, mes enfants aiment nager.»

Un peu n’importe quand:

Étranger: «Oh! Quels beaux garçons tu as?!»

Ma fille: «Dis-leur, maman. Dis-leur!”

Ce qui me dérange, qui me tient éveillée la nuit, c’est que ce n’est pas normal.

C’est naturel d’être curieux de choses qu’on ne comprend pas. Ça, je le saisis bien. Si vous avez une question ou si vous êtes confus ou si vous devez simplement savoir, vous pouvez poser une question polie. J’ai trouvé cette stratégie efficace quand je suis la personne ignorante dans une situation.

Si vous ne pouvez pas ou ne savez pas comment poser une question polie, ne posez rien et ne dites rien. N’en faites pas une fixation. Rentrez chez vous et lisez. Ou demandez à Google. Si vous ne savez pas si votre question ou votre commentaire est qualifié de poli, ce n’est probablement pas le cas. Pourquoi ne pouvons-nous pas laisser les gens vivre?

Voici pourquoi: la préoccupation de notre culture en matière de genre n’est pas saine. Ce n’est pas un hasard si notre patriarcat fonctionne sur le principe d’un système binaire à deux sexes. Un ou l’autre. Les garçons peuvent faire ça. Les filles peuvent faire ça. J’ai compris.

Mais ça nous retient - nous tous ici, ensemble sur ce rocher en feu - en arrière. Nous oublions que nous sommes tous des gens issus du même monde.

Si seulement.

Quand j’étais enceinte, les gens m’arrêtaient, généralement à l’épicerie (peut-être que je devrais tout simplement cesser d’aller à l’épicerie?) et me demandaient ce que j’allais avoir. Juste ça, ça ne marchait pas.

«Je vais avoir… un bébé», c’est ce que je répondais. Je savais que j’étais une merde de dire ça et je me sentais un peu mal parce que c’était généralement une gentille dame qui aimait les bébés et qui voulait juste savoir, mais la question m’énervait parce que ce n’était l’affaire de personne. Rien de tout ça.

«Eh bien», me disait-elle en me tapotant le ventre, ce qui me rendait folle de rage, «de quel genre?»

Je disais «un wombat» ou «un chiot» ou mon préféré, «un requin» ou bien un vampire, peu importe.

Et puis elle disait: «Non, vraiment», et je répondais: «Non, vraiment, un bébé. Je ne connais pas le sexe. Je ne le sais pas». Puis je me suis éloignée, me demandant en quoi le fait de connaître le sexe d’un bébé fait pleurer les gens et pourquoi il est toujours convenable de marcher vers un étranger qui vit sa vie et fait ses affaires en lui posant des questions sur son corps.

Ça ne se fait pas.

Je veux que mes enfants sachent que notre monde a des attentes basées sur le genre qui sont biaisées, cruelles et systémiques. Que ce système - la culture, la politique, tout ça - est cassé et que s’ils doivent en faire partie - ce qu’ils font parce qu’il n’y a pas d’alternative dans l’univers (du moins, pas pour le moment) - alors ils doivent être sages et utiliser leur pouvoir pour se défendre et défendre les autres. C’est un défi de taille, je sais.

Je veux qu’ils sachent que tant de gens pensent que les filles sont «moins» parce qu’elles grandiront pour devenir des femmes et que les mères sont moins que ça, réduites au silence dans un coin que même Gregor Samsa trouverait insupportable. Je veux qu’ils sachent que les garçons ont généralement plus de facilité dans le monde. Et que toute cette façon de penser n’est pas grandiose.

Et en même temps, je veux qu’ils soient des enfants, parce qu’ils le sont. Je veux les protéger de l’ignorance et des choses horribles, mais aussi qu’ils sachent ce qu’est le monde - et ce qu’il n’est pas - juste un peu. C’est difficile. Je fais de mon mieux.

Ma fille n’avait pas en tête que ses cheveux courts soient une déclaration politique ou une manière de défier les attentes de genre. Elle voulait des cheveux courts parce qu’elle pensait qu’elle se sentirait mieux. Ça a été le cas. Elle dit qu’elle court plus vite. Juste ça, c’est suffisant.

Même si elle rêve de jouer un jour dans une comédie musicale à Broadway au sujet d’une révolution, elle n’a jamais eu l’intention de faire partie d’une révolution dans la vraie vie. Maintenant, elle commence à comprendre qu’elle en fait partie.

Ce texte, initialement publié sur le site du HuffPost États-Unis, a été traduit de l’anglais.

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