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Elle lutte contre le racisme derrière son écran

Mais Nidia Guerrier en a beaucoup à dire contre ceux qui «pensent qu’ils méritent un biscuit ou qu’on leur est redevable parce qu’ils partagent un post antiraciste».
Nidia Guerrier utilise les réseaux sociaux pour mettre en lumière certaines injustices vécues par les personnes racisées, mais elle ne prétend pas avoir la solution au problème.
Courtoisie de Nidia Guerrier
Nidia Guerrier utilise les réseaux sociaux pour mettre en lumière certaines injustices vécues par les personnes racisées, mais elle ne prétend pas avoir la solution au problème.

Admirés par certains, conspués par d’autres. Les activistes qui se consacrent à une cause sont-ils des héros incompris ou des casseurs insolents? Dans la série «À qui la rue? - Portraits d’activistes», le HuffPost Québec va à leur rencontre pour discuter de leurs motivations et de leurs combats.

Même si Nidia Guerrier ne peut «même pas compter les heures» qu’elle passe à dénoncer le racisme chaque semaine, elle ne se décrit pas comme une activiste. Comme l’essentiel de son implication a lieu sur les réseaux sociaux et en son nom personnel plutôt qu’au sein d’une organisation, la Montréalaise d’origine haïtienne ne correspond pas à l’image traditionnelle de la militante qui descend dans la rue pour réclamer du changement.

Fille d’une infirmière, Nidia ne se sentait pas à l’aise de participer aux manifestations qui ont eu lieu le printemps dernier à Montréal dans la foulée de la mort de George Floyd, à cause des risques associés à la COVID-19. Mais elle a voulu contribuer au mouvement anti-raciste qui enflait à travers la province. C’est de cette volonté qu’est né Liberation of Black Folks of Montreal (LBFMTL), un petit «collectif de personnes noires militant pour la révolution» qui a notamment créé des trousses d’information virtuelles pour aider les manifestants à assurer leur sécurité pendant les manifestations.

«Je me suis dit que si je ne pouvais pas être présente aux manifestations, je pouvais au moins donner des conseils aux personnes qui sont sur place», explique la jeune femme de 20 ans, qui étudie désormais à l’Université McGill pour «peut-être» devenir travailleuse sociale. Elle croit fermement que les moyens de contribuer à la lutte antiraciste et au mouvement pour la justice sociale sont multiples.

À cause de la pandémie, Nidia Guerrier n'est plus à l'aise de participer à des manifestations comme celle du 27 septembre 2019, qui a rassemblé près d'un demi-million de personnes contre les changements climatiques. Une crise qui touche les personnes racisées de façon disproportionnée, souligne-t-elle.
Courtoisie de Nidia Guerrier
À cause de la pandémie, Nidia Guerrier n'est plus à l'aise de participer à des manifestations comme celle du 27 septembre 2019, qui a rassemblé près d'un demi-million de personnes contre les changements climatiques. Une crise qui touche les personnes racisées de façon disproportionnée, souligne-t-elle.

«J’ai des amis qui ont par exemple des limitations physiques et qui me disent qu’ils se sentent mal parce qu’ils ne peuvent pas se déplacer aux manifestations», raconte-t-elle. «Non! Tu peux soutenir la cause sans être à la manifestation, il ne faut pas culpabiliser.» En cette année de pandémie, le militantisme en ligne est d’ailleurs la réalité de plusieurs militants: même la grève scolaire pour le climat de Greta Thunberg est devenue essentiellement virtuelle.

C’est donc après s’être impliquée de façon plus traditionnelle en fondant par exemple le comité anti-racisme du Cégep de Maisonneuve et en participant à diverses manifestations que Nidia a choisi de transporter son indignation derrière son écran.

Elle ne le regrette pas. Pour elle, les réseaux sociaux sont un outil efficace pour faire une partie du travail d’éducation populaire nécessaire pour sensibiliser les personnes blanches à la réalité du racisme au Québec. Et pas seulement en parlant de la brutalité policière, un problème sur lequel se concentre un peu trop exclusivement le mouvement Black Lives Matter à son avis.

“Quand t’as François Legault qui dit qu'il n'y a pas de racisme systémique, c'est comme un coup de poing dans le coeur.”

- Nidia Guerrier

Son «projet de confinement» a été de créer une chaîne YouTube où elle aborde des thèmes comme le racisme et la culture du viol (aux côtés de sujets plus légers comme le dating). Son but? «Faire comprendre aux gens qu’être antiraciste, c’est une action quotidienne.»

Elle admet que le ton de ses publications est souvent acerbe et ne nie pas son amertume devant la lenteur à laquelle les choses changent au Québec.

«Quand t’as François Legault qui dit qu’il n’y a pas de racisme systémique, c’est comme un coup de poing dans le coeur, offre-t-elle comme exemple. C’est comme dire aux minorités, c’est pas vrai que tu souffres, c’est dans ta tête.»

Ses coups de gueule — ses rants, comme elle les appelle — visent donc à démarrer une conversation, à mettre en lumière certaines injustices vécues par les personnes noires que la majorité blanche ne remarque pas nécessairement. Elle y vulgarise certains concepts comme l’intersectionnalité et les systèmes d’oppression, mais elle ne veut surtout pas que les gens lui demandent quelle est la solution au racisme systémique. «Est-ce que je suis Google?» demande-t-elle dans une de ses vidéos.

Le piège de la facilité

«Un des problèmes avec Internet, c’est qu’étant donné que les gens sont habitués d’avoir accès au travail des personnes racisées, surtout des personnes noires, certains vont se dire “j’ai pas besoin d’acheter des livres, Nidia va faire un résumé pour moi”» déplore-t-elle en entrevue. «Je ne veux vraiment pas que les gens tombent dans cette optique-là. Moi j’ai lu les livres, j’ai fait le travail. Je comprends pas pourquoi t’es pas capable de le faire aussi!»

“Tu ne peux pas juste poster ton carré noir un mardi et hop, c’est bon pour la semaine. Non, non, non! Ça ne finit pas là. Il y a tellement de choses à faire.”

- Nidia Guerrier

Elle dénonce le fait que trop de personnes blanches se contentent de faire de «l’activisme de performance»: des belles déclarations, souvent sur les réseaux sociaux, qui ne sont pas accompagnées de gestes concrets. Comme le genou à terre de Justin Trudeau, cet été, illustre-t-elle.

«Tu ne peux pas juste poster ton carré noir un mardi et hop, c’est bon pour la semaine. Non, non, non! Ça ne finit pas là. Il y a tellement de choses à faire. Tellement de ressources disponibles, de documentaires à écouter...»

Elle en a beaucoup à dire contre les Blancs qui «pensent qu’ils méritent un biscuit ou qu’on leur est redevable parce qu’ils partagent un post antiraciste». Elle veut que les gens réalisent que de militer contre le racisme, c’est bâtir un monde meilleur pour tout le monde, pas «rendre service» à la communauté noire.

Quand on lui demande de quoi sera fait son quotidien après la pandémie, Nidia admet qu’elle ne sait pas. Sans renier les manifestations, elle est d’avis qu’elles ne suffisent pas à faire bouger les choses.

«Il faut pousser et avoir accès aux espaces décisionnels», croit-elle. «Le problème c’est que ces espaces-là ne sont pas souvent ouverts aux minorités.»

Ce qui ne l’empêchera pas pour autant de continuer à frapper à la porte.

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