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«SLĀV» est tombé dans le bac de récupération

Je m'intéresse ici à l'une des formes que n'a pas tardé à prendre l'après-«SLĀV», la récupération de certains dans le but manifeste de marquer des points contre leurs opposants.
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Paméla Lajeunesse

Non, ceci n'est pas un autre texte d'opinion au sujet du retrait du spectacle SLĀV, du dramaturge Robert Lepage, de la programmation du Festival de jazz de Montréal le 5 juillet 2018. Il y en a déjà eu plusieurs et il y en aura sûrement d'autres encore, chose fort souhaitable d'ailleurs, en raison des enjeux en présence.

En date du 10 juillet 2018, cinq jours à peine après l'évènement, cinq chroniques avaient été publiées dans Le Devoir, huit dans La Presse, et vingt-deux dans le Journal de Montréal. Parmi les «bons» textes - c'est une question de goût bien sûr - je signale l'éditorial de Paul Journet intitulé «SLĀV», cher Québec...», publié le 7 juillet 2018 dans La Presse. Par son ton mesuré et la finesse de son analyse, celui-ci se démarque des prises de position fort souvent enflammées qui ont suivi l'évènement susmentionné.

L'après-SLĀV: de la récupération

Je m'intéresse plutôt à l'une des formes que n'a pas tardé à prendre l'après-SLĀV, en l'occurrence la récupération de certains dans le but manifeste de marquer des points contre leurs opposants.

Par exemple, dans une chronique au titre évocateur Les nouveaux fascistes publiée dans le Journal de Montréal deux jours après l'annulation de ce spectacle, le chroniqueur Joseph Facal apostrophe et dénonce les manifestants qui voyaient dans SLĀV un exemple d'appropriation culturelle aux dépens des Noirs. Les comparant aux fascistes de l'Allemagne nazie, il les accuse de se livrer à un racisme anti-Blancs. Or, ce n'est pas la première fois que Facal lance une telle accusation lorsque les médias rapportent des situations où l'on s'insurge, par exemple, contre les privilèges dont les Blancs bénéficient (voir ce texte du Journal de Montréal).

De manière analogue, sa collègue Lise Ravary affirme que «ce qui alimente l'indignation suscitée par l'annulation du spectacle SLĀV, c'est l'accusation à peine voilée de racisme qui est lancée au visage des Québécois, une fois encore». Ici encore, on a affaire à une protestation qui n'est pas nouvelle dans les chroniques de Ravary. Enfin, dans SLĀV: les ombres chinoises, Richard Martineau saisit l'occasion offerte par la controverse autour de l'annulation du spectacle pour dénoncer ceux qu'il appelle «les zélés de la rectitude politique», un thème fréquent dans ses chroniques des derniers mois.

Qui n'a pas eu l'expérience désagréable de conversations avec des vis-à-vis qui, dès que l'occasion se présente, ont la fâcheuse habitude de ramener la conversation vers eux-mêmes?

Mon propos ne porte pas sur les idées qu'avancent Facal, Ravary, Martineau et bien d'autres encore dans les médias sociaux, notamment, en marge de l'annulation de SLĀV. Ce qui me semble dommage est plutôt la récupération qu'ils en font pour avancer certaines parmi leurs thèses de prédilection sur des sujets qui, dans le meilleur des cas, sont connexes à ce dont il est question dans cet évènement.

Qui n'a pas eu l'expérience désagréable de conversations avec des vis-à-vis qui, dès que l'occasion se présente, ont la fâcheuse habitude de ramener la conversation vers eux-mêmes? C'est l'impression que me laissent certaines chroniques post-SLĀV, dont celles dont il a été question ci-dessus. Mais plus regrettable encore est l'une des conséquences de telles récupérations.

On déplace le débat, on dévie, on s'éloigne et on oublie les enjeux qui importent pour les personnes, pour les groupes et, au final, pour la société que cet évènement concerne, affecte et interpelle.

La représentation des artistes non blancs dans la version actuelle de SLĀV et, plus largement, la place des nouveaux arrivants dans la société québécoise méritent de toute évidence réflexion. On peut ne pas aimer la façon dont la chose a été rappelée (les manifestations en marge des quelques représentations du spectacle).

Doit-on éviter d'en parler pour autant? Hélas, il en est bien peu question dans les chroniques des Facal, Ravary et Martineau. La liberté artistique et la censure ne devraient-elles pas faire, elles aussi, l'objet de discussions en elles-mêmes, plutôt que de faire office de figurants et de prétextes pour taper de nouveau sur les clous habituels?

Plutôt que de s'investir dans des échanges sur ces enjeux et de les nourrir, on s'en éloigne et, en dernière analyse, on s'en isole pour se cantonner dans un discours défensif centré sur des intérêts stratégiques aux yeux des chroniqueurs en question. Au diable le dialogue, a-t-on l'impression en lisant ces textes. Ce qui compte, c'est «nous», les Québécois de souche, pour l'une. Ce qui doit primer, c'est «nous les Blancs», pour l'autre. Au lieu de parler avec «les autres», comme le requiert la situation dont il est question ici, on leur tourne le dos pour, encore une fois, se défendre contre certains ou en attaquer d'autres, lorsqu'on n'envoie pas le message que l'on n'en a que pour les Québécois blancs. Comme d'habitude.

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