Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Québec, qui a fermé ses portes en 2021.
Le Canada est un pays dont le Québécois ne fera jamais partie qu’en tant que Canadien.
This post was published on the now-closed HuffPost Contributor platform. Contributors control their own work and posted freely to our site. If you need to flag this entry as abusive, send us an email.
C’est dans sa tenue de représentant du peuple que le député Gabriel Nadeau-Dubois a osé, il y trois semaines, profaner le Serment d'allégeance au roi ou à la reine du Canada.
Elenarts
C’est dans sa tenue de représentant du peuple que le député Gabriel Nadeau-Dubois a osé, il y trois semaines, profaner le Serment d'allégeance au roi ou à la reine du Canada.

Son regard franc et batailleur est un défi lancé à ceux qui s'agrippent de toute la force de leurs mains sales à la lourde roue de l'histoire. Dans la salle tendue de rouge, il parle dans les mots du grand-père au regard bleu, qui monte la garde aux pieds du trône. Un trône pourtant vide, mais devant lequel on s'incline à chacune de nos plates journées canadiennes.

Thésée

C'est dans sa tenue de représentant du peuple que le député Gabriel Nadeau-Dubois a osé, il y trois semaines, profaner le Serment d'allégeance au roi ou à la reine du Canada, le pacte qui nous inféode symboliquement au monarque de ce grand pays anglais en qualité de ses serviteurs. S'est-il compromis dans un crime de lèse-majesté ? Sa Glorieuse Altesse Elizabeth va-t-elle astreindre l'insubordonné vassal aux fers de la Tour de Londres ? Allons, effacez donc ce sourire niais de votre visage. Car le vœu de loyauté auquel s'est livré bien malgré lui notre jeune mutin n'a rien d'une calembredaine, puisque dans les faits, le monarque dont vous et moi sommes les zélés sujets n'en est pas un de nickel, ni même de carnaval : il passe volontiers du sarrau au complet-cravate, on le surprend derrière l'oriflamme du changement social comme derrière la visière du bras armé de l'ordre, Carême-prenant. La couleur de sa veste lui importe peu, et il a bien raison. Il appartient à toutes les classes sociales et à toutes les races, mais même dans son humble indigence il traîne son regard souverain sur le vaste monde et l'appelle par son nom, dans sa langue, la langue de la réussite financière, la nouvelle langue internationale de la poutine, la langue la plus noble, quoi : l'anglais La voilà, la véritable reine de tous les Canada (français, innu, wendat, Halleluya). Voilà celle à qui nous prêtons allégeance par la bouche de chaque député provincial. Une offrande symbolique pour apaiser un Minotaure symbolique.

Canadian Motherland

Sa Majesté l'anglais, donc. Ce n'est sans doute pas par hasard que Tolkien dota l'univers du Seigneur des Anneaux du nom évocateur de Middle-earth. À une époque où l'Amérique se gargarise d'avoir chassé toutes les aristocraties de son Mundus Novus, le chef du gouvernement québécois est toujours le premier ministre, et le Canada post-national de monsieur Trudeau se fait toujours attendre, piétinant dans l'antichambre de la monarchie constitutionnelle. Qu'est-ce à dire ? Pourquoi ne vivons-nous pas sous une République ? Parce que le principe sacré ou l'idée originelle sous laquelle le Canada de la Conquête anglaise s'est édifié est la loyauté que ses premiers habitants ont témoignée envers le Motherland au lendemain de la guerre d'indépendance américaine. Puis, au fur et à mesure que la colonie s'est matérialisée, une conscience nationale a émergé, qui, bien que revendiquant son autonomie vis-à-vis de l'ancien empire, restait viscéralement fidèle à cette idée fondatrice, à cette ascendance impériale qui constitue l'origine de son historicité, donc de son existence en tant que nation.

Car le Canada est un pays dont le Québécois ne fera jamais partie qu'en tant que Canadien.

Mais ce n'est pas la langue anglaise ou le fait anglais comme principe souverain qui constituent une injustice à notre encontre, mais bien plutôt la primauté de cette souveraineté sur la nôtre (qu'on se souvienne des termes du Serment). Car le Canada est un pays dont le Québécois ne fera jamais partie qu'en tant que Canadien (« Le Québec ma patrie, le Canada, mon pays »), c'est-à-dire qu'en tant qu'autre que soi. Et voilà la violence de cette mécanique absolutiste, faite pour broyer silencieusement par les mots :

- le Canadien : se savoir nation (né quelque part dans le monde) et savoir (et de facto, vouloir) l'autre province (pays réduit en province) ;

- le colonisé (ou settler : colon dans une terre vide) : se savoir inexistant et se vouloir canadien ;

- le Québécois : se savoir province et se vouloirnation. Nation. Comme dans langue natale, c'est-à-dire l'ensemble des signifiants et des signifiés qui expriment la volonté de naître, de vivre et de donner naissance quelque part dans le monde. Voyez-vous mieux, maintenant, ce qu'est notre chance et notre drame tout à la fois ? : nous avons (désolé Phillipe Couillard) la volonté de naître en français du Québec, de vivre et de donner naissance dans cette langue, mais il nous manque encore un quelque part où cette volonté pourra s'exercer au vu et au su du monde entier, hors des murs exigus du labyrinthe constitutionnel canadien.

Du mythe à la réalité

La bonne nouvelle, c'est que même en ces temps ubuesques où le cynisme tient lieu de fierté nationale, la peur d'être dans le monde par soi-même est tout aussi symbolique qu'un mythe de la Grèce antique, et qu'il est possible pour un peuple, comme nous l'enseigne monsieur Péguy, de se relever par un ressourcement de son antique orgueil.

D'un côté, Thésée, fils d'Égée, roi d'Athènes, qui toute sa jeunesse ignora ses origines royales et les découvrit en soulevant un immense rocher en apparence immuable (ça ne vous rappelle pas un certain Louis Cyr ?) ; de l'autre, Minos, roi de Crête, qui, depuis la mort de son fils et sa victoire sur les Athéniens, exige que la ville lui envoie tous les neuf ans un tribut de sept jeunes hommes et de sept jeunes filles, qu'il donne en pâture au Minotaure. On reconnait ici la course aux programmes en anglais à laquelle se livrent certains cégeps francophones avides de chair fraîche (voyez-vous mieux la marque honteuse que laisse le Serment sur nos fronts inclinés ?). Pour vaincre le Minotaure anglais, il faudra au jeune héros une arme (un engagement clair à faire l'indépendance du Québec), et pour sortir de son labyrinthe (l'ordre constitutionnel canadien), il devra recourir au fil d'Ariane (une Constitution du Québec rédigée par le peuple québécois). Bon, d'accord, le mythe veut que Thésée abandonnât Ariane sur une île déserte et qu'Égée (le vieux péquiste défaitiste) se noyât dans la mer en croyant son fils vaincu, mais on ne fait pas d'omelette sans briser des cœurs ! Retenons surtout l'image du retour triomphal du héros dans sa mère patrie, dont il devint le souverain et restaura la dignité. Le mythe ne dit pas cependant si Athènes devint une cité prospère et respectée de par le monde...

Avril 2018

Les billets de blogue les plus lus sur le HuffPost

Close
Cet article fait partie des archives en ligne du HuffPost Canada, qui ont fermé en 2021. Si vous avez des questions ou des préoccupations, veuillez consulter notre FAQ ou contacter support@huffpost.com.