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Laïcité: sommes-nous dans l'acte II du «Péril Jaune»?

Le Péril Jaune s’est peu à peu effacé des esprits. A-t-il disparu ou a-t-il simplement changé de forme? N’avons-nous pas un Nouvel Ennemi, caricaturé à gros traits par toute une série de commentateurs en tous genres?
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L’histoire est une lanterne qui éclaire le présent, pour peu qu’on se donne la peine de l’allumer.
JulieanneBirch via Getty Images
L’histoire est une lanterne qui éclaire le présent, pour peu qu’on se donne la peine de l’allumer.

Connaissez-vous le Péril Jaune? Émergeant à la fin du XIXe siècle, le Péril Jaune incorpore toutes les représentations de la peur de voir les peuples d'Asie «remplacer» les Européens caucasiens et prendre le contrôle de l'Occident. Ce phénomène a été documenté, notamment par Christopher Frayling dans un excellent ouvrage: The Yellow Peril: Dr Fu Manchu & The Rise of Chinaphobia.

L'expression «péril jaune» fait d'abord son apparition en Allemagne dans la foulée de la guerre entre la Russie et le Japon.

Elle migre ensuite en France, en Grande-Bretagne et prend même racine en Amérique du Nord. Les propagateurs du Péril Jaune sont, pour l'essentiel, des auteurs, des journalistes et des politiciens. En Grande-Bretagne, le péril est publicisé par exemple par M.P. Shiel.

S'inspirant d'un fait réel, le meurtre de deux missionnaires allemands en Chine, il propose dans The Yellow Danger un récit apocalyptique qui deviendra sa marque de commerce. Dans ce récit, la Grande-Bretagne, fleuron de la civilisation et du christianisme, est menacée dans ses fondations par la jalousie d'une élite chinoise décadente qui veut sa perte.

En France, le Péril jaune est porté, entre autres, par un militaire français, Émile Driant. Sa trilogie à succès, L'Invasion jaune, dépeint une France envahie par une armée sino-japonaise commanditée par des banquiers juifs. Ici, on a vraiment la totale...

Au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie et tutti quanti, on se fait aller le crayon afin de relayer une seule et même idée: les «jaunes» arrivent. Ils sont sournois, cruels et méchants.

Ils ont un plan, des milliers d'opérateurs cachés et prêts à passer à l'action. Ils vont violer nos femmes et nos enfants, saccager nos églises et nous faire disparaître. La révolte des Boxers et la guerre russo-japonaise sont dépeintes comme des chocs de civilisations.

Cette vision ne fait toutefois pas l'unanimité

Certaines voix s'élèvent afin de défendre les nations chinoise et japonaise. Elles le font avec un lyrisme qui n'a rien à envier à leurs vis-à-vis. Les idées s'entrechoquent sans parvenir à des positions de ralliement. À la fin, c'est la thèse du Péril Jaune qui sort gagnante.

Les différentes études qui l'ont analysée en attestent: cette thèse s'est construite sur presque rien et se nourrissait de fausses nouvelles et d'exagérations.

Mais, pendant toute la première moitié du XXe siècle, elle contamine les esprits et fait des adeptes. Les répercussions de sa popularité seront importantes.

Les immigrants asiatiques se voient imposer toute une série de conditions discriminatoires. Ils sont stigmatisés dans tous les aspects de leur vie et sont cantonnés dans une citoyenneté de seconde zone.

Au Canada, on légifère contre le Péril. Par exemple, dans les années 1930, les Canadiens d'origine japonaise se voient refuser le droit d'occuper certains emplois dans la fonction publique fédérale. Les quartiers chinois que nous trouvons aujourd'hui si sympathiques sont en fait une des manifestations les plus pérennes de cette discrimination.

Rappelons d'ailleurs que le Canada a présenté des excuses formelles aux Canadiens d'origine chinoise en 2007. Ces excuses visaient plus particulièrement les taxes d'entrée ainsi que les lois d'exclusion.

Le Péril Jaune s'est peu à peu effacé des esprits. Mais a-t-il disparu ou a-t-il simplement changé de forme? N'avons-nous pas un Nouvel Ennemi, caricaturé à gros traits par toute une série de commentateurs en tous genres?

Sommes-nous si sereins dans le débat qui s'engage sur la laïcité?

Il est vrai que nous sommes aujourd'hui plus subtils dans notre approche collective. Le projet de loi déposé a, à première vue, une certaine apparence de neutralité. Mais nous savons tous que ses effets seront ciblés.

Globalement, on voit pourtant peu de sensibilité face aux répercussions potentielles de ce projet. Nos intentions collectives sont-elles dégagées de toute animosité? Rien n'est moins certain.

L'histoire est une lanterne qui éclaire le présent, pour peu qu'on se donne la peine de l'allumer. Il est grand temps de mettre en lumière les recoins sombres de ce débat, quitte à s'accommoder de certains malaises. Sinon, la société québécoise est à haut risque de voir l'histoire se répéter.

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