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Charles Aznavour aimait la France. Il chantait la France. Il était la France

Sa différence détonnait, son physique dérangeait, son timbre troublait.
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Charles Platiau / Reuters

Enfant d'immigrés apatrides, il venait à la fois d'ailleurs et d'ici, de France et d'Arménie, fils d'Erevan et gosse de Paris. Il incarnait le meilleur de notre pays.

La légende qu'il est devenu nous fait oublier les difficultés de ses débuts. Et pourtant, il a fallu qu'il s'impose, à la force de ses mains, à la force de sa voix. Sa différence détonnait, son physique dérangeait, son timbre troublait. Beaucoup se seraient découragés face aux injures et aux critiques qu'il a subies, aux quolibets qu'on lui réservait; sa volonté de dépassement et son goût de la conquête, plus forts que tout, l'en empêchaient.

Car Aznavour aimait la France.

Il aimait la France et il aimait la Provence. Nous avions tous deux en partage l'amour du pays d'Arles, les Alpilles, son coin de paradis. C'est là qu'il se «reposait», lui qui travaillait sans cesse, lui qui voulait chanter jusqu'à ses 100 ans. C'est là qu'il s'en est allé, dans la nuit de dimanche à lundi, laissant tout un pays orphelin.

À la seule évocation de son nom, chacun se remémore les «r» qu'il roulait, les violons de ses chansons, sa discrétion; ces choses qui n'étaient qu'à lui et qui resteront.

Pour tous les Français et pour bien d'autres, il était cette figure rassurante, cette voix qui accompagnait nos joies et nos peines; un pilier auquel nous pouvions toujours nous raccrocher. Nous nous étions tant habitués à sa présence que n'envisagions plus qu'il puisse un jour nous quitter, lui qui nous avait précédés et dont on pensait qu'il nous survivrait. Nous n'avons pas vu le temps passer, et aujourd'hui nous voilà seuls. C'est à Mouriès, dans sa maison aux volets bleus, entouré de l'odeur de ses oliviers, que Charles Aznavour est parti.

Il aimait la France, ses lettres et ses mots. Avide de tout apprendre, de tout savoir et de tout vivre, il assouvissait sa soif de connaissance dans les livres. Il aimait lire ceux de La Fontaine, de Molière, de Guitry et de Hugo. Il aimait écrire ses souvenirs, affirmait que «l'écriture est un muscle qu'il faut entretenir».

Il aimait la France et il aimait sa langue, qu'il déclamait, qu'il célébrait, qu'il magnifiait: d'abord sur les planches – celles du théâtre de la Madeleine, de Marigny et de l'Alcazar; puis devant les caméras – celles de Cocteau, Chabrol et Truffaut; et surtout sur scène, dans les micros. Sa poésie à lui était chantée, accompagnée d'un piano, de violons et de grandioses orchestrations.

Comédien, musicien, magicien des mots et de la voix, Charles Aznavour était un artiste total. Du haut de son 1 mètre 60, il était, il est et il restera l'un des géants de la chanson française. Aznavour chantait la France, il chantait Marseille, Etretat et Paris.

L'amour, la solitude, les bonheurs et les déceptions d'une vie, racontés avec une douce mélancolie: ses paroles faisaient la part belle à l'introspection et témoignaient d'une désarmante lucidité.

Il savait comme nul autre osciller entre la légèreté et la gravité. Il mettait en musique ses souvenirs, ceux d'un homme qui n'a rien oublié. Par le regard qu'il portait sur la vie, par son amour pour Paris, par son humour aussi, il était aux yeux du monde l'ambassadeur d'un certain esprit français. Se savoir ainsi représentés est pour nous tous un honneur.

Il a chanté les quatre coins du monde – Yerushalaim, Lisboa, Venise et Brasilia –, dans toutes les langues, qu'il faisait dialoguer d'une manière «for me formidable». Adulé aux États-Unis, Charles Aznavour ne chantait pas seulement pour ceux de son temps, ou ceux de son pays: il chantait pour le monde entier.

Cette vocation universelle est le cœur même de notre culture. Elle est le cœur même de la France.

Et Aznavour était la France. En faisant rayonner notre langue du Royal Albert Hall jusqu'au Madison Square Garden, Aznavour était la France.

En considérant que les cultures ne s'opposent pas, mais se complètent et constituent l'une pour l'autre une richesse, Aznavour était la France.

En s'engageant pour faire reconnaître le génocide arménien et donner à son peuple une mémoire, Aznavour était la France.

Son attachement à notre pays ne l'a jamais empêché de rester profondément fidèle à ses racines. «Charles sera l'honneur du peuple arménien, et une gloire pour la France», écrivait Missak Manouchian en 1940.

Plus que notre gloire: Charles Aznavour est notre fierté.

La France continuera à l'aimer autant qu'il l'a aimée.

Elle continuera à le chanter autant qu'il l'a chantée.

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