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«Héritage»: un moment de théâtre historique

Cette œuvre écrite en 1959 par une dramaturge américaine noire, dont la distribution est presque exclusivement noire, n’a rien de banal.
Frédéric Pierre, Myriam De Verger et Tracy Marcelin dans la pièce «Héritage», présentée chez Duceppe jusqu'au 5 octobre.
Caroline Laberge
Frédéric Pierre, Myriam De Verger et Tracy Marcelin dans la pièce «Héritage», présentée chez Duceppe jusqu'au 5 octobre.

Après la mort du patriarche, la famille Younger se retrouve avec un montant d’argent imposant, qui fait rêver. Mais les cinq membres de ce clan n’ont pas les mêmes aspirations quant à la façon de dépenser tous ces billets. Et les conflits s’installent. Ce résumé de l’histoire de la pièce Héritage pourrait sembler convenu. Mais cette oeuvre écrite en 1959 par l’auteure Lorraine Hansberry, qui met en scène une famille noire à Chicago dans les années 1950, et dont la traduction est présentée chez Duceppe avec une distribution presque exclusivement noire, n’a en fait rien de banal.

Lorsque le spectacle commence, ce sont d’abord les décors impressionnants qui retiennent notre attention. Puis, très vite, les allers et venues des personnages rappellent qu’une telle scène de famille noire, c’est quelque chose de rarissime au théâtre, au Québec. Et cette effervescence, ce sentiment d’assister à quelque chose d’inédit se ressentent dans la salle.

«Comment ça se fait que je n’ai jamais vu l’histoire d’une famille noire au théâtre?» se dit-on. Clairement, il était temps.

Les leçons de SLAV semblent avoir été bien assimilées par le théâtre Duceppe, qui tente depuis plusieurs années de rajeunir et de diversifier son public. Les codirecteurs artistiques, Jean-Simon Traversy et David Laurin, ont déniché cette pièce du répertoire américain et en ont confié la mise en scène au metteur en scène Mike Payette (surtout connu sur la scène anglophone).

Toujours actuelle

Héritage (dont la version originale s’intitule A Raisin in the Sun) a été la première oeuvre d’une dramaturge afro-américaine à être produite sur Broadway. Si elle est une sorte de monument chez nos voisins du Sud, elle est plutôt inconnue de ce côté-ci de la frontière. Et on voit pourquoi les directeurs artistiques de Duceppe ont ressenti le besoin de monter cette pièce ici, dans une première production francophone. C’est que les thèmes abordés dans cette oeuvre sont encore tellement actuels, alors que l’écart entre les riches et les pauvres ne cesse de se creuser, et que la peur de l’autre continue de mobiliser beaucoup (trop) de politiciens et de citoyens.

Faut-il abandonner ses ambitions au profit de sa famille, et même de sa communauté? Le personnage principal de cette pièce, Walter Lee (Frédéric Pierre) semble penser que non. Ce jeune père de famille qui a déjà l’impression d’être vieux ne veut pas abandonner son rêve de devenir quelqu’un – lire: quelqu’un qui a réussi, donc qui a de l’argent.

Alors quand sa mère hérite de 10 000$, un montant qui semble faramineux pour la famille (on pourrait estimer que cela équivaut à environ 100 000$ aujourd’hui), Walter Lee veut investir pour acheter son magasin d’alcool, son rêve. Sa femme Ruth (Myriam De Verger) rêve plutôt d’une grande maison pour pouvoir quitter ce «trou à rats» où les cinq membres de la famille se pilent sur les pieds. La soeur de Walter, Beneatha (Tracy Marcelin) veut tout simplement s’«exprimer». Étudiante en médecine, elle veut être une femme indépendante, mais elle est aussi à la recherche de ses origines africaines. Le petit Travis (Malik Gervais-Aubourg) ne veut qu’être un enfant comme tous ceux de son âge. Et la matriarche, Lena, jouée par la renversante Mireille Métellus, cherche ce qui est le mieux pour son clan. Sur scène comme dans l’histoire, c’est elle qui porte tout sur ses épaules.

Mireille Métellus joue Lena, la matriarche de la famille, et Myriam De Verger interprète Ruth, sa belle-fille, dans «Héritage».
Caroline Laberge
Mireille Métellus joue Lena, la matriarche de la famille, et Myriam De Verger interprète Ruth, sa belle-fille, dans «Héritage».

Et si la famille s’en va ailleurs, la vie sera-t-elle vraiment meilleure? Comment les résidants d’un quartier de Blancs accueilleraient-ils les Younger? Cette portion de la pièce est d’ailleurs inspirée de la vie de l’auteure: sa famille et elle ont déménagé dans un quartier de Chicago réservé aux Blancs quand elle avait huit ans, et les voisins ont tenté de les chasser.

Le quotidien de la famille Younger est d’ailleurs constamment chamboulé par les volontés de la domination blanche. Ce qui n’empêche pas les Younger (et nous, par le fait même) d’en rire.

«Je vais leur dire que tu as une grippe, c’est respectable, c’est une maladie de Blanc!» lance par exemple Lena à sa belle-fille, lorsque celle-ci se sent trop faible pour aller travailler.

Héritage n’est pas parfaite. Les acteurs sont un peu inégaux, et le tout aurait gagné à être raccourci (la pièce dure 2h30 incluant l’entracte). Mais c’est une oeuvre nécessaire, qui force la réflexion, surtout dans notre société aisée, sans pour autant empêcher le public de rire un bon coup.

Héritage est présenté au théâtre Duceppe jusqu’au 5 octobre 2019.

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