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Il y a aussi une pandémie... de grossophobie!

Selon l'autrice de «Grosse, et puis?», bien que les choses changent (tranquillement) pour le mieux, les personnes grosses sont encore discriminées, et plus particulièrement pendant la pandémie.
Éditions Trécarré

Malgré l’ouverture et les bons coups en matière de poids et de grossophobie, on n’est pas sorti du bois. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour se défaire des idées préconçues qu’on a assimilées depuis l’enfance; surtout en temps de pandémie. Entrevue avec Edith Bernier, autrice de Grosse, et puis?.

La «troisième pandémie»

«Ça commence extrêmement jeune, [la grossophobie], explique Edith, même dans les dessins animés pour enfants. Les personnes grosses, si elles ne sont pas méchantes, elles sont niaiseuses, frivoles, en train de manger, dépressives, pas assez futées pour être le héros, les adjoints du méchant», déplore-t-elle.

Selon la conférencière, le confinement et les mesures restrictives que l’on connaît ont aussi donné lieu à une «épidémie» de grossophobie.

«Malheureusement, il y a eu de plus en plus d’hospitalisations pour les troubles alimentaires graves et les médecins identifient le confinement du printemps dernier comme source ou élément déclencheur», se désole-t-elle. «C’est ce que j’appelle la “troisième pandémie”, qui découle de qu’on avait appelé la “pandémie de grossophobie”. Ça a probablement été un catalyseur ou une façon d’exacerber chez beaucoup de gens la problématique de troubles de comportement alimentaire.»

D’après la consultante, la pandémie a exacerbé une certaine polarisation par rapport à la grossophobie. Si certains s’affichent encore plus fermement contre elle, plusieurs ont laissé tomber leur «petite gêne» pour se laisser aller aux commentaires désobligeants sur les réseaux sociaux.

«Quand Renée Wilkin est passée à Bonsoir bonsoir pour chanter la chanson de Michèle Richard, il y a des personnes qui disaient dans les commentaires Facebook: “C’est un outrage à Michèle Richard de chanter La plus belle pour aller danser habillée de même!” Juste parce qu’elle portait un pantalon jaune, qu’on pouvait deviner qu’elle avait un ventre et qu’elle avait un crop top qui montrait cinq centimètres de peau!»

Malgré tout, Edith Bernier admet avoir constaté une plus grande sensibilité des Québécois envers les enjeux liés à la grossophobie. «Je réfléchis par exemple à toute la question du fat-suit dans la pub de Maxi, l’été passé. Il y a cinq ans, le public n’aurait pas dénoncé ça. Le public ne se serait pas indigné, ou du moins jamais dans la proportion qu’ils l’ont fait maintenant». Elle insiste sur l’importance de souligner ce «pas dans la bonne direction».

«Surfer sur la vague»

«En général, en grande partie, la grossophobie, elle vient de la pub, elle vient des médias, elle vient de la mode, explique la militante. C’est sûr que ce sont des grosses machines qui sont plus lentes à changer; peut-être même plus rébarbatives parce qu’il y a toute la composante financière là-dedans.»

Au cours de la dernière année, l’accessibilité à des vêtements stylés et diversifiés s’est détériorée pour les personnes grosses, avec la fermeture d’Addition Elle par exemple, mentionne l’autrice.

Si davantage de compagnies semblent promouvoir de plus en plus la diversité corporelle, beaucoup d’entrent elles surfent sur la vague «sans faire leurs devoirs», selon Edith. Elles demeurent dans le «socialement acceptable», dans les normes. «Si ton body-positive s’arrête à XXL, ce n’est pas du body-positive», déplore-t-elle. Ça l’est peut-être «pour d’autres choses - personnes avec un handicap, moins genrées, etc. -, mais pas pour les personnes grosses.»

Edith Bernier
Patrick Lemay
Edith Bernier

Désamorcer la connotation négative

Pour l’autrice, lutter contre la grossophobie passe entre autres par les mots qu’on choisit d’utiliser dans la vie de tous les jours. Ceux-ci peuvent contribuer à défaire certains biais nocifs.

Pour ce faire, elle préconise d’abord et avant tout l’utilisation de la «forme humaine». «On ne dit pas “un gros” ou “une grosse”; on va dire “un homme gros”, “une femme grosse”, “des personnes grosses”», précise-t-elle. «De la même façon qu’on ne dira pas “un aveugle” ou “un handicapé”, on va dire “une personne aveugle”, “une personne qui vit avec un handicap”. On est une personne avant d’être gros ou grosse.»

“Je ne veux pas qu’on tombe dans l’instrumentalisation [des personnes grosses], mais vraiment dans l’inclusion, dans une représentation qui reflète la réalité, en fait. (...) Des personnes grosses, dans la vie de tous les jours, il y en a plein qui vivent des vies tout à fait normales et banales.”

Elle ajoute qu’il faut travailler à désamorcer la charge négative associée au mot «gros» et «grosse» pour lui redonner le sens neutre qu’il est censé avoir. Ainsi, explique Mme Bernier, «quand on dit une “grosse maison”, ça ne rend pas la maison négative, ou un “gros chien”, une “grosse auto”... Mais pourquoi ça vient donner un “indice” sur la qualité d’une personne?», s’interroge-t-elle.

L’autrice va plus loin. Si beaucoup de gens semblent encore mal à l’aise avec les mots «gros» et «grosse» - parfois avec raison, elle mise sur la «resignification subversive», c’est-à-dire une «inversion du sens par recontextualisation d’énoncés insultants, à partir de leur charge blessante, avec un effet réparateur.» «Queer, par exemple, il n’y pas si longtemps, était un terme super négatif. Maintenant, ce n’est plus quelque chose de négatif de nos jours», dit-elle. «C’est un terme qui a été réapproprié. Avec “gros” et “grosse”, c’est tout à fait possible», avance-t-elle.

La conférencière déconseille par ailleurs l’utilisation des mots «embonpoint», «obésité», «surpoids», qui sont plus discriminants, selon elle.

Plus d’espaces inclusifs

Selon Edith Bernier, le fait de créer des espaces plus inclusifs peut grandement contribuer à combattre la grossophobie.

«Les personnes grosses vont souvent être mal à l’aise de demander les choses. Avec raison, parce que souvent ça leur retombe dessus ou ça vire en moquerie. Il faut créer des environnements où les gens sont à l’aise de parler, où on démontre déjà, même si ce n’est pas parfait, de l’inclusion des personnes grosses en général», décrit-elle.

Elle revendique non seulement plus d’inclusivité dans les espaces physiques - au travail, dans les transports en commun -, mais aussi dans les médias, au cinéma, à la télé - des espaces où les personnes grosses sont souvent dépeintes avec des comportements extrêmes.

«Je ne veux pas qu’on tombe dans l’instrumentalisation [des personnes grosses], mais vraiment dans l’inclusion, dans une représentation qui reflète la réalité, en fait», précise-t-elle. «Des personnes grosses, dans la vie de tous les jours, il y en a plein qui vivent des vies tout à fait normales et banales.»

Commencer par soi

«C’est une job d’au-dessus de 100 ans, la grossophobie. Ce n’est pas juste depuis les années 1950», explique Mme Bernier.

Pour défaire ses propres préjugés, l’autrice conseille de commencer par se questionner et se rendre compte qu’on a pu assimiler certaines croyances ou fausses perceptions.

«Il y a une raison pour laquelle on a adopté et cru en ces messages faux et négatifs : paresse, “moins beau”, absence de santé; c’est parce qu’on s’est fait laver le cerveau avec», relate-t-elle.

Elle préconise le fait de s’exposer à des gens différents de soi, que ce soit sur les réseaux sociaux ou dans son entourage. On peut également s’informer sur le sujet, en lisant divers ouvrages ou en consultant des sites qui traitent d’enjeux liés à la grossophobie.

Et surtout, «quand les personnes visées prennent la parole, il faut savoir les écouter et savoir ne pas diminuer leur vécu», souligne Edith.

«Pour certains débats, des fois, il faut savoir s’asseoir sur le siège d’en arrière et écouter», conclut l’autrice.

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