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Déconfinement: plus un danger devient familier, moins il paraît dangereux

La COVID-19 est tranquillement en train de rejoindre les accidents de voiture et la grippe saisonnière: des risques réels, qui tuent des milliers de gens tous les ans, mais qui font tellement partie de notre quotidien qu’on a oublié qu’ils étaient dangereux.
Des marcheurs, des coureurs et des cyclistes dans un parc montréalais le 25 avril 2020.
La Presse canadienne/Graham Hughes
Des marcheurs, des coureurs et des cyclistes dans un parc montréalais le 25 avril 2020.

Avec le beau temps qui fait son apparition, les parcs, trottoirs et pistes cyclables se remplissent. Les gens semblent heureux, relax. Le risque d’avoir la COVID-19 n’a pourtant pas diminué. Le nombre de cas, de morts, d’hospitalisations augmentent encore, malgré le confinement. Les conséquences de la maladie sont toutes aussi sévères qu’il y a un mois.

Mais la réponse des gens a changé face au risque. Même les autorités semblent moins inquiètes: les conférences quotidiennes du premier ministre auront maintenant lieu seulement trois fois par semaine. La COVID-19 est encore très présente, mais l’inquiétude des gens semble diminuer.

En tant que pédiatres dont l’un est chercheur en sciences comportementales, nous ne sommes pas surpris, mais nous sommes inquiets.

Il est en effet normal que les gens semblent moins préoccupés. Plus un risque devient familier, moins il fait peur. Et avec cette peur qui s’amenuise, nos précautions diminuent. Dans les prochaines semaines, des milliers de Québécois retourneront à l’école et au travail et recommenceront à magasiner.

Le sujet du déconfinement a fait couler beaucoup d’encre et a alimenté de nombreuses discussions dans les médias comme dans les maisons, avec raison. Mais il n’en demeure pas moins que l’idée est moins tabou et apparaît moins déraisonnable que si le premier ministre l’avait évoquée début avril. Pourtant, qu’est-ce qui a vraiment changé depuis ce temps?

“Nous n’avons pas plus un vaccin ou un traitement efficace qu'il y a un mois.”

Certes, les connaissances scientifiques ont avancé. On suspecte maintenant par exemple que les enfants sont à faible risque d’être infectés et d’être gravement malades. Mais la probabilité de devenir infecté n’a pas changé d’un iota (en fait, elle risque d’augmenter avec le déconfinement). Idem avec les conséquences possibles de l’infection. Et nous n’avons pas plus un vaccin ou un traitement efficace qu’il y a un mois.

Si les gens décident de retourner travailler et d’envoyer leurs enfants à l’école, c’est parce qu’avec le temps qui passe, la perception du risque change. À force de consommer des nouvelles entourant la COVID-19 chaque jour depuis plus de six semaines, le risque est devenu plus familier. Et ce qui est plus familier fait moins peur, un phénomène bien connu en sciences comportementales.

En ce sens, la COVID-19 est tranquillement en train de rejoindre les accidents de voiture et la grippe saisonnière: des risques réels, qui tuent des milliers de gens tous les ans, mais qui font tellement partie de notre quotidien qu’on a oublié qu’ils étaient dangereux. Ce n’est pas nécessairement une réponse rationnelle, mais c’est une réponse naturelle.

“Les décisions de rouvrir les régions, les commerces et les écoles devraient se baser sur les données épidémiologiques plutôt que sur ce que la population peut vouloir entendre, ou pire encore, ce que le gouvernement veut croire de son efficacité.”

Ce qui nous inquiète, c’est la réponse des autorités. Si l’on comprend que la population générale se laisse influencer par la météo plus clémente ou par les statistiques qui commencent à se fondre dans le décor, le gouvernement devrait agir de façon plus cartésienne. Les décisions de rouvrir les régions, les commerces et les écoles devraient se baser sur les données épidémiologiques plutôt que sur ce que la population peut vouloir entendre, ou pire encore, ce que le gouvernement veut croire de son efficacité. Rappelons que nous comptons encore chaque jour près de mille nouveaux cas et une centaine de nouveaux décès dans la province.

Selon les critères de l’Organisation mondiale de la Santé, nous sommes encore loin d’avoir atteint les critères objectifs pour une relaxation des mesures de confinement. L’épidémie n’est toujours pas sous contrôle, comme nous l’ont rappelé les flambées de cas dans les CHSLD, les hôpitaux, les lieux de travail et certains quartiers de Montréal.

Souvenons-nous que le bilan du Québec demeure de loin le plus lourd de toutes les provinces canadiennes, et qu’il est pire en termes de cas confirmés et de décès ajustés pour la population que celui des États-Unis. Il ne devrait pas y avoir de relâchement des mesures de distanciation sociale tant que la situation n’est pas maîtrisée. La décision de M. Legault de reporter d’une semaine l’ouverture des commerces montréalais paraît donc sage, et nécessaire.

Comme tout le monde, nous avons hâte de retrouver une vie normale. Mais si, individuellement, on peut se permettre de rêver, de s’imaginer quelques instants que les choses vont mieux aller avec l’arrivée des beaux jours, du point de vue collectif, il faut garder la tête froide. Un relâchement trop hâtif peut signifier une recrudescence d’infections et de décès, comme nous l’ont démontré les exemples de Singapour, du Japon, ou de certains états américains. Nous parlons ici de morts évitables.

La COVID-19 sera des nôtres pour encore longtemps. Il est donc impératif que notre gouvernement base ses décisions sur les faits et sur le risque réel que pose la maladie, plutôt que sur une vision trop optimiste. Le printemps au Québec est infectieux, lui aussi: l’optimisme s’y répand. C’est la responsabilité de notre gouvernement de nous protéger d’un faux optimisme en demeurant objectif. La santé de tous les Québécois et notre prospérité collective en dépendent.

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