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Coronavirus: pourquoi il faut être prudent avec la chloroquine

Ce médicament, traitement potentiel face au nouveau coronavirus, est prometteur, mais les études actuelles sont loin d'être assez abouties pour encourager son utilisation.

Ne pas confondre vitesse et précipitation. Une règle de sagesse élémentaire sacro-sainte en médecine, mais qui est remise en cause ces derniers jours dans la lutte contre le nouveau coronavirus Sars-Cov2.

Alors que la pandémie de Covid-19 continue de se répandre dans le monde, ayant déjà entraîné la mort de plus de 15 000 personnes, les scientifiques sont lancés dans une véritable course au traitement miracle. Et l’un des favoris, la chloroquine, fait beaucoup parler.

Cet antipaludique bien connu a montré quelques signes d’efficacité sur Sars-Cov2. Une petite étude française réalisée par le docteur Didier Raoult a notamment rendu ce médicament célèbre, à tel point que Donald Trump a estimé qu’il “sentait bien” ce traitement.

En France, le ministre de la Santé Olivier Véran a précisé que les résultats encourageants du professeur Raoult étaient intéressants, mais qu’il était nécessaire de mettre en place des essais cliniques avant d’envisager un usage massif. Sur les réseaux sociaux, beaucoup s’interrogent sur cette frilosité, surtout que le docteur Raoult affirme avec certitude que son traitement est efficace.

Doctor holding Chloroquine Phosphate drug
BartekSzewczyk via Getty Images
Doctor holding Chloroquine Phosphate drug

Gare aux nombreux faux espoirs

Mais si Olivier Véran est frileux, il a de très bonnes raisons. Certes, face à cette pandémie foudroyante, il est impossible d’attendre un consensus scientifique complet. Pour autant, les règles qui encadrent la commercialisation des médicaments sont là pour une bonne raison.

Le passé est jonché d’exemples de traitements miracles qui se transforment en mirages. Selon une étude de 2018, seuls 14% des médicaments sont approuvés par la FDA (le gendarme américain de la santé) suite aux essais cliniques finaux. Pourtant, en général, la substance est prometteuse in vitro, sur des animaux ou dans le cadre d’études sur très peu de patients.

C’est pour cela que des essais cliniques très encadrés, avec un protocole établi (pour éviter des biais statistiques, l’effet placebo, etc.) et réglementé sont nécessaires pour commercialiser un médicament. Et si le nouveau coronavirus Sars-Cov2 nous oblige à bouger vite, il ne faut pas se précipiter. Une étude, publiée le 18 mars dans le New England Journal of Medecine, en est une preuve vivante.

L’exemple du lopinavir-ritonavir

Au début de l’épidémie de Covid-19 en Chine, l’un des traitements prometteurs était un mélange de deux médicaments dédiés au VIH: le lopinavir et le ritonavir. Ce fut l’un des premiers essais cliniques lancés. Le résultat, publié le 18 mars, est malheureusement négatif: “aucun bénéfice n’a été observé”, notent les auteurs.

“La même chose est arrivée avec le ZMapp lors de la récente épidémie d’Ebola”, précise sur Twitter Angela Rasmussen, virologiste à l’Université de Columbia. Ce traitement “a été salué pendant l’épidémie ouest-africaine comme un médicament miracle et a ensuite échoué dans des essais contrôlés en République démocratique du Congo”.

Mais il est possible qu’un traitement à base de lopinavir-ritonavic soit finalement efficace. Car les travaux sur lopinavir-ritonavir, comme ceux de Didier Raoult sur la chloroquine, restent limités. C’est pour cela que l’OMS a lancé le 20 mars une large étude, avec un encadrement très rigoureux, sur les 4 médicaments les plus prometteurs. La chloroquine, le remdesivir, le lopinavir-ritonavir et une version modifiée ce dernier.

L’institution précise d’ailleurs que la chloroquine ne faisait même pas partie des traitements privilégiés par les spécialistes internationaux, mais a été rajoutée suite à “la grande attention” qui lui est portée dans divers pays.

Les études sur la chloroquine controversées

S’il ne faut pas se précipiter, c’est aussi car ce traitement antipaludique ne convainc pas tous les scientifiques. Pour Gaetan Burgio, généticien travaillant sur les maladies infectieuses, l’étude de Didier Raoult est profondément biaisée.

Sur Twitter, il explique le 21 mars que cette étude ne donne aucune preuve réelle de l’efficacité de la chloroquine en raison de nombreux biais et défauts (nombre de patients réduits, vérification de l’état de santé pas assez encadrée, etc.).

De nombreux chercheurs partagent cet avis. Sur le site Pubpeer, qui sert à amender les études scientifiques, des dizaines de commentaires interrogent les différents paramètres de l’étude. Cela ne veut pas dire que les travaux de Didier Raoult sont forcément faux: simplement que cette étude n’est pas du tout une preuve suffisante pour s’assurer de l’efficacité de la chloroquine sur le Covid-19.

L’autre grand favori

Elisabeth Bik, microbiologiste et consultante en intégrité scientifique, a également des doutes sur ces résultats “Je pense qu’il s’agit d’une petite étude utile qui offre une lueur d’espoir et qui est nécessaire face à une pandémie virale, mais elle doit être soigneusement examinée par des pairs et faire l’objet d’une réflexion critique, et être confirmée par des études plus importantes”, estime-t-elle sur Twitter.

Pour l’OMS, ce n’est d’ailleurs pas la chloroquine, mais le remdesivir qui est le grand favori dans cette course au traitement. Cet antiviral, qui est également testé contre le Mers, un autre coronavirus, a été considéré comme “le médicament le plus prometteur” lors d’une consultation informelle de l’OMS, le 24 janvier dernier.

Mais rien ne permet de savoir quel sera le médicament qui nous permettra d’endiguer l’épidémie de Covid-19. L’agence danoise de médecine tient une liste de tous les essais cliniques en cours dans le monde. Une liste de 28 pages, où la chloroquine est très présente, mais loin d’être seule en course.

Ce texte a été publié originalement dans le HuffPost France.

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