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Je suis autiste et ça ne m’empêche pas d’être orthopédagogue

Malgré des embûches lors de ses premières années sur le marché du travail, Valérie Desroches a réussi à faire sa place et à s’épanouir professionnellement malgré sa différence.
fstop123 via Getty Images

Les propos de ce témoignage ont été recueillis par le HuffPost Québec et retranscrits à la première personne.

À l’école, j’avais de très bonnes notes. J’ai un quotient intellectuel élevé et un haut niveau de langage. Ça a permis de compenser les difficultés que j’avais dans ma vie.

J’ai vécu beaucoup d’intimidation. Des élèves me lançaient des vers de terre et m’attendaient sur l’heure du dîner pour me frapper. Certains enseignants me disaient que je devais juste apprendre à me défendre. Ils n’intervenaient pas et ne s’arrêtaient pas sur mon cas.

Dès l’âge de six ans, je sentais que j’étais un peu différente des autres de ma classe. Je ne me sentais pas concernée par les discussions des élèves. Je trouvais que leur humour était différent du mien. À huit ans, je jouais avec une fille et elle m’a demandé si j’étais handicapée.

À l’adolescence, je cherchais des réponses et j’ai consulté. J’étais mal à l’aise avec plein de choses, mais je n’arrivais pas à nommer ce que c’était. Mes difficultés étaient perçues comme de la timidité et de l’anxiété.

Ça a surtout commencé à me causer des problèmes quand j’ai commencé à travailler, à 16 ans. J’avais un emploi en restauration, où il y avait beaucoup de multitâches. Je trouvais ça difficile.

Ça n’a jamais été facile non plus dans les contextes de groupe. Souvent, je ne sais pas comment commencer une conversation ou quand parler. Il y a beaucoup de sujets qui ne m’intéressent pas. J’ai des intérêts très spécifiques, donc quand les gens parlent de leur journée ou de magasinage, qu’ils font du small talk, je décroche.

Je me suis dit que quelque chose clochait avec moi, mais personne ne mettait le doigt dessus.

Valérie Desroches
Courtoisie/Valérie Desroches
Valérie Desroches

J’ai fait mon baccalauréat en éducation à l’Université d’Ottawa et j’ai ensuite enseigné dans le Grand-Nord.

J’ai réalisé que je voulais aider des enfants qui ont des besoins différents, j’ai donc fait ma maîtrise en orthopédagogie. Dans mon programme, il y avait un cours sur le trouble du spectre de l’autisme. J’ai été sous le choc parce que je me reconnaissais comme je ne m’étais jamais reconnue dans ma vie. J’ai su tout de suite que j’étais Asperger. Je me disais que finalement, il y avait des gens qui me ressemblaient.

J’ai décidé d’aller consulter une neuropsychologue. Ça s’est confirmé. J’ai eu mon diagnostic de syndrome d’Asperger à 28 ans.

Est-ce que ça m’a surprise? Oui et non. Toute ma vie, je m’étais rendu compte qu’il y avait un petit quelque chose de différent chez moi. Ça a été vraiment, vraiment soulageant parce que j’ai finalement compris d’où venaient mes malaises. Mais j’ai été un peu choquée parce que j’avais consulté beaucoup de spécialistes et personne n’avait trouvé.

Quand je suis arrivée avec mon diagnostic devant mon médecin de famille et qu’il a lu le rapport de la neuropsychologue, il m’a dit: «Je suis dans le déni face à ton diagnostic parce que les autistes, ils ne foutent rien dans la vie. Tu as une maîtrise, tu ne peux pas être autiste.» Ça m’a choquée. Il devrait relire ses livres.

J’ai changé de médecin parce que toute ma vie, je lui avais fait des appels à l’aide. Je lui expliquais ce qui ne fonctionnait pas dans ma vie et je lui disais que je ne me sentais pas bien. Il m’avait toujours dit que c’était de la timidité.

L’intégration à l’emploi n’a pas bien été pour moi. Je ne crois pas qu’un Asperger doit toujours mentionner son diagnostic en entrevue. Il y a encore beaucoup de gens qui ont des préjugés.

J’ai déjà postulé pour un emploi dans une école spécialisée en adaptation scolaire. J’avais dit en entrevue que j’étais autiste et ça avait généré un malaise. Certaines personnes veulent aider les autistes, mais ne les veulent pas comme collègues.

Quand j’ai commencé à travailler dans une commission scolaire et que mes collègues ont appris que j’étais autiste, ils ont arrêté de manger avec moi et ont commencé à agir différemment avec moi.

Comme j’ai des difficultés sensorielles, je ne peux pas filtrer les sons, alors c’était difficile avec les enfants. Par exemple, si j’étais en train d’écrire un problème de mathématiques au tableau et qu’un enfant disait le mot cheval, je pouvais me tromper et écrire le mot cheval sur le tableau. J’ai changé d’emploi.

Ce qui a été soulageant en ayant mon diagnostic, c’est que j’ai pu adapter ma vie.

Je suis maintenant capable de nommer mes difficultés. J’essaie le plus possible de choisir des milieux dans lesquels je suis bien et où on m’accepte comme je suis. Je travaille à la même école depuis six ans et je fais de l’orthopédagogie en individuel avec les enfants. Dans ce contexte, ça se passe vraiment bien. J’ai un bureau assez isolé, où il n’y a pas trop de bruit.

J’ai senti une ouverture à cette école-là. J’ai parlé de mon diagnostic d’autisme un peu après avoir été embauchée. Ça a été bien accueilli.

C’est très rare que j’en parle aux élèves, mais j’ai quelques élèves Asperger à qui je dis que je suis comme eux. C’est bien, parce que ça clique et on se comprend, on est sur la même planète et leurs parents m’apprécient beaucoup. Je sais ce que c’est et je suis très compréhensive.

C’est un atout dans mon travail d’orthopédagogue d’accepter que les gens apprennent différemment et de savoir qu’on peut réussir quand même.

Pour plusieurs autistes Asperger, tout est blanc ou noir. Quand je fais de l’orthopédagogie, je le fais à fond. Je suis donc assez perfectionniste dans mon travail et les parents apprécient que ce soit prévisible et clair.

Souvent, le problème, ce ne sont pas nos compétences. C’est l’acceptation par le milieu.

La société gagnerait à engager plus d’Asperger. Lorsqu’on est passionné dans un domaine, on donne tout ce qu’on a et on peut être très, très productif.

Si les tâches sont claires et que les gens nous acceptent, il n’y en aura pas de problèmes.

La section Perspectives propose des textes personnels qui reflètent l’opinion de leurs auteurs et pas nécessairement celle du HuffPost Québec.

Propos recueillis par Florence Breton.

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