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Montréal: la police émet d'importantes réserves sur la pertinence des caméras corporelles

La mesure coûterait 42,4 M$ et n'augmenterait pas nécessairement la transparence des interventions policières, selon le SPVM.
Sur cette photo, on voit en exemple un modèle de caméra corporelle.
ROBYN BECK via Getty Images
Sur cette photo, on voit en exemple un modèle de caméra corporelle.

Installer des caméras corporelles (CP) sur les 3000 patrouilleurs de première ligne n'améliorerait pas la transparence des interventions ou la confiance envers la police, notamment parce qu'elles doivent être allumées par les policiers, selon le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). Sans parler de la facture de 41,4 M$ en investissements et embauches.

Le rapport du SPVM sur les caméras corporelles a été rendu public mardi. On y note d'importantes réserves exprimées par les policiers qui ont participé à un projet pilote.

Ceux-ci craignent notamment que l'obligation d'allumer eux-mêmes la caméra ne nuise à une intervention d'urgence. La directive du SPVM leur oblige également de fermer la caméra pour des questions de «confidentialité des renseignements policiers». Ce qui, au final, produirait bon nombre de vidéos fragmentaires.

«Bien que peu de causes impliquant des CP aient été entendues à ce jour devant les tribunaux, des intervenants du système judiciaire ont toutefois mentionné l'importance de filmer intégralement les interventions policières dans un dessein de collecte de preuves. Ce constat met en lumière la difficulté potentielle de concilier le respect des obligations légales et des considérations opérationnelles et éthiques du SPVM et l'exigence de démontrer la transparence, voire la légitimité des interventions policières, par un enregistrement vidéo intégral de ces dernières», lit-on dans le rapport.

Le SPVM présentera son rapport sur les caméras corporelles aux élus de Montréal le 1er février.
Olivier Robichaud
Le SPVM présentera son rapport sur les caméras corporelles aux élus de Montréal le 1er février.

Impacts sur le travail et l'usage de la force

Le visionnement des vidéos entraînerait aussi une charge de travail supplémentaire pour les agents, enquêteurs, avocats, juges et autres intervenants qui devront les analyser.

D'ailleurs, les agents sont plutôt favorables à l'utilisation des caméras corporelles (61%), mais seulement si on leur retire la charge de travail additionnelle.

Plusieurs organismes de la société civile demandent l'ajout de caméras corporelles sur les uniformes des policiers, notamment pour mieux documenter l'usage de la force. Diverses études suggèrent que les policiers sont moins portés à l'usage excessif de la force lorsqu'ils sont filmés, selon le rapport.

Le SPVM note toutefois une absence d'effet dans le cadre de son projet pilote.

«Les résultats du projet pilote démontrent qu'il n'existe pas de différence significative entre les groupes avec et sans caméra ni entre les périodes avant et pendant le pilote en ce qui concerne les cas d'usage de la force par les policiers, les plaintes de citoyens et les actes de violence et d'entrave de citoyens envers les policiers», lit-on.

Le SPVM souligne aussi qu'il serait nécessaire d'établir une politique concernant la diffusion des enregistrements. Une vidéo d'un événement tragique et hautement médiatisé pourrait soulever des questions légales pour le corps policier. Mais d'un autre côté, la confiance du public pourrait être minée si le SPVM ne diffuse que les enregistrements déposés en preuve devant un tribunal.

Surveillance nécessaire, dit le CRAP

Pour la Coalition contre la répression et les abus policiers (CRAP), les réticences exprimées par le SPVM sont autant de raisons supplémentaires pour les surveiller de plus près.

«Plus les policiers s'opposent au fait d'être surveillés, plus ils devraient être surveillés», lance Alexandre Popovic, porte-parole de la CRAP.

«Lorsqu'une intervention qui se termine de façon tragique est filmée, c'est démontré que qu'une vidéo fait toute la différence au niveau de la compréhension de cet événement», ajoute-t-il.

M. Popovic rappelle le cas de Nicholas Gibbs. Une vidéo montrant une partie de l'intervention diffère à certains égards de la version des faits donnée par le SPVM au Bureau des enquêtes indépendantes, qui enquête sur l'affaire.

L'administration Plante a indiqué qu'elle commentera le rapport lorsqu'il sera déposé devant la Commission de la sécurité publique, le 1er février. Par le passé, Projet Montréal a appuyé l'idée de munir les policiers de caméras corporelles.

Le chef de l'opposition, Lionel Perez, rappelle que l'ensemble des partis représentés au conseil municipal sont favorables aux caméras corporelles. Il estime que le rapport du SPVM met la barre trop haute en ce qui concerne l'évaluation des impacts sur les interventions policières.

«Il y a d'autres exemples dans d'autres villes qui montrent effectivement qu'il y a une plus value aux caméras corporelles. Ça se fait dans les villes américaines, ça se fait en Europe, et on devrait aller de l'avant», dit-il.

Une facture importante

Le SPVM évalue à 17,4 M$ le coût d'acheter et d'installer les caméras corporelles pour 3000 policiers. Le personnel nécessaire pour traiter les vidéos et les demandes d'accès à l'information, en plus de la location de bureaux pour entreposer et réparer les appareils, apporteraient une dépense annuelle additionnelle de 24 M$ pour un total de 41,4 M$ en un an.

Le chiffre de 17,4 M$ pour les caméras est largement inférieur aux 85 M$ estimés par la police de Toronto, mais supérieure aux 5,2 M$ US dépensés par la police de Détroit pour équiper 1500 policiers.

Le cas de Détroit donne d'ailleurs des résultats plutôt positifs, selon un média local.

Malgré les réserves, le SPVM se garde d'émettre des conclusions aux élus de Montréal. Le rapport sera présenté au public lors d'une séance de la Commission de la sécurité publique, le 1er février.

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