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L'Heptade, sous un nouveau ciel (VIDÉO)

L'Heptade, sous un nouveau ciel

L’Heptade est un trésor du patrimoine québécois. Cet album, possiblement le plus accompli des trois galettes du légendaire groupe Harmonium, a eu 40 ans en novembre. Des bandes maîtresses originales de l’album, que l’on croyait perdues à jamais, ont été retrouvées par des employés de la maison Sony Music. Le bonheur. On pouvait enfin remixer cet album. Entrevue avec les fondateurs du groupe, Serge Fiori et Louis Valois dans les bureaux montréalais du label.

À l’époque, des nuages rouge-orangé accompagnaient les chansons rock de cet ambitieux album double, qui allait s’avérer le dernier disque d’une sorte de trilogie qui a marqué le Québec. Dès la sortie du disque éponyme, en 1974, une myriade de mélomanes est tombée littéralement sous le charme de la musique d’Harmonium. Si on avait besoin d’une cinquième saison, paru l’année suivante, n’avait fait qu’alimenter cette passion. Aujourd’hui, ce ciel rouge, qui habillait la pochette de l’album, s’est transformé. À vrai dire, il est passé au bleu.

«En gros, le bleu des nuages a été inspiré d’un événement marquant : l’élection du Parti québécois au pouvoir, le 15 novembre 1976, même date que la sortie de L’Heptade, raconte l’auteur-compositeur-interprète Serge Fiori. Après 40 ans, c’était aussi important d’offrir un contraste. Tout ça a muri. On a choisi de passer du rouge au bleu pour donner l’impression que quelque chose a évolué.»

«On s’en souviendra toujours de cette journée, renchérit le bassiste Louis Valois. On était en tournée à Caraquet [Nouveau-Brunswick]. Avant le show, on a demandé au promoteur de placer une télé [caché des spectateurs] dans la salle afin qu’on puisse suivre les élections.»

La naissance

L’Heptade existait déjà avant la création du premier album d’Harmonium. Du moins, Fiori avait des ébauches. Or, l’auteur a tardé à peaufiner celles-ci pour les diffuser. De toute façon, au début des années 1970, ce qui importait vraiment pour les fondateurs d’Harmonium, c’était de trouver un label voulant s’associer à Serge Fiori, Louis Valois [qui a reçu un coup de téléphone de Serge en 1973] et Michel Normandeau.

«Les compagnies nous faisaient faire des maquettes, explique Fiori. Mais tout le monde trouvait les chansons trop longues. Des tounes de 10 ou quinze minutes, c’était impossible… On me disait notamment qu’il y avait trop de répétition dans mon écriture. Je ne comprenais pas. Si on m’enlevait ça, il ne restait plus rien, sti! (rires) C’est comme enlever des mots à un poème. C’était ma façon d’écrire… Finalement, c’est le label torontois Quality Records, qui sortait surtout des albums de disco américain, qui a été intéressé.»

Harmonium prenait vie.

Les sept pays de L’Heptade

«Je n’ai jamais rien compris à L’Heptade», a écrit le vieux chum et acteur Luc Picard, en introduction d’un texte publié dans le livret de L’Heptade XL. Une façon bien personnelle et savoureusement ironique de dire à quel point il apprécie l’œuvre des membres d’Harmonium. «L’Heptade, c’est tellement ça, de dire Fiori en riant. On se voit souvent Luc et moi. On parle toujours du sujet après quelques viatiques. Il me demande d’expliquer L’Heptade… Quand je viens pour lui raconter, je me dis toujours fuck!» (rires)

Serge Fiori s’est longuement intéressé aux religions. Il a même étudié le sujet. Selon lui, le chiffre sept est un thème récurant en théologie. L’homme vit sept niveaux distincts à travers ses comportements. Tous ces niveaux seraient mélangés à des degrés d’intensité divers, en même temps, selon l’expérience ou la rencontre. Gros problème d’après l’auteur, ces niveaux ne peuvent pas se vivre en chanson.

Ainsi, le leader du groupe a concrétisé ce concept passablement ésotérique en l’adaptant à une expérience personnelle. C’est à la suite d’un coma [lié à la consommation abusive de substances] qu’il a exploité cette thématique du sept et de l’idée de l’éveil conscient.

«J’ai fait ça seul. J’ai consulté des livres. J’ai fouillé dans les niveaux de conscience; les chakras [la survie, la créativité et la sexualité, le pouvoir, le cœur, la communication, la lumière puis la divinité]; la méditation… À travers une expérience personnelle, j’ai essayé de raconter les sept niveaux de conscience. Hept signifie sept. L’Heptade devient comme un voyage vers une conscience plus élaborée. Parce qu’on vit trop dans nos malaises. Chaque niveau se bloque régulièrement dépendamment de ce que l’on vit. Donc, c’est ça en gros.

«C’est pas simple, hein?, envoie-t-il avec un sourire. C’est une espèce de mouvement bouddhiste pour arriver à une certaine vérité, à un certain bien-être. La vraie religion devrait être ça : réussir à unir ces sept niveaux. La religion, c’est d’abord vivre maintenant et être cent pour cent soi-même. Et c’est dur. C’est comme si je m’étais imaginé un voyage dans sept pays. C’est l’histoire d’un homme qui explore sept tableaux [pensons aux pièces Comme un fou et Comme un sage]. Qui suis-je pour parler de la sagesse? Je suis le gars le moins sage que je connaisse… Il fallait que je passe par un point de vue personnel. Quand j’avais fini un show qui impliquait les tounes de L’Heptade, j’avais vraiment l’impression de passer à travers mes osti de chakras. Un vrai malade!»

heptade

Pour Louis Valois, L’Heptade a toujours été une offrande pouvant s’adapter à l’histoire de chacun. «On a parlé un peu des textes ensemble, à l’époque, mais pas tant que ça. Quand j’ai lu les paroles la première fois, je me suis dit que c’était vraiment quelque chose d’unique. Je pense que chaque individu y trouve sa lecture. Ça parle d’émotion. Pour la musique, on a plongé de façon spontanée. C’est venu naturellement. Avec du recul, on se rend bien compte que c’était très sérieux pour des jeunes dans la vingtaine. J’ai toujours trouvé que l’album précédent était la prémisse à L’Heptade. On s’est laissé porté par quelque chose de grand. Picard l’a bien expliqué, c’est l’album de sa vie, mais il ne comprend rien…»

À Saint-Césaire

L'enregistrement de L'Heptade s’est fait notamment dans la maison de Serge Fiori, à Saint-Césaire (qu’il partageait à l’époque avec Michel Rivard). Des maquettes, conçues par Fiori et le claviériste Serge Locat, ont été bonifiées ensuite par le bassiste Louis Valois et le batteur Denis Farmer. Certaines personnes, dont Monique Fauteux, ont prêté leur voix. Pierre Bertrand, Richard Séguin et Estelle Ste-Croix ont aussi participé aux chœurs. Le guitariste Robert Stanley et Libert Subirana (cuivres et instruments à vent) se sont joints à l’Aventure. Neil Chotem a par ailleurs enregistré des sessions orchestrales à la salle Claude-Champagne.

Malgré le fait que les sept chansons de L’Heptade n’ont pas connu de succès commercial à la radio, elles ont ravi les gens qui ont acheté l’album en grand nombre. Le groupe avait écoulé 50 000 exemplaires en quelques semaines. En moins d’un an, Harmonium en avait vendu plus de 100 000 copies. Aujourd’hui, le groupe a écoulé plus de 200 000 albums de L’Heptade, selon l’agent du groupe.

L’Heptade, d’une durée de près d’une heure et demie, a été le dernier album studio d’Harmonium.

Les bandes maîtresses

Ce remixe de L’Heptade, Serge Fiori et Louis Valois l’expliquent de deux manières. D’abord, ils n’avaient jamais été satisfaits du mixage. Ensuite, ils ont su récemment que les bandes d'origine de L'Heptade, qu'ils croyaient disparues, avaient été retrouvées par des employés de la maison de disque Sony. Toute cette période est clairement expliquée dans le livret inclus dans le CD ou le coffret de luxe.

«Quand on a su qu’on avait les bandes, on était très excité, mais en même temps perplexe, affirme Valois. Devions-nous toucher à L’Heptade? Finalement, on a choisi de le remixer, sans transformer le disque. On a numérisé les bandes, surtout pour apporter un traitement aux voix. Sur certains passages, on n’entendait quasiment pas Serge. On faisait même des blagues à ce sujet…»

«C’est vrai que ça ressemble à un coup monté, ajoute-t-il. Mais, non. De toute façon, le remixe ont l’avait dans la tête depuis longtemps, tout comme le film [Viens voir le paysage, créé par Marcella Grimaux et l’équipe 4U2C, est offert en DVD; il contient des animations et des images captées d’un spectacle livré lors de la tournée de L’Heptade en 1977].»

Bien que les deux hommes étaient d’accord pour ne pas transformer la musique de l’album, ils ont néanmoins apporté quelques modifications.

«Sur Le Corridor, par exemple, on a refait une portion, indique Fiori. On a enregistré un duo avec Monique Fauteux. J’avais toujours voulu faire ça sur l’album… On a aussi mis en avant les voix, qui étaient souvent étouffées. Ce qui était très important, c’était de ne rien fucker de l’album, qui avait déjà une longue vie!»

On retrouve aussi sur le nouvel album la pièce inédite C’est dans le noir, qui n’avait jamais été enregistrée en studio. Ce morceau était proposé par le groupe en ouverture de concert, durant la tournée de L’Heptade. «La toune servait en quelque sorte à calmer le monde dans la salle, explique Fiori. Parce que c’était souvent fou en criss pendant les shows. Ça fumait en maudit, ça criait, ça arrivait quasiment déguisé. C’est dans le noir, c’était le moment zen avant le party.»

Le futur

Bien entendu, tout le monde s’est demandé pour quelle raison Serge Fiori avait pris tant d’années avant de proposer, en 2014, de nouvelles chansons. Certes, il a créé d’autres musiques, comme pour le superbe projet Fiori-Séguin, mais force est d’admettre que l’attente a été longue.

«Je fonctionne toujours de la même façon, et cette façon était sur le break. J’écris d’un jet. Je ne peux pas travailler en étapes. Le reste du temps, je ne fonctionne pas comme créateur. Ça prend une lumière, un buzz. C’est un peu dramatique ou ésotérique, mais c’est ça. Quand ça ouvre, tout peut sortir… Ç’a pris du temps. Au moins, j’ai pu sortir un nouvel album, il y a deux ans [le disque titré simplement Serge Fiori a connu un impressionnant succès, à la fois critique et commercial]. Il a fait du bien ce disque.»

Questionné quant à la possibilité d’un retour d’Harmonium sur les planches, du moins pour un concert spécial entourant L’Heptade, Louis Valois répond de manière nuancée :

«Non, pas de show pour L’Heptade. Mais, il y aura autre chose…»

«En fait, on ne veut pas retoucher à L’Heptade, poursuit Fiori. Il est à une place toute spéciale et on ne veut pas le déranger.»

Ça frise le divin.

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Harmonium

L’Heptade XL

Sortie le 18 novembre

Sony Music

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