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La société est-elle un danger pour la culture?

La société est-elle un danger pour la culture ? La question se pose ! Hannah Arendt, théoricienne de la pensée politique présente, dans son ouvrage(1961), des éléments qui nous permettent de nous questionner sur la validité d'un tel danger. Procédant à une réflexion historique, philosophique et sociale, l'auteure tente de nous persuader que « les sociétés » sont une menace pour l'art et la culture. Qu'en est-il vraiment ?
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La société est-elle un danger pour la culture ? La question se pose ! Hannah Arendt, théoricienne de la pensée politique présente, dans son ouvrage Between Past and Future (1961), des éléments qui nous permettent de nous questionner sur la validité d'un tel danger. Procédant à une réflexion historique, philosophique et sociale, l'auteure tente de nous persuader que « les sociétés » sont une menace pour l'art et la culture. Qu'en est-il vraiment ?

Conséquence d'un conflit, - tirant son origine dans la relation qu'entretenaient l'aristocratie, la bourgeoisie et le peuple, - la crise de la culture s'est, en quelques siècles, étendue à toutes les classes sociétales. À l'époque de Louis XIV, la bourgeoisie, luttant pour le pouvoir économique et social face à la noblesse, décida d'utiliser la culture comme outil de raffinement, d'ascension hiérarchique et de distinction sociale. Cette exploitation, - exposée sous l'idée de philistinisme cultivé, ayant comme prémisse de se servir de la culture à des fins narcissiques de supériorité, - est présentée par Arendt comme l'émergence du danger sociétal pour la culture. En fait, selon l'auteure, l'objet culturel ne doit pas avoir de fonctions ou d'utilités, mais doit plutôt être intrinsèquement fabriqué afin d'« apparaître » au monde. Loin d'être du domaine de l'illusion ou du superficiel comme il serait facile de le croire, cette notion d'apparaître témoigne de l'esprit objectif qui anime (devrait animer ?) le monde humain. Or, l'objectivité nécessaire ne peut s'exercer qu'en présence d'un esprit totalement désintéressé, et ce désintéressement ne peut être que le résultat d'un individu totalement libre pour le monde, soit un individu qui a pourvu aux besoins de l'organisme vivant et qui conséquemment est délivré des nécessités de la vie.

De nos jours, la culture est confrontée à un problème similaire, mais à une échelle différente. Effectivement, le phénomène d'intégration du peuple à la « société », formant de facto et de jure une société de masse, combiné à l'accroissement des salaires et des temps de loisirs conditionnent les individus à la consommation. Ainsi, l'oisiveté, élément nécessaire à l'apparaître, s'est estompée au profit du divertissement et des activités ludiques. Cette « loisirification » de la société serait, selon Arendt, une des causes principales du danger qui menace la culture, car elle mènerait à la modification inévitable du contenu originel des œuvres culturelles, à l'usure de celles-ci et par conséquent à leur pourrissement, leur déchéance et leur désintégration.

Le phénomène raconté par Arendt en 1961, loin de s'être estompé, s'est aujourd'hui globalisé. À travers le monde, la culture est fonctionnalisée à des fins sociales, économiques et symboliques. L'apparition d'une panoplie de concepts (économie culturelle, tourisme culturel, etc.) et, subséquemment, leur opérationnalisation en sont de bons exemples. L'essor fulgurant des festivals, des espaces urbains dédiés au spectacle, des musées de type « signature » et, par conséquent, leur marchandisation démontrent que tout aujourd'hui est une question de fonction et d'utilité. Devant toute chose, objet ou activité, la première chose qui vient à l'esprit de l'individu est « que puis-je en retirer ? ». Tristement, la culture est à l'heure actuelle perçue et appréhendée comme un capital qui nous permet de se positionner socialement et/ou économiquement.

Cela dit, bien que nous pourrions faire plusieurs critiques à Arendt, notamment en ce qui concerne le paradoxe qui existe entre sa réflexion et son action (note #1) ou encore la question de l'intemporalité des œuvres, il n'en demeure pas moins que nous croyons également que la culture est en péril. Cependant, nous estimons que le vrai danger n'est pas celui de la disparition ou de la désintégration des objets culturels sur le plan physique, mais davantage la dénaturation, résultant, premièrement, des mauvaises perceptions et interprétations que nous en faisons et, deuxièmement, de leur utilisation à des fins individuelles ou collectives. À la lumière de ces révélations, la critique acerbe exercée par Arendt au sujet du fonctionnalisme culturel paraît assez juste et nous amène à nous interroger sur notre véritable relation à la culture...

** Note #1 -- En suivant ce qui est prescrit dans le chapitre VI de son ouvrage, soit l'importance du désintéressement et de la non-utilisation des objets culturels afin de préserver l'authenticité et l'essence de ceux-ci, il existe une contradiction du fait que son livre a une finalité, voire une utilité. Effectivement, sans l'utilisation de son ouvrage, à des fins d'éducation et de compréhension, il serait impossible, en tant qu'individu, de saisir pleinement le danger sociétal qui menace la culture et les objets culturels. Il s'agit là d'un paradoxe important qui semble difficile à surmonter.

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