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Ce n'est pas la réforme qui tuera le français au Québec

Pour citer René Lévesque: «Moi, j'suis écoeuré de parler de la langue. Dans une société normale, elle se parle toute seule, la langue.»
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Depuis plusieurs années, les commentaires foisonnent à propos de la prétendue crise du français. Deux syndromes seraient responsables de la chute de la langue: l'anglomanie, dont est coupable chaque francophone, et la crise orthographique, qui toucherait l'ensemble du corps social. Cependant, un seul responsable est accusé de trahison : l'enseignement. Les enseignants seraient laxistes et moins exigeants qu'avant. D'autant plus que l'effervescence médiatique sans cesse grandissante contribuerait à une crise de la culture.

Malgré l'opinion répandue, ce sentiment de crise n'est pas nouveau. En 1909, un premier ouvrage intitulé La crise du français était publié par Gustave Lanson et un second ouvrage du même nom, rédigé par Charles Bally, voyait le jour en 1930. Loin d'être caractéristique du français, l'idée de crise semble répandue au cœur de la majorité des langues de culture des pays développés. Même si les données manquent face à ce concept de crise, les informations recueillies par une étude française (1973) tendent à prouver que le niveau des aptitudes orthographiques serait resté le même. De plus, un nombre sans cesse croissant d'élèves accèdent et complètent des études supérieures.

La langue est soumise à une mouvance perpétuelle même si l'évolution s'effectue lentement. Par exemple, plusieurs dizaines de milliers de mots sont créés chaque année dans le domaine scientifique. Le lexique français est constamment en mutation. En outre, le français est une langue plurielle. Le français parlé en France n'est pas le même que celui parlé au Sénégal ni même au Québec. Cela tend à accentuer l'insécurité ressentie par le francophone, qui voit ses repères s'écrouler, et cela renforce cette impression de «crise du français».

Quatre événements peuvent concrètement expliquer cette mobilité : la nouvelle relation entre l'oral et l'écrit, la crise de la civilisation dans les années quatre-vingts, la restructuration de la stratification sociale des trois dernières décennies et la nouvelle place qu'occupe le français sur le marché linguistique international.

Ce n'est pas la langue elle-même qui est en crise. Elle n'est que manifestation dans un monde en perpétuelle transformation. Comme toute chose, elle s'adapte et emprunte de nouvelles trajectoires et le constat devant être fait ne doit pas être négatif. Inutile de partir en vrille sous prétexte que nous pourrons dorénavant écrire «ognon» au lieu d'«oignon».

Nous devrions plutôt nous attarder à la mort lente du français en sol québécois. Cette mort, qui tue la langue tranquillement, à notre insu, à tous les coins de rue de la métropole lorsque nous sommes incapables de recevoir un service en français. Cette langue, si riche, qui s'appauvrit pour emplir les coffres de la langue anglaise. Cette langue, qui est aujourd'hui à genoux et qui sera écrasée demain, en faillite.

Au début, on nous disait : «Ça se limite au centre-ville ! Aux métros McGill et Peel !» Je le croyais. Jusqu'à temps que je déménage à Montréal. Jusqu'à temps que je réalise qu'on me disait «Hi!» avant de me dire «Bonjour», souvent, trop souvent. Jusqu'à temps que mon refus obstiné de répondre à l'anglais par l'anglais frappe un mur.

Ensuite, on nous a dit : «Ouais, mais ce n'est pas grave ! Ça nous fait pratiquer notre anglais !» Combien de fois l'entendons-nous, celle-là ? Pratiquer son anglais grâce au français. Non, mais je rêve. Si vous voulez pratiquer votre anglais, allez séjourner aux États-Unis. Regardez vos séries sur Netflix en anglais. Lisez des livres dans la langue originale de l'auteur. Amusez-vous à traduire des paroles de chansons. Ça, ça fait pratiquer. Répondre en anglais à la vendeuse chez GAP sur Sainte-Catherine ne vous fait pas pratiquer votre anglais.

De toute manière, pourrions-nous pratiquer notre français avant tout ?

En travaillant quelques années à l'hôpital, j'ai vu croître le nombre de jeunes enfants ne comprenant pas un traitre mot de français. Des jeunes à qui l'on disait «Allô ! Comment ça va ?» sans qu'ils ne sachent ce que cette suite de mots signifiait.

Nous allons au restaurant et nous nous faisons demander : « Hi, English or French?» Pas «English ou français / Français or English». Lorsque les anglophones vont à Paris, ils sont heureux de dire qu'ils ont marmonné un piètre «Bonjour mademoiselle». Lorsqu'ils sont ici, ils exigent d'être servis en anglais, en plus de rire de ceux ayant un piètre anglais.

Pour citer René Lévesque : «Moi, j'suis écoeuré de parler de la langue. Ç'a pas de bon sens de placoter autour de la langue qu'on parle. Dans une société normale, elle se parle toute seule, la langue.»

Alors, de grâce, même si l'oignon fait pleurer, laissez-le tranquille. Nous pouvons, et nous devons, pleurer pour autre chose de beaucoup plus important, car bientôt, ce n'est plus à l'hôpital que nous irons rendre visite à la langue française au Québec, c'est au cimetière.

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