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Toutes ensemble: à la croisée des luttes des femmes du local à l'international

En tant que militante féministe, j'ai rencontré des mouvements de femmes aux quatre coins du monde et dans autant de régions de mon pays natal. Voici quelques réflexions que je tire de mes expériences.
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Ce billet du blogue Un seul monde, une initiative de l'AQOCI et du CIRDIS, a été écrit par Miriam Nobre, membre de l'équipe de la Sempreviva Organização Feminista (SOF) [Organisation féministe toujours vivante] et coordonnatrice du Secrétariat international de la Marche mondiale des femmes (MMF) de 2006 à 2013 au Brésil. Elle est l'invitée de l'Association québécoise des organismes de coopération internationale (AQOCI) comme conférencière principale des 19e Journées québécoises de la solidarité internationale (JQSI).

En tant que militante féministe, j'ai rencontré des mouvements de femmes aux quatre coins du monde et dans autant de régions de mon pays natal. Y ai-je observé des antagonismes ou au contraire, des points de jonction? Voici quelques réflexions que je tire de mes expériences.

En 2010, dans plus de 70 pays à travers le monde, des milliers de femmes ont marché sous le slogan «Tant que toutes les femmes ne seront pas libres, nous serons en marche!». Elles portaient des revendications autour de quatre champs d'action: autonomie économique; bien commun et services publics; violence envers les femmes; paix et démilitarisation. Certaines actions régionales ainsi que la clôture internationale se sont donc déroulées dans des zones de conflits armés.

Le militarisme, le patriarcat et le capitalisme: outils de contrôle du corps des femmes et de leurs territoires

Lorsqu'on parle de militarisme, des questions cruciales se posent: comment la violence envers les femmes se transforme-t-elle en arme de guerre? Comment la division sexuelle du travail se reproduit-elle dans la société en une dichotomie femmes aux services, hommes aux armes? Et surtout, comment le contrôle de la nature et des territoires est-il à la base des conflits?

Durant sept ans, j'ai observé les conflits larvés en Colombie et en République démocratique du Congo (RDC), la réalité des peuples kurdes, sahraouis et palestiniens, tous privés de leurs territoires, ainsi que la situation précaire des communautés des Philippines affectées par la présence des bases militaires américaines. J'ai pu observer comment la géopolitique se traduit concrètement dans la vie des femmes et comment les transnationales et même les institutions multilatérales (Fonds monétaire international, Banque mondiale, ONU) contrôlent stratégiquement les ressources, n'hésitant pas à utiliser copinage, propagande ou violence, entraînant la division au sein des communautés.

Miriam Nobre anime un rassemblement de la Marche mondiale des femmes au Brésil en 2015

On peut sûrement étudier ces phénomènes à distance en se documentant et en participant à de grandes rencontres internationales; moi, j'ai appréhendé cette réalité auprès des femmes qui la vivent. Avec elles, chez elles. Je les ai vues menacées, parfois anéanties. De façon répétée, d'un pays à l'autre, j'ai saisi qu'il n'est pas question de hasard. Peu à peu, j'ai reconnu des similitudes entre le contrôle des territoires et celui du corps des femmes.

J'ai compris qu'elles sont plus vulnérables et subissent plus fortement l'impact du saccage de leurs territoires; que les mécanismes par lesquels le capitalisme, dans sa logique d'accumulation par dépossession, s'ancre dans le patriarcat. Après un tel constat, il m'a fallu retourner aux sources, aux réalités de mon pays, le Brésil, et de ma ville, São Paulo, pour comprendre comment le militarisme exerce son contrôle sur les femmes chez nous.

Négociations des femmes pour accéder à la terre et aux ressources: du couple au gouvernement

Mon travail actuel au sein de la Sempreviva Organização Feminista (SOF) au Brésil ne peut être plus local. J'anime des formations en économie féministe et solidaire auprès de groupes de femmes. J'offre de l'assistance technique en agroécologie à des femmes paysannes, autochtones et quilombolas (issues de communautés rurales d'origine africaine) vivant dans une zone de forêt tropicale, la Mata Atlântica. Après des années vouées à soutenir la résistance des femmes dans des contextes très violents, je voulais m'investir dans la construction d'alternatives et le renforcement des résistances au modèle unique de production industrielle en agriculture, car celle-ci est la culture de la vie!

Je rencontre tous les jours des femmes qui détiennent des connaissances de pointe en agriculture en harmonie avec la nature, mais aussi d'autres femmes qui sont dépossédées de ce savoir traditionnel. Beaucoup d'entre elles se trouvent dans des relations conjugales très oppressives. Il n'est pas rare que l'on doive terminer la réunion plus tôt parce qu'elles se sentent obligées d'arriver chez elles avant leur mari. Chaque décision que l'on prend ensemble implique de les soutenir dans de pénibles négociations avec leur conjoint concernant l'usage de leur lopin de terre. La surcharge de travail et de responsabilités s'ajoute au tableau, ces femmes ayant aussi à charge enfants, parents malades et âgés.

Afin de leur offrir un espace de concertation où tous les mouvements ruraux du pays peuvent se réunir, nous avons créé le Groupe national de travail des femmes en agroécologie. Ensemble, nous avons fait adopter plusieurs politiques publiques pour renforcer l'autonomie économique des paysannes. Par exemple, nous avons entre autres contribué à ce que le budget gouvernemental d'achat de la production agricole inclut des quotas pour la production des femmes.

Nous avons aussi réclamé que 50% des programmes d'assistance technique soient offerts aux femmes et que 30% des ressources octroyées soient réservées aux femmes. C'est une lutte constante que de s'assurer que les politiques nationales s'appliquent réellement sur le plan local et qu'elles tiennent compte des femmes, sans compter que ces politiques sont menacées par la crise politique actuelle au Brésil.

Du local à l'international: des dynamiques qui se renforcent mutuellement

Je me retrouve ainsi à la croisée des luttes locales et internationales. Il m'apparaît clairement qu'on ne doit pas les opposer. Nous avons besoin des deux, et ce, de façon articulée.

Par exemple, cette année a eu lieu la quatrième action internationale de la Marche mondiale des femmes (MMF) et je me suis retrouvée activiste... locale. Au Brésil, nous avons décidé d'agir de façon décentralisée, dans des territoires où se déroulent des luttes concrètes. Ainsi, nous sommes allées au nord de Minas Gerais, une zone aride où les compagnies minières canadiennes et chinoises, notamment, utilisent l'eau de façon irresponsable. Dans cette région, les femmes se mobilisent donc pour faire respecter un droit fondamental: l'accès à l'eau. À Rio de Janeiro, nous avons dénoncé la criminalisation de la pauvreté - avec répression policière - dans un contexte de spéculation immobilière en plein essor du tourisme sportif (Coupe du monde de football de 2014, Jeux olympiques de 2016).

Heureusement, nous partageons aussi nos victoires. Une action menée à la frontière du Rio Grande do Sul, appelée «le printemps des corps et des vies des femmes», a suscité un débat nécessaire sur la question de l'avortement avec nos consœurs d'Uruguay, où l'avortement a été récemment légalisé.

Le sentiment d'appartenance à un mouvement international nous rend plus fortes. Cela brise l'isolement, car nous savons qu'il y a des femmes qui résistent et qui mènent des alternatives très créatives localement, partout dans le monde.

N'hésitez pas à contacter Charles Saliba-Couture, fondateur et coordonnateur du blogue Un seul monde, pour en savoir davantage sur le blogue ou connaître le processus de soumission d'articles.

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