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L'adolescence silencieuse

Nous avons tous une part de responsabilité dans l'éducation et le bien-être de nos jeunes. Il est de notre rôle en tant que parent, éducateur, coach, voisin ou simple citoyen de veiller sur eux et les aider à discerner ce qui est acceptable de ce qui est inadmissible. C'est à nous de les rassurer et de leur faire comprendre que, contrairement à leur croyance, cette médisance, cette exploitation, ces abus et cette violence ne sont pas «normaux». Mais pour cela, nous devons d'abord entendre leur désespoir.
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L'adolescence est une période souvent jugée difficile dans le parcours de tout individu. Cependant, traverser cette étape cruciale de la vie, dans le contexte social actuel, est devenu une épreuve particulièrement pénible pour beaucoup de jeunes. La disparition des repères identitaires traditionnels, l'évolution accélérée des mœurs ainsi que la transformation des valeurs sociales contraignent ces jeunes à trouver leurs propres marques et à s'adapter continuellement aux changements. L'évolution des pratiques sexuelles et des comportements relationnels entre les hommes et les femmes sont très révélateurs à cet égard. Plus que jamais, les jeunes baignent dans un environnement hyper sexualisé relayé par les médias à travers les vidéo-clips, la publicité et l'omniprésence d'une pornographie sous-jacente.

Les jeunes filles sont particulièrement touchées par le phénomène et subissent une pression énorme afin d'être dans le coup. On ne valorise plus leur intelligence, leurs compétences ou même leur créativité, mais bien leur aptitude à susciter le désir. Imitant les personnalités aux allures de petites dévergondées qu'elles prennent comme modèle, ces jeunes femmes apprennent très tôt à séduire et à s'offrir. À s'offrir comme des objets consommables et jetables.

Ainsi, poser en sous-vêtements sur des médias sociaux comme Facebook est devenu monnaie courante et constitue parfois même un passage obligé afin d'être accepté dans un groupe ou une communauté. Les effets négatifs de ces comportements sur l'estime et la confiance en soi sont catastrophiques. Malgré leur arrogance provocatrice, leur «je-m'en-foutisme» affiché, la réalité à laquelle font face ces jeunes filles est loin de ressembler à un conte de fées.

En tant que mère de trois ados, dont des jumeaux-jumelle de 18 ans, j'apprécie voir ma maison grouiller de jeunes qui y trouvent parfois un refuge, ou simplement un endroit pour s'y poser quelques instants avant de se précipiter de nouveau dans le tourbillon de la vie.

La maison est ouverte à tous à condition d'y respecter quelques règles simples: on sonne, on enlève ses chaussures qu'on va déposer dans le garage, on passe au lavabo pour se laver les mains et on salue tous ceux présents. Chacun connait les consignes et les respecte!

Ainsi, les jeunes vont et viennent, s'assoient à la table familiale ou s'installent allègrement autour de l'ilot de la cuisine afin de me confier quelque angoisse ou me livrer quelque secret, dont ils ne savent que faire.

Les discussions avec cette ribambelle de jeunes sont toujours très animées. Censure et tabous sont exclus, favorisant les débats sur toute sorte de sujets qui autrement auraient été écartés. Je me dois les provoquer parfois, afin de comprendre ce qu'ils vivent réellement. Nombreux sont ceux qui m'avouent ne jamais avoir l'occasion de parler de sexualité, d'amour ou de relations homme/femme à leurs parents. Autant de sujets délicats qui les préoccupent. Quel dommage!

Il est pourtant absolument fascinant d'écouter leurs propos. Leurs besoins d'affection, de reconnaissance et d'acceptation n'ont fondamentalement rien de différent de ceux que nous avions à leur âge. Par contre, la complexité de leurs problèmes, l'étendue de leurs questionnements et la nature de leurs angoisses ne sont en rien comparables.

Combien de parents ont connaissance des activités de leurs enfants? Combien connaissent leur intimité? Je me sens, à cet égard, privilégiée de partager tout autant leur quotidien que leurs rêves.

Cependant, quel devrait être le rôle d'un adulte envers ces jeunes dans de telles circonstances?

Lorsque ma fille me montre une photo de sa copine vêtue de lingerie osée et servant des bières chez Hooter's... quelle devrait être ma réaction? Lorsqu'on me met au courant des rebondissements du dernier «chill-in»... devrais-je m'indigner? Apprendre qu'une gamine vient de subir son troisième avortement, ou que trois filles que je connais depuis la maternelle ont subi des viols collectifs avant même d'avoir atteint l'âge de la majorité me donne-t-il le droit de me révolter? En tant qu'adulte, je m'arroge sans aucun scrupule ce droit, qui est pour moi également un devoir, car je sens gronder en moi la louve protectrice. Nous ne sommes ni en Afrique du Sud ni en Inde, mais bel et bien dans une banlieue cossue montréalaise.

La franchise avec laquelle ma fille ou ses amis (es) me livrent leurs récits est à la fois choquante et bouleversante. Leur besoin de partager ce qui pèse si lourdement sur leur petit cœur est criant.

Comment ces aventures tragiques peuvent-elles être tues? Pour quelle raison autant de parents restent-ils dans l'ignorance? À qui la faute? Que celui ou celle qui ne se sent pas concerné par ces enfants se lève!

Nous avons tous une part de responsabilité dans l'éducation et le bien-être de nos jeunes. Il est de notre rôle en tant que parent, éducateur, coach, voisin ou simple citoyen de veiller sur eux et les aider à discerner ce qui est acceptable de ce qui est inadmissible. C'est à nous de les rassurer et de leur faire comprendre que, contrairement à leur croyance, cette médisance, cette exploitation, ces abus et cette violence ne sont pas «normaux». Mais pour cela, nous devons d'abord entendre leur désespoir.

En prétextant l'écart entre générations, les folies de jeunesse ou encore l'incompréhension naturelle entre adultes et adolescents, nous fermons volontairement les yeux sur leur réalité. Laissés à eux-mêmes, ils subissent, encaissent et vivent ce qu'ils ne devraient jamais connaitre. Se sentant obligés de reproduire les modèles que notre grande et belle société, soi-disant libérée, leur impose, ils apprennent, souvent à contrecœur, à copier des comportements relationnels tordus dont ils sont témoins et en deviennent, par ricochet, des victimes.

Certains sociologues sonnent déjà l'alarme. Les jeunes souffrent silencieusement dans notre monde d'adultes.

Que pouvons-nous faire? Je n'ai ni solution miracle, ni recette magique. Mais je sais une chose: peu de jeunes osent ouvrir leur cœur et partager leurs secrets, car ils ont peur des représailles. Ils restent muets parce que nous sommes toujours derrière leurs dos à les réprimander ou leur indiquer ce qu'ils devraient faire... ou ne pas faire. Si nous nous taisions pour changer, et si nous les écoutions?

Quand le silence s'installera enfin, l'espace propice pour recevoir leurs confidences apparaitra. Et c'est seulement à partir de l'instant où la confiance naitra qu'il sera possible de comprendre et guider nos jeunes. Nous ne pourrons sans doute jamais changer le monde ou corriger d'un simple coup de baguette magique les aberrations auxquelles nous assistons.

Même si l'adolescence demeurera toujours une période difficile à traverser, en aucun cas ne devrait-elle être vécue comme un cauchemar dont on ne se réveille jamais. Nous devons donc être prêts à bercer nos ados encore un peu.

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