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Lettres persanes 2.016: «En Iran, les êtres humains sont comme nous»

Ce second article de la série Lettres persanes 2.016 est finalement le premier sur l'Iran. Ces quelques instantanés ont été autant source d'étonnement que de remise en question de ce que nous avions toujours imaginé/pris pour l'Iran et le peuple iranien. Première étape: la capitale, Téhéran.
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Cette histoire d'Iran est la nôtre. Deux quidams pour qui, plus jeunes, un Shah était un fabuleux animal de compagnie, deux amis qui, en grandissant, se sont mis à rêver de traverser les rues de Persepolis, victorieux de Darius Ier, deux amis, qui finalement n'ont connu la Perse qu'à travers le regard d'écrivains, d'historiens ou les médias.

Cette histoire, nous vous la livrons tel que nous l'avons vécue afin que vous puissiez partager la découverte de ce pays singulier et envoutant.

Relisez notre premier article relatif aux préparatifs du voyage: Comment nous avons décidé de partir en Iran sur un coup de tête

- Crédits: Guillaume Allard

Ce second article de la série Lettres persanes 2.016 est finalement le premier sur l'Iran. Ces quelques instantanés ont été autant source d'étonnement que de remise en question de ce que nous avions toujours imaginé/pris pour l'Iran et le peuple iranien. Première étape: la capitale, Téhéran.

Instant empirique numéro 1: humour grinçant

Notre voyage s'est déroulé du 5 au 16 mai et nous avons emprunté la compagnie Alitalia pour rejoindre l'Iran. C'est donc tout naturellement que nous fîmes escale à Rome où 4h30 nous séparait encore de l'inconnu.

Nous sommes à Téhéran, il est 3h du matin et nous arrivons à l'hôtel. Thomas est toujours déterre: il apprend que son sac est resté chiller autour du Colisée - «Quel bizuth !», pour ma part je suis dead.

«On n'a plus la chambre avec les deux lits simples...» nous dit le standardiste, de l'autre côté du comptoir, avant de rajouter, textuellement: «mais j'ai un lit double qui ira parfaitement pour deux gais comme vous»: je m'étouffe, regarde Thomas qui lui me regarde puis s'étouffe.

- «Chef, le mec n'a juste pas dit ça ??!! C'est pas possible», baragouinais-je tandis qu'un gros malaise arrivait. Depuis quand parle-t-on ouvertement d'homosexualité alors que cette dernière est punie de la peine de mort. Chose étrange, toutefois, la transsexualité est, elle, autorisée, en raison du vide théologique laissé par le coran à ce sujet.

- «Si si il l'a dit», me dit répond Thomas.

Coup de pression, déroute, alerte rouge: comment réagir? Est-ce un piège? Veut-il nous tester? Y a-t-il des micros? Est-ce une scène de caméra cachée? C'est FAUX en plus!

Le type explose de rire et nous donne les clefs.

«Peuté d'peuté , l'salop» - Fatigués nous montons à la chambre: nous avons bien un lit double pour deux. En Iran, deux hommes dans un lit sans lien de parenté peuvent être condamnés à la prison à perpétuité.

Il rit encore.

Instant empirique numéro 2: escapade montagnarde

- Crédits: Guillaume Allard

Aujourd'hui, c'est vendredi et le vendredi en Iran c'est le dernier jour du weekend. C'est comme un dimanche dans une ville de province: dead, vide, triste. Nous profitons néanmoins de cette journée pour découvrir Téhéran.

La ville s'organise en quartiers: le quartier de la hifi, le quartier high-tech, le quartier des scoots, le quartier des plombiers, le quartier des tuyaux, le quartier des banques, le quartier des luminaires, le quartier des trucs, le quartier des machins... «bizarre et peu pratique» me dis-je, surtout que les produits sont tous identiques. Les rues sentent le gazole. L'air est abondamment pollué.

Ainsi, après avoir déambulé dans la ville à la recherche d'eau salvatrice (à Téhéran il fait 30 degrés en mai), observé le ministère des Télécommunications qui, orné de paraboles et antennes pointées en tous sens, espionnent malignement les réseaux de communication du pays, et dit bonjour aux autruches du parc e-Shahr, nous décidons d'aller à Darband au nord de Téhéran. S'y réunissent familles, amis, amants.

Nous descendons dans les boyaux du métro. Premier constat, les transports sont bien plus propres et modernes que leurs homologues parisiens.

Les lignes, au nombre de 5, desservent seulement 1/4 de la ville. L'agrandissement du réseau souterrain devrait comprendre 9 lignes d'ici à 2028. Comme dans les pays arabes, les rames sont divisées entre les wagons pour hommes et couples qui daubent la sueur et les espaces dédiés aux femmes seules ou accompagnées d'enfants.

«Mais ils ont des iphones!

Mais ils sont sur whatsapps! regarde il a le nouveau galaxy, je veux le même!

Regarde-lui, il est en live sur Periscope

bolala et lui là avec sa copine, ils se tiennent par la main!

Caraï ! Mais ils sont normaux!»

Dans les rames des vendeurs à la sauvette vadrouillent en essayant de se débarrasser de leurs marchandises: s'y échangent Rials iraniens contre des piles, des chaussettes, des chewing-gums, des selfie-sticks, des coques d'iPhone...

Arrivés à Darband, nous nous dirigeons vers la montagne et prenons le premier chemin rencontré. Là encore, des scènes de vie inattendues nous surprennent et chatouillent nos préjugés. Des groupes mixtes de jeunes, parlent, rient, marchent. Des couples prennent la pose devant des montagnes, des groupes pique-niquent, d'autres écoutent de la musique tandis que d'autres se détendent en fumant une chicha dans les cafés aux abords du chemin. S'en dégagent une incroyable sérénité, des plaisirs non feints, des scènes de vie classiques.

Instant empirique numéro 3: avoir du flair

- Crédits: Guillaume Allard

Cheveux teints, cheveux châtains, cheveux blonds, cheveux verts, cheveux clairs, cheveux bouclés, cheveux tressés, cheveux roses, lèvres roses, lèvres rouges, yeux verts, yeux bleus, yeux persans, traits fins, traits beaux.

«Mais elles ont l'air d'avoir tellement de problèmes au nez ici

- elles doivent se faire tabasser! »

De nombreuses adolescentes croisées dans la rue et quelques mecs ont des pansements sur le nez. Après avoir investigué et posé une multitude de questions candides nous avons obtenu la réponse qui peut se résumer ainsi:

«t'as raté ta scolarité quand t'as pas le nez refait à 15 ans», autrement dit t'as pas d'amis

«ah moi j'avais une game boy color et pokemon»

«bah voilà ».

Loin des clichés rigoristes, Téhéran se veut le centre d'une contestation populaire silencieuse où les femmes prennent soin d'elles. Elles arborent un voile léger, accessoire de mode coloré, posé sur le chignon pour protester contre une société encore trop patriarcale. Un apparat distingué qui laisse apparaître de ravissants visages.

Métro, places, rues, ponts, l'Iran séduit, l'Iran envoute, l'Iran ensorcèle.

Regards en coin, sourires échangés, signes de la main.

Instant empirique numéro 4: pure sympathie

- «C'est bizarre, trop de gens viennent nous parler

- Carrément, j'ai pas un truc de bizuth sur la gueule?

- Enlève ta pomme de terre Emile» je ris...

Au début, la stratégie est la fuite puis elle se mue en «je ne te comprends pas gros» puis en «quoi encore?» et finalement nous baissons la garde.

Les gens sont simplement sympathiques et cools mais aussi curieux. À vrai dire ils sont intrigués: d'où vient-on? Quel âge a-t-on? que fait-on? que pense-t-on de l'Iran? et ce qui est encore plus louche c'est qu'ils ne veulent rien nous vendre!

Les jeunes pour la plupart viennent juste nous parler, ils veulent aller à l'étranger, ils ont déjà des frères, sœurs, cousins, parents, oncles, aux États-Unis, au Canada, en Europe... ils se demandent si l'ouverture du pays aura des effets positifs sur le tourisme, si le monde changera d'avis sur leur pays. Ils nous semblent avides de changements, de transformations et d'ouverture... Paradoxal pour un pays pierre angulaire de la route de la soie.

Nous pouvons continuer longtemps cette litanie de moments cocasses et inattendus. On peut également s'interroger sur les inégalités auxquelles sont confrontés les Iraniens: omniprésentes, injustes, arbitraires. On a plus de chances de conduire une Peugeot 309 vert bouteille qu'une Porsche Cayenne, on ira plus facilement s'habiller au souk plutôt que chez United Colors of Benetton. Néanmoins, inévitablement, nous nous sommes constamment interrogés, assaillis des mêmes questions: comment est-il possible qu'un pays qui semble culturellement ouvert, très avancé avec une jeunesse ayant un tel esprit critique puisse avoir si mauvaise presse? Comment le pays a-t-il pu s'enfermer à ce point? S'exclure et se bannir?

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Lexique anti-Larousse:

Déterre: quand on est déterre, on n'est pas dedans!

"Putain de putain" cf lexique article 1

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post France.

Les anglicismes ont été conservés afin de respecter le style des auteurs.

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