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Une halte sur le tourisme noir

Nous sommes au beau milieu des vacances. Au Canada, les guides touristiques s'activent, entre Tadoussac et les chutes du Niagara. Sur Facebook, Instagram témoigne en offrant aux uns et aux autres les visages trempés par les embruns. C'est le tourisme partagé. Puis, il y a celui, étudié par le Docteur Philip Stone professeur en thanatologie. Ce tourisme noir dont on parle moins, phénomène de société.
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Nous sommes au beau milieu des vacances. Une journée orange à deux pas d'Orange. En France, les juilletistes croisent les aoûtiens. Bison futé avait prédit 25 kilomètres de bouchon s'étendant de tout son long. Au Canada, les guides touristiques s'activent, entre Tadoussac et les chutes du Niagara. Sur Facebook, Instagram témoigne en offrant aux uns et aux autres les visages trempés par les embruns. Un arrêt par-ci suivi d'un Like, un souvenir par-là. C'est le tourisme partagé.

Puis, il y a celui, étudié par le Docteur Philip Stone professeur en thanatologie à The University of Central Lancashire (UCLan) et directeur du Institute for Dark Tourism Research. Ce tourisme dont on parle moins, phénomène de société.

Alors que les médias ne nous parlent plus de Mandela, alors qu'Obama est retourné depuis belle lurette dans sa maison bien blanche, à Johannesburg, les cars s'arrêtent toujours dans un nuage de poussière. Le Township de Soweto est un passage obligé, comme nous le dit Sophie Vaillant, cette touriste française: «Cela fait partie du voyage, il faut passer par là.»

Safari de la pauvreté. Du tourisme noir.

«Le seul désavantage du quartier c'est qu'il n'y pas d'électricité, le soir il fait complètement noir, les gens s'éclairent à la bougie ou avec des lampes à la paraffine», explique Siphiné Khimalo, le tour opérateur, s'adressant à Régis de Rath, journaliste de la RTBF.

Il ajoute comme s'il nous montrait une découverte locale: «Ici, le robinet pour l'eau potable, c'est là que les gens viennent prendre l'eau potable.» Notre guide a compris le profit qu'il pouvait en tirer en ajoutant face caméra, que Soweto a été ajouté à ses activités: «En réalité, ce la dépend de votre état d'esprit. Si vous vous dites que c'est une façon de se plaindre et de se dire que vous ne désirez rien montrer de votre vie, alors ce sera difficile pour vous. Si vous vous dites que c'est une opportunité... Personnellement, j'adore les touristes...»

Opportunisme? «C'est l'occasion de partager votre histoire», nous dit Lydia Nosampi, une adolescente vivant sur place qui ajoute : «Puis cela paie mon bus pour aller à l'école».

Quel est le fin mot de l'histoire?

Que pense-t-elle des 10 principes de lutte de contre la pauvreté par le tourisme? Évidemment, elle sait que les revenus touristiques ne sont pas distribués et qu'elle ne peut en bénéficier? Sans cela, les pauvres ne tirent aucun profit, explique l'Organisation mondiale du Tourisme, institution faisant partie des Nations Unies (Manual on Tourism and Poverty Alleviation Practical Steps for Destinations. UNWTO and SNV 2010).

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En Pologne, un site de sombre mémoire, vole la vedette à la ville de Cracovie. En 2012, 1,43 million de personnes ont visité Auschwitz (130 000 de plus qu'en 2010), des touristes espagnols tout sourire pris en photo comme s'ils se trouvaient devant la tour de Pise, à la différence qu'ils sont sur les rails de Birkenau, comme en témoigne une photo.

Auschwitz est un «produit d'appel». Dès l'aéroport de Cracovie, vous pouvez vous y rendre en taxi. Des tours opérateurs offrent le voyage vers l'horreur, l'aller-retour en 3h pour une vingtaine d'euros. La brochure de l'agence de voyages Cracow City, le propose au même titre que Nowa Huta, le paradis communiste, la mine de sel Wieliczka, la Cracovie du XVIIe...

«Auschwitz est le tour le plus demandé surtout par les étrangers», explique Tomas Stanek, responsable de Cracow City, à Hubert Prolongeau, journaliste de Télérama.fr.

Cette visite en coup de vent ne permet pas de comprendre ce qui s'est passé. Comme le gouvernement polonais a pris en main son entretien, le génocide juif est somme toute occulté, tout est fait pour célébrer la victoire contre le fascisme. Pas d'émotion possible, pas de recueillement. «Bien sûr, il y a le travail de mémoire, bien sûr il faut se souvenir. Ces bus sont la contrepartie d'un travail de mémoire massif, non contrôlé», témoigne Jean-Charles Szurek, chercheur au CNRS.

Ils veulent vivre l'expérience, une prise directe sur la souffrance, sans empathie, sans retenue, dans une déconnexion totale, ils consomment un produit puis passent à autre chose. Ils sont en vacances. Ce tourisme-là, c'est la mise en marché, de la souffrance, de l'horreur...

À Cracovie, on vend des statuettes de juifs du ghetto, sans craindre la caricature.

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Quelques semaines après la catastrophe de Lac-Mégantic, la journaliste Aalia Adam s'interroge déjà sur les ondes de Global News quant aux motivations profondes de ces «visiteurs» du macabre. Ce voyeurisme est éthiquement malsain.

«Évidemment cela attire des curieux, mais cela aide la région, car ils mangent dans les restaurants et dorment ici», déclarait Nicolas Charrier, organisateur de compétition de natation. On peut s'interroger.

Qu'en pensent Fréderic Boutin, Geneviève Breton, Marie-France Boulet, Réal Custeau, Talitha Coumi Bégnoche et ses filles Bianca et Alyssa..., parmi les 47 victimes?

Il est de notre devoir d'y penser et d'y réfléchir à leur place.

Pour ma part, je préfère l'élan de générosité de 7,2 millions de dollars à la Croix-Rouge envers les sinistrés de Lac-Mégantic. Sans y passer.

Juste s'en souvenir. Juste un travail de mémoire.

Bon voyage.

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