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Le retour de Kim Dotcom: les enjeux du partage sur Internet

Le Web nous permet d'explorer notre identité, de nous auto-produire et de partir à la rencontre de l'autre. Il ouvre les frontières et bouleverse nos façons de faire société. Au-delà de Mega, saurons-nous faire de la culture du partage et d'Internet les catalyseurs d'une société plus équitable, et donc plus durable?
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AFP/Getty Images

Le sulfureux Kim Dotcom revient sur le devant de la scène avec son nouveau site Mega, lancé le 19 janvier 2013. Son précédent site Megaupload avait été fermé le 19 janvier 2012 par le FBI au titre qu'il encourageait les utilisateurs à partager des contenus culturels (films, musiques) outrepassant les ayant-droits. Il était alors le 13e site le plus visité au monde.

Kim Dotcom, partage ou esbroufe ?

Son nouveau site permet la pratique du téléchargement de fichiers (légaux et illégaux) tout en restant dans un cadre légal par la mise en place d'un système de cryptage des données qu'il annonce comme inviolable, garantissant ainsi la confidentialité des échanges entre particuliers. Le site a attiré 250 000 membres dans les deux heures suivant son ouverture.

L'exemple de Kim Dotcom cristallise les tensions entre les modèles P2P et les modèles propriétaires. Son initiative soulève en effet la question de la propriété puisque les usagers seraient en mesure de partager à grande échelle des contenus culturels sans rien avoir à payer et ce, en toute impunité.

Kim Dotcom se veut le «croisé» d'un Internet libre respectant la vie privée des utilisateurs. Son goût pharaonique de la mise en scène est discutable. Mais à l'instar de ces jeunes tycoons du Web, qui accumulent en quelques saisons des fortunes colossales armés de leur seul culot, il ébranle le système en déchaînant les forces de la multitude et en surfant sur les lames de fond qui en résultent.

Thanh Nguiem est une des contributrice du réseau TEDxParis.

TEDxParis est un événement sous licence TED et l'une des conférences éditées par l'agence Brightness. Retrouvez l'actualité des conférences sur brightness.fr.

L'irrésistible essor du partage

Au-delà de ce cas médiatique, l'économie du partage, aidée par la crise, s'est déployée en quelques années. Remettant en selle des pratiques ancestrales de récupération, recyclage ou échanges de services, cette dernière exploite les technologies du Web pour connecter l'offre et la demande entre particuliers. Ainsi les logiques de partage en P2P se déploient dans tous les secteurs - mobilité, habitat, alimentation, éducation, etc.

Victime de son succès, l'économie du partage est entrée dans la tourmente - comme l'illustrent les démêlés avec la justice de AirBnb et de Uber, ces plates-formes online qui permettent aux particuliers de s'improviser hôtelier ou chauffeur de taxi. AirBnB vient d'être banni de New York, San Francisco et Amsterdam. Pour sa part, Paris a mis un coup d'arrêt aux "locations touristiques de courte durée" au motif que ces pratiques réduisent le parc de logements accessibles aux habitants et encouragent la spéculation. Pour ses détracteurs, cette économie émergente met en péril la croissance, menace les emplois - et les profits - des acteurs classiques, et crée un manque à gagner fiscal pour la puissance publique.

La vie dans les métropoles est dure, chère, anonyme, quand l'économie du partage permet de créer de la souplesse, offrant une source organique de services de proximité. Fondée sur la valorisation de biens ou de compétences sous-utilisés, elle crée du lien social. Il serait regrettable de censurer cette source de développement local au motif qu'elle bouscule le statu quo.

Quoi qu'il en soit, la logique du partage en P2P semble s'étendre de manière irrésistible. Fablabs, Makers, Do It Yourself, espaces de coworking... le partage des savoirs online et la multiplication des lieux physiques permettant de se réunir entre amateurs pour «bricoler» les solutions sont en train de gagner le secteur de la production. Des tracteurs et des voitures peuvent aujourd'hui être fabriqués en six à sept jours à partir des plans et vidéos mis en ligne.

Le partage du savoir, un enjeu de société

Internet bouleverse notre société bien au-delà de ce qui précède. Avec Wikipedia, tout le monde accède gratuitement à la connaissance en ligne. Mieux, chacun, sous réserve de respecter les règles du jeu, peut participer à la construction du savoir. Avec les blogues, les wikis, les réseaux sociaux ou YouTube, nous pouvons nous auto-produire et façonner notre propre identité.

Web 2, la machine, c'est nous. Chaque fois que nous émettons un avis, un tag, que nous cherchons une information, le «nuage» apprend quelque chose de nous. Nos milliards d'interactions quotidiennes avec la machine créent un inépuisable gisement d'intelligence collective.

La lutte entre Google, Amazon, Facebook et autres titans du Web ne vise rien d'autre que l'exploitation marchande de ce gisement. Avec 90 % de part de marché, Google est notre oracle. Cette position de monopole lui permet d'anticiper avec une extraordinaire précision nos moindres envies. Son but est de devenir le maître de l'information. Il lui faut pour cela devenir notre meilleur ami dès notre arrivée sur la Toile, d'où tous ces services gratuits offerts en cloud computing. Pour le meilleur ou pour le pire ?

Si nous acceptons l'idée que nous vivons dans une société de l'information, c'est à nous qu'il revient d'ériger le partage du savoir, qui en est la base, en principe démocratique.

Internet pour une culture du partage

Mega ouvre des brèches dans la muraille d'un système propriétaire en faillite, mais il ne préjuge pas de l'usage qui sera fait de ces failles. D'autres doivent s'y engouffrer au service du bien commun.

Il ne suffit pas de mettre un fichier en ligne pour assurer le partage du savoir. Il faut donner envie, montrer par l'exemple, documenter les savoirs pour permettre leur appropriation par les autres. Nos recherches montrent que les modèles d'avenir - open education, open science - reposent sur un apprentissage par le questionnement, la pratique, le jeu, l'accompagnement entre pairs.

L'enjeu est d'instaurer une culture du partage comme fondement d'une société de l'information démocratique. L'éducation ouverte en est le principe actif, et les communautés de pratiques en P2P les catalyseurs, car ils sont les seuls à permettre un développement local organique, fondé sur le partage des biens et des compétences et un apprentissage des savoirs par l'expérimentation.

Partager, c'est donner une partie de ce qu'on détient, mais c'est aussi avoir en commun - des valeurs, une opinion. Or Internet permet le partage à grande échelle dans ce double sens. Lorsque je partage un savoir, je participe au développement de l'avoir en commun sans rien perdre de ce que je détiens - au contraire même, j'accrois ma réputation et mes possibilités d'échanger dans le futur.

Le Web nous permet d'explorer notre identité, de nous auto-produire et de partir à la rencontre de l'autre. Il ouvre les frontières et bouleverse nos façons de faire société. Au-delà de Mega, saurons-nous faire de la culture du partage et d'Internet les catalyseurs d'une société plus équitable, et donc plus durable ?

Ingénieure de l'Ecole des Mines de Paris, titulaire d'un MBA de l'INSEAD, Thanh Nghiem devient à 30 ans la première femme Associée du cabinet de conseil McKinsey en France.

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