On ne compte plus les variantes littéraires ou musicales du mythe de Don Juan, inauguré par Tirso de Molina, repris par Molière, Mozart et beaucoup d'autres. Dans la première moitié du XXe siècle, la pièce de Ödön von Horváth, Don Juan revient de la guerre, en fait un soldat allemand survivant de la Grande Guerre en 1918, blessé, atteint de la grippe espagnole (qui, à elle seule, a tué quelque 50 millions de personnes), épuisé mais vivant.
Et c'est dans un monde réduit à ses seules femmes qu'il revient. Toutes ont perdu leur père, leur mari, leur frère, leur fils... Les hommes ont disparu. Dans ce monde désolé et en ruine, restent les femmes et Don Juan.
On pourrait croire cette situation idéale pour le séducteur libertin qu'est Don Juan. Car ce sont toutes ces femmes esseulées qui désormais le convoitent et cherchent à le séduire. Mais il n'en est rien. Don Juan est trop marqué par ses quatre années de combat dont il est ressorti quand même vivant et malgré la défaite de son camp. Rongé par le remord, l'homme libertin à la vie de scandale, qui multipliait les conquêtes a quitté sa fiancée, une âme pure, qu'il s'attache maintenant à retrouver. Gravement blessé au combat, il a compris que c'était seulement elle qu'il aimait et qu'il devait retrouver.
Dans un découpage de plans quasi cinématographiques et une esthétique expressionniste, il nous donne à suivre le périple du soldat repentant pour retrouver celle qu'il regrette d'avoir abandonnée quatre ans auparavant.
C'est en 1935 qu'Ödön von Horváth, qui avait fui l'Allemagne où il était considéré comme un auteur dégénéré, a écrit cette version originale de Don Juan. Dans un découpage de plans quasi cinématographiques et une esthétique expressionniste, il nous donne à suivre le périple du soldat repentant pour retrouver celle qu'il regrette d'avoir abandonnée quatre ans auparavant. Une multitude de femmes croisent sa route. Grâce à une écriture très précise, le spectateur suit parfaitement sa pérégrination malgré les nombreux obstacles : sa blessure et sa maladie, dont il parvient à guérir, mais aussi la ruine du pays (plus de gare, plus de train...des pillages), l'inflation galopante, la misère, la grand-mère acariâtre de la jeune fille qui se délecte de recevoir les lettres d'amour de Don Juan et de ne pas y donner suite.
Avec une distribution impeccable, de beaux costumes et une très intéressante scénographie, la pièce mise en scène par Florient Siaud au Prospero, dans un décor simple, mais efficace, des éclairages et des vidéos superbes, au bruit des derniers canons qui retentissent, donne à penser sur ce retournement de Don Juan. Sans doute n'a-t-il pas vraiment changé. À mesure qu'il se rétablit lui reviennent ses réflexes de séducteur et de dandy. Mais il s'obstine toutefois à rechercher la jeune fille qui, malheureusement, n'a pas survécu à l'abandon qu'il lui a fait subir. Et en guise de statue du commandeur, c'est son propre remords qui décide de sa fin, dans ce monde où il aurait sans doute pu s'attacher à une autre femme parmi les nombreuses qu'il rencontre. Il y a quelque chose de total et de totalitaire chez Don Juan : ce sont ou bien toutes les femmes, ou bien la femme impossible qui sont susceptibles de lui plaire, seulement. Et de ce côté totalitaire, il ne peut que mourir.
Don Juan revient de la guerre, du 28 février au 25 mars 2017, au théâtre Prospero à Montréal
Groupe de la Veillée
Texte d'Ödön von Horváth
Mise en scène Florent Siaud
Avec Evelyne de la Chenelière, Kim Despatis, Maxim Gaudette, Marie-France Lambert, Danielle Proulx, Évelyne Rompré, Mylène St-Sauveur
Cet article a aussi été publié sur info-culture.biz
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