Schefferville pendant l'extinction de la race blanche ou Le carnaval indien de l'Orphelinat des Monstres, tel est le titre – bien trop long – de la pièce présentée au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui en ouverture de Dramaturgies en Dialogue. Bien trop longue aussi, la pièce qui porte ce titre et qui a pourtant été raccourcie pour être proposée sous forme de lecture au public de ce festival. Une pièce bien trop longue, c'est vrai, mais une pièce riche d'une écriture, d'une poésie, d'une imagination et aussi d'une interprétation (même si elle n'était que lue) absolument géniale...
Benjamin Pradet est, à n'en pas douter, un auteur foisonnant d'idées, d'humour, d'intelligence, de sensibilité. Sur un sujet historique grave, ce que la mémoire a retenu sous l'expression des années noires Duplessis, il nous fait pénétrer la personnalité d'une bonne douzaine de personnages complexes, certains terribles, victimes de circonstances qui les dépassent et qui transforment leur vie en enfer, d'autres subissant plus ou moins passivement quelques inconvénients des changements de leur environnement social, d'autres encore acteurs pervers de ces circonstances. Mais alors qu'avec tous ces personnages, il parvient à nous allumer et à nous surprendre par de multiples exagérations et en dépit de la justesse de ses propos, voire à nous faire rire en de nombreuses occasions, il ose creuser leurs personnalités et en extraire des aspects que l'on préfère négliger en général : les zones parfois sombres des victimes et les parties malgré tout quelque peu lumineuses des bourreaux...
Ainsi, dans la municipalité québécoise de Shefferville, là où des mines de fer furent exploitées à partir de 1954 et où Maurice Duplessis mourut en 1959, se croisent les destins de plusieurs personnages parmi lesquels trois couples sortent du lot : deux enfants orphelins que l'on veut faire passer pour fous (la petite blanche Simone, très blanche et malade, et Shawny issu du viol de sa mère autochtone par un homme blanc), un couple de chasseurs innue (Bradley qui vit sur le bien-être social et qui n'est même pas arrivé à se faire employer dans la mine, avec sa compagne Tania moitié blanche), Maurice Duplessis enfin et Félix, son amour de jeunesse. Dans une ambiance glauque (que Benjamin Pradet arrive à faire passer pour comique) de drogue, de pédophilie, d'inceste, de viol, de vengeance, d'abandon et de maltraitance d'enfants, tous ces personnages sont au fond mû par la même énergie, celle non pas de tomber en amour, mais de « monter en amour »...
Espérons que la pièce sera un jour montée comme elle le mérite avec mise en scène et décors.
Cette année, le jury du prix Gratien-Gélinas a accordé une mention méritée au texte de Benjamin Pradet. Espérons que la pièce sera un jour montée comme elle le mérite avec mise en scène et décors. Et si ça n'est pas le cas, parions que Benjamin Pradet nous éblouira de nouveau grâce à de nouvelles œuvres dans lesquelles apparaîtront son écriture originale et son intelligence.
Schefferville pendant l'extinction de la race blanche ou Le carnaval indien de l'Orphelinat des Monstres.
Texte : Benjamin Pradet.
Mise en lecture : Sébastien David.
Avec Jean-Denis Beaudoin, Ann-Catherine Choquette, Marco Collin, Sébastien David, Steve Gagnon, Sharon Ibgui, Benoît McGinnis, Alice Pascual, Dominique Quesnel, Sébastien René.
Schefferville pendant l'extinction de la race blanche ou Le carnaval indien de l'Orphelinat des Monstres au Centre du Théâtre d'Aujourd'hui à Montréal, par le Centre des Auteurs Dramatiques pour l'ouverture du festival Dramaturgies en Dialogue, le 23 août 2017 à 20 h.
Dramaturgies en Dialogue, du 23 au 30 août 2017
Informations : https://dramaturgiesendialogue.com/
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