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Les fédéralistes d'aujourd'hui: réhabiliter la question nationale

Selon André Pratte, l'ordre constitutionnel de 1982 et l'échec qu'il constitue en regard des revendications du Québec ne seraient plus qu'un «détail», fâcheux certes, mais qui dans les faits ne représente pas un «vrai problème». Fédéraliste moi-même, je ne peux qu'être en désaccord avec une telle interprétation.
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Au fil de mes lectures et de mes recherches sur Internet, je suis tombé plus ou moins par hasard sur ce texte de Mathieu Bock-Côté dans lequel il discute de la question nationale du point de vue des fédéralistes d'aujourd'hui. Ce texte, il faut le souligner, s'inscrit en réaction à un éditorial d'André Pratte dans lequel il affirme, entre autres choses, que «les fédéralistes croient que l'avenir du Québec ne passe pas par la reprise des débats du passé». Qui plus est, ajoute Pratte, «aux yeux des fédéralistes, la persistance de cette impasse [le fait que l'Assemblée nationale du Québec n'ait toujours pas, à ce jour, endossée la Constitution de 1982] est regrettable, mais affecte assez peu le bilan très favorable de la participation de la province au projet canadien».

Autrement dit, l'ordre constitutionnel de 1982 et l'échec qu'il constitue en regard des revendications du Québec ne seraient plus qu'un «détail», fâcheux certes, mais qui dans les faits ne représente pas un «vrai problème». Fédéraliste moi-même, je ne peux qu'être en désaccord avec une telle interprétation. Et bien que je ne partage évidemment pas le point de vue de monsieur Bock-Côté sur la question nationale, je me dois d'admettre qu'il a ici le mérite de soulever d'excellentes questions auxquelles les fédéralistes se doivent de répondre, ne serait-ce que pour mieux se définir eux-mêmes ainsi que le rôle qui leur incombe.

Depuis combien de temps les fédéralistes trouvent-ils que le rapatriement de 1982 est un détail regrettable, mais sans plus?

Il faudrait être aveugle pour ne pas voir que le rapatriement de 1982 constitue à bien des égards une rupture importante dans les rapports entre le Québec et le Canada. Sans dramatiser à outrance la portée de cet échec, il convient cependant d'en tirer les leçons. Il est évidemment tentant de voir dans le rejet de l'Accord du lac Meech, principale réponse du Canada au refus du Québec d'entériner la Constitution de 1982, un rejet du Québec lui-même par le reste de la fédération. Les choses ne sont cependant pas si simples.

Ce que je note par ailleurs, c'est qu'au lendemain du référendum de 1995, les libéraux à Ottawa avaient l'occasion de tendre à nouveau la main aux Québécois. Malheureusement, ils ont plutôt décidé d'adopter la ligne dure avec la mise en œuvre de ce que plusieurs appellent le «plan B». Le Renvoi relatif à la sécession du Québec et la Loi sur la clarté référendaire constituent à cet égard leurs principales réalisations. Les fédéralistes québécois, faut-il le rappeler, étaient et demeurent majoritairement opposés à ces mesures.

Quoi qu'il en soit, la balle est actuellement dans le camp des fédéralistes. Ils doivent donc se remettre à la «planche à dessin», comme l'a maintes fois souligné le constitutionnaliste et ex-ministre libéral Benoît Pelletier. Être fédéraliste, c'est donc faire le pari qu'il est possible pour le Québec et le Canada de se parler afin d'en venir éventuellement à une entente constitutionnelle mutuellement satisfaisante. Mais cela ne se fera évidemment pas tout seul. Pour y parvenir, il faudra d'abord briser le tabou qu'est devenue la Constitution - et plus largement celui de la question nationale.

Depuis quand les fédéralistes sont-ils devenus inconditionnellement fédéralistes?

À propos de la question nationale, je suis de ceux qui refusent de se positionner dogmatiquement en faveur d'une option ou d'une autre. Cela dit, il va évidemment de soi que puisque je me définis moi-même comme un fédéraliste, je considère qu'il est souhaitable que le Québec demeure dans le Canada. Mais est-il inconditionnellement souhaitable que le Québec demeure dans le Canada? Je ne le pense pas. Le rôle qui incombe actuellement aux fédéralistes québécois est de faire la démonstration que le fédéralisme fonctionne et qu'il constitue la meilleure option constitutionnelle pour la nation québécoise.

Pour ce faire, il nous faut travailler sans relâche à l'amélioration de la fédération, et ce particulièrement dans le sens des meilleurs intérêts du Québec. Cela ne passe pas seulement par des demandes constitutionnelles, mais aussi par des changements législatifs et administratifs. La fondation du Conseil de la fédération, en 2003, constitue à cet égard une excellente initiative. Le Québec doit retrouver son rôle de chef de file dans la fédération.

L'appartenance du Québec au Canada est-elle une association politique à l'avantage du Québec, ou un bien en soi qu'il nous faudrait désormais valoriser pour en finir avec l'hypothèse souverainiste?

Comme je l'ai déjà mentionné plus haut, il appartient à nous, fédéralistes, de faire la démonstration de notre conviction selon laquelle le maintien du lien fédéral canadien constitue la meilleure option pour le Québec. Il ne faut cependant jamais perdre de vue qu'il existe une autre option, l'indépendance, qui, bien qu'elle ne soit pas la plus souhaitable, demeure tout de même une option envisageable et légitime. Cette décision n'appartient d'ailleurs pas aux partis politiques, mais bien aux Québécois eux-mêmes.

Les fédéralistes québécois ont donc une double tâche: celle de faire la promotion du Canada au Québec, mais aussi et surtout celle du Québec au Canada. Rapprocher les deux solitudes, autrement dit. Il faut avoir le courage de dire les choses franchement. L'appartenance du Québec au Canada est le fruit d'une union fragile qui n'est d'ailleurs pas tout à fait consommée. Le rapatriement de 1982, qui fait souvent office d'éléphant dans la pièce, en fait d'ailleurs la douloureuse démonstration. Mais comme les revers représentent bien souvent l'occasion de mieux rebondir, les fédéralistes ont le devoir impérieux de se pencher à nouveau sur le sort du Québec dans le Canada et de repenser la fédération canadienne, de la bonifier.

Est-ce que les «fédéralistes d'aujourd'hui» ont un seuil de rupture avec le Canada? Est-ce qu'ils considèrent qu'il est encore possible que l'appartenance du Québec au régime fédéral devienne contradictoire avec ses intérêts fondamentaux?

Il convient d'abord et avant tout de souligner que la perspective du statu quo, bien qu'elle ne soit pas particulièrement enthousiasmante, représente tout de même un arrangement convenable. Dans sa forme actuelle, la fédération canadienne ne pose pas de problèmes majeurs quant au développement économique du Québec et à la promotion de son identité. Il faudra cependant tôt ou tard (et plus tôt que tard, idéalement) corriger l'erreur que constitue la Loi constitutionnelle de 1982.

À cet égard, les fédéralistes québécois ont une responsabilité importante à assumer, soit celle de faire rayonner l'identité nationale du Québec dans l'ensemble fédéral canadien et d'y porter ses «revendications historiques». D'aucuns affirment à ce propos que le Québec et le Canada n'ont plus rien à se dire. Je pense au contraire qu'il y a beaucoup à dire, en commençant par souligner que le caractère distinctif du Québec ne constitue pas un obstacle au vivre-ensemble, mais au contraire une richesse. Cela implique entre autres choses la révision du régime fédéral au profit d'un fédéralisme asymétrique et la définition du Canada comme État plurinational.

Cet idéal devrait normalement déboucher sur une réforme constitutionnelle qui permettra au Québec (ainsi, espérons-le, qu'aux nations autochtones) d'intégrer pleinement la Constitution canadienne - dans l'honneur et l'enthousiasme, pour reprendre la formule désormais consacrée. Mais évidemment, il ne sera jamais question de signer une «constitution à rabais». Et si par ailleurs le Canada échouait encore une fois à répondre adéquatement aux besoins du Québec et se trouvait un jour à évoluer dans une direction contraire aux intérêts fondamentaux de la nation québécoise, il se pourrait en effet que nous atteignions un seuil de rupture. En tant que fédéraliste, je souhaite bien évidemment que nous n'en arrivions jamais là. Mais il faut y travailler.

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