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La dépression ou cohabiter avec la noirceur

Dire «je fais de l’anxiété» ou «j’ai fait une dépression» devrait être aussi normal que de dire je fais du diabète ou j’ai des problèmes de dos.
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KatarzynaBialasiewicz via Getty Images

Je me regarde dans le miroir de la salle de bain. Je ne me reconnais pas. Devant moi, une fille maigre aux yeux éteints me fixe de son regard absent. Elle me ressemble à peine. Elle ne ressemble à rien en fait. Les cernes sous ses yeux en soulignent le vide. J'esquisse péniblement un sourire; elle s'exécute sans grande conviction. Aucune crédibilité. Aucun éclat. Je me regarde sans me voir. L'inutilité de mon existence me semble d'une flagrante évidence. Depuis un temps déjà. Ça m'obsède. Je me hais. C'est terminé, ici, maintenant. Je fais l'inventaire de la pharmacie. Je consomme tout, sans exception. Déjà intoxiquée, je glisse doucement dans le sommeil.

C'était il y a trois ans. Je me réveillerai quelques heures plus tard en vomissant des cascades de bile. Le corps frissonnant sur la céramique froide de la salle de bain, je réalise que je suis heureuse d'être encore là. Le lendemain, je recevais le diagnostic de dépression majeure.

Je ne faisais rien, mais j'étais exténuée. Tout le temps. Exténuée de la vie. Je ne faisais que dormir. Je dormais mes jours puis je m'engourdissais pour continuer à dormir. J'étirais le sommeil jusqu'à des ratios irrationnels.

J'étirais le sommeil jusqu'à des ratios irrationnels.

La dépression, c'est perdre le goût de tout. Il n'y a pu rien qui t'allume, rien qui te fait envie. C'est vivre de façon robotisée. C'est survivre aux journées, sans plaisir, sans envie, sans couleur. Parce qu'il n'y en a pu de vraies couleurs. Elles sont toutes édulcorées, défraichies. Délavées par les larmes qui coulent à ton corps défendant. Les arcs-en-ciel ne sont plus qu'une pâle apparition monochrome. 50 nuances de gris, l'excitation en moins.

La dépression, c'est ne pas s'être lavée depuis des jours et s'en foutre complètement. Parce que t'en as pu rien à foutre de pas mal tout. Y'a pu rien qui t'dit rien. C'est une noirceur qui te suit en permanence. Toujours prête à aspirer le peu de lumière qui peut filtrer. À te vider de tout ce qui est beau pour ne laisser que du laid dans tout ce que tu vois, dans tout ce que tu penses.

La dépression, c'est une valve de noirceur que tu ne peux pas fermer complètement. Parfois le débit est moindre, parfois fort, mais jamais éteint. C'est là, latent, en arrière-plan. Comme un fond d'écran qui s'active quand ton cerveau n'est pas vigilant.

La dépression, c'est aussi ne pas être capable d'ouvrir la porte pour sortir. C'est se trouver niaiseuse de pas pouvoir tourner une poignée. C'est se ramasser adossée par terre contre la porte à pleurer. Pas parce que t'es triste. Parce que tu te juges.

Parce que, pour moi, le plus dur était de l'accepter.

Moi? Moi qui remonte en selle après chaque chute, toute seule, comme une grande. Moi qui retombe sur mes pieds, qui m'adapte. Moi qui m'en sors tout le temps toute seule, sans personne. Normalement quand je touche le fond, je me donne un swing et je remonte rapidement vers la surface. Allez hop. Mais là, le fond était celui d'un lac vaseux. C'était ça, pour moi, la dépression. Un tourbillon qui t'aspire et t'attire inexorablement vers le fond. Un fond flou et noir qui te retient comme si t'étais accrochée à un bloc de ciment.

Honte de moi, de mes émotions, du vide qui me grugeait de l'intérieur. Honte d'être malade.

Moi je panse mes plaies à l'écart comme un chat avant de ressortir guérie. Mais là, seule, je ne guérissais pas, j'empirais. Je ne me pardonnais pas de me sentir de même. J'avais honte. Honte de moi, de mes émotions, du vide qui me grugeait de l'intérieur. Honte d'être malade.

Juste ça. Accepter que je fusse malade. Combien de temps avant que j'ose en parler, nommer le mot, aller chercher de l'aide? Accepter, juste accepter.

C'est pour ça que c'est important d'en parler. De démystifier la santé mentale. Comme la santé physique, tout le monde peut avoir des problèmes. Dire «je fais de l'anxiété» ou «j'ai fait une dépression» devrait être aussi normal que de dire je fais du diabète ou j'ai des problèmes de dos. Ça devrait être normal d'en parler. Et pas juste une fois par année dans le cadre d'une campagne de marketing.

Besoin d'aide pour vous ou un proche ?

Communiquez avec votre centre de prévention du suicide ou avec les intervenants de la Ligne québécoise de prévention du suicide : 1-866-APPELLE (277-3553).

Avril 2018

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