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Israël face à ses réfugiés

Innovateur dans de nombreux domaines, Israël semble ici tout aussi désarmé que le reste de l’Europe ou de l’Amérique du Nord.
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Nir Elias / Reuters

Le débat sur l'accueil des migrants est quasi universel. En Europe, il s'est dernièrement concentré sur la question des réfugiés syriens, aux États-Unis, les débats se focalisent sur la frontière avec le Mexique. Au Québec même, la question de l'immigration revient souvent au cœur des discussions politiques.

La société israélienne n'échappe pas à la règle, et s'interroge, se divise, se déchire diront certains, autour du sort des demandeurs d'asile qui sont arrivés sur son sol ces dernières années.

La particularité du cas israélien est que l'immigration non choisie est une nouveauté pour l'État hébreu. Lorsque sont arrivés, au milieu des années 2000, les premiers réfugiés clandestins, le pays faisait face à ce phénomène pour la première fois. Entre 2006 et 2012, ce sont environ 65 000 personnes, originaires principalement du Soudan ou de l'Érythrée, qui ont pénétré le territoire israélien depuis le Sinaï, fuyant les persécutions et la misère régnant dans ces deux pays.

Leur arrivée a été accueillie avec circonspection de la part du gouvernement israélien, qui a immédiatement choisi de les qualifier d'« infiltrés », terme menaçant repris depuis par l'administration. Dès 2010, la construction d'une barrière à la frontière avec l'Égypte a été lancée afin de stopper le flux de réfugiés. C'est visiblement un succès, puisque depuis sa réalisation complète, en 2013, le nombre de personnes arrivant en Israël depuis le Sinaï a chuté au point de devenir quasiment nul.

La fermeture de la frontière n'a cependant pas permis de régler le problème posé par la présence des réfugiés ayant déjà pénétré le sol israélien – 38 000 selon les dernières estimations. Et cette présence est de moins en moins tolérée par une partie du monde politique israélien, notamment par les représentants de la droite locale.

Les reproches faits aux migrants sont semblables à ceux que l'on peut entendre ailleurs dans le monde.

Les reproches faits aux migrants sont semblables à ceux que l'on peut entendre ailleurs dans le monde. Premièrement, leur statut de réfugiés est mis en cause, et certains les présentent comme des migrants économiques utilisant le conflit dans leur pays d'origine pour attirer la compassion. Ensuite, ils sont souvent accusés d'être à l'origine de l'augmentation de la criminalité observée en particulier dans le sud de Tel-Aviv, partie défavorisée de la capitale économique du pays et où s'est concentrée la population érythréenne ou soudanaise. Enfin, la présence en Israël d'un nombre important « d'infiltrés » apparaît à certains comme un danger pour l'identité et les valeurs du pays.

Au pouvoir depuis 2009, la droite israélienne a pris un certain nombre de mesures pour faire face au problème. En 2013, un centre de détention « ouvert » pouvant accueillir jusqu'à 3 360 migrants clandestins a été installé à Holot, dans le désert du Negev. En parallèle, le gouvernement a essayé de pousser les demandeurs d'asile à retourner volontairement vers leur pays d'origine, ou vers le Rwanda ou l'Ouganda, deux pays qui semblent avoir signé des accords en ce sens avec l'État hébreu, même si les détails de ces accords restent flous.

Ces dernières semaines, Netanyahou et son ministre de l'intérieur Aryé Dery ont décidé de passer à une nouvelle phase et d'accélérer le rythme de ces départs. Alors que la fermeture du centre de Holot pour le mois de mars a été votée en décembre, un nouveau programme d'incitation au départ volontaire a été mis en place. Il offre notamment 3 500 dollars aux « infiltrés » qui quitteront volontairement le pays. Surtout, le gouvernement veut à présent lancer une politique d'expulsion des migrants sans leur consentement. En bref, les demandeurs d'asile doivent choisir entre quitter le pays ou être emprisonnés.

Or, cette nouvelle politique est loin de faire l'unanimité au sein de l'opinion publique israélienne. À en croire le dernier sondage sur le sujet, si la plupart des Israéliens soutiennent le départ des demandeurs d'asile (56% des interrogés, contre 32% d'opposants), une courte majorité d'entre eux s'oppose à leur expulsion de force (46% contre, 44% pour).

Alors que la société est ainsi divisée, l'activisme du gouvernement a suscité une réaction tout aussi intense de la part de ses adversaires. Au-delà des déclarations des députés de l'opposition, de nombreuses associations de défense des migrants et de leurs droits, qui se sont notamment illustrées au fil des ans en faisant annuler certaines décisions gouvernementales par la Cour suprême, ont, par une campagne efficace, porté le débat dans la rue.

Des manifestations de soutien aux migrants sont organisées dans les villes du pays, et les initiatives citoyennes se multiplient, impliquant des secteurs variés de la population, dont des avocats, des médecins, des rabbins, des artistes, etc. Parmi ces initiatives, certaines ont eu un écho médiatique important comme les appels des restaurateurs de Tel-Aviv à maintenir dans la ville une population qui est devenue vitale pour le maintien de son activité, la déclaration d'un groupe de pilotes de la compagnie aérienne nationale El-Al dans laquelle ils annoncent qu'ils refuseront de transporter hors du pays des réfugiés expulsés contre leur gré, ou encore la lettre écrite par des survivants de l'Holocauste qui considèrent que l'État juif, au nom de son histoire, ne peut laisser des êtres humains qui ont besoin de sa protection subir un tel sort.

Il est encore trop tôt pour voir quelles seront les conséquences de ses actions. Le gouvernement quant à lui réaffirme régulièrement la légitimité de ses décisions et sait qu'une proportion importante de la population israélienne le soutient. En attendant, le débat bat son plein.

Innovateur dans de nombreux domaines, Israël semble ici tout aussi désarmé que le reste de l'Europe ou de l'Amérique du Nord.

L'État hébreu est en somme confronté depuis une dizaine d'années à ce que les pays occidentaux connaissent depuis plusieurs décennies : une immigration clandestine et non souhaitée. Innovateur dans de nombreux domaines, Israël semble ici tout aussi désarmé que le reste de l'Europe ou de l'Amérique du Nord. Prise dans un débat où interviennent identité nationale, valeurs morales, considérations économiques ou sociétales, etc., la société israélienne, par son incapacité à trouver une réponse satisfaisante au problème, est finalement dramatiquement normale. Sur la question des réfugiés, le salut ne viendra donc pas de Jérusalem.

Avril 2018

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