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L'ultime tentation métaphysique

Avoir cru qu'il suffiait d'entourer les élèves de gadgets électroniques pour résoudre les nombreux problèmes qui minent nos systèmes d'éducation était franchement naïf.
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Le 15 septembre, l'OCDE a fait paraître Connectés pour apprendre? Les élèves et les nouvelles technologies, une étude portant sur les compétences numériques des élèves qui vivent dans les pays développés. Après lecture de ce rapport, je m'attendais à ce que les différents constats qui y sont présentés provoquent un tsunami dans les médias et dans le milieu de l'éducation. Pourtant, cette étude n'aura engendré, au bout du compte, que quelques vaguelettes qui, rapidement, sont venues s'échouer sur les rives du cyberespace.

Et que nous dit cette étude? Dans un premier temps, elle révèle que les technologies de l'information et de la communication (TIC) qui, à coût de millions de dollars, envahissent depuis quelques années le monde de l'éducation, ne donnent pas les résultats escomptés quant à l'apprentissage des savoirs de base: «Selon les résultats de l'enquête PISA [Programme international de l'OCDE pour le suivi des acquis des élèves], les pays qui ont consenti d'importants investissements dans les TIC dans le domaine de l'éducation n'ont enregistré aucune amélioration notable des résultats de leurs élèves en compréhension de l'écrit, en mathématiques et en sciences.» Aucune! Qui plus est, c'est dans les pays où ces technologies sont davantage utilisées par rapport à la moyenne des autres que les résultats des élèves sont les plus faibles. Comme on dit, trop c'est comme pas assez!

Toutefois, le plus intéressant dans cette étude concerne les moyens que les systèmes d'éducation devraient déployer pour réduire les inégalités sociales et donner les mêmes chances à tous les élèves. Pendant des années, les adeptes de la technopédagogie ont cru que pour y parvenir, il fallait faire en sorte que tous les élèves aient accès aux technologies de pointe dans les salles de cours: ceci afin de les aider à développer tout d'abord leurs compétences numériques, lesquelles viendraient ensuite grandement faciliter l'acquisition des compétences et des savoirs de base.

Mais c'était raisonner à l'envers, nous dit l'OCDE; c'était, pour reprendre cette vieille expression absolument pas hi-tech, mettre la charrue devant les bœufs: «Le fait de garantir l'acquisition par chaque enfant d'un niveau de compétences de base en compréhension de l'écrit et en mathématiques est bien plus susceptible d'améliorer l'égalité des chances dans notre monde numérique que l'élargissement ou la subvention de l'accès aux appareils et services de haute technologie», précise l'étude.

Apprendre avant tout à lire, à écrire et à compter à tous les enfants, peu importe leur condition sociale et quitte à le faire avec des moyens traditionnels beaucoup moins dispendieux, représente le meilleur moyen pour réduire les inégalités sociales mais aussi - et c'est ce qui est surprenant - pour permettre par la suite à ces jeunes de maîtriser l'univers du numérique: «Ainsi, pour réduire les inégalités dans la capacité à tirer profit des outils numériques, les pays doivent avant tout améliorer l'équité de leur système d'éducation»; et ceci se fait en enseignant à tous les élèves les fameux savoirs de base.

Le problème aujourd'hui n'est plus tant de savoir si tous les jeunes ont accès ou non à l'univers du Web. Les études nous montrent que cette fracture numérique, dont on parlait voilà quelques années, s'est grandement atténuée dans nos sociétés. «Pourtant, même à niveaux d'accès identiques, tous les élèves n'ont pas les connaissances et les compétences leur permettant de tirer profit des ressources à leur disposition», précise les auteurs de l'étude de l'OCDE, pour ensuite y aller de cette mise en garde: «Si les écarts actuels de compétences en lecture, en écriture et en mathématiques ne diminuent pas, les inégalités de compétences numériques subsisteront, et ce, même en cas de gratuité de l'accès à tous les services Internet.»

On le voit, avoir cru ou croire encore aveuglément qu'il suffit d'entourer les élèves de gadgets électroniques pour résoudre les nombreux problèmes qui minent nos systèmes d'éducation était franchement naïf; cela relevait même de la pensée magique. Trop d'institutions d'enseignement se sont donné comme objectif de former des citoyens numériques à l'aide d'une supposée classe du futur ou d'un prétentieux projet éducatif 3.0, s'imaginant qu'en lançant cette poudre aux yeux, elles réussiraient à faire l'économie d'une formation axée sur le développement des compétences de base et sur l'acquisition d'un bagage de connaissances rigoureuses et d'une culture générale des plus riches.

***

Cette étude de l'OCDE n'a pas fait beaucoup de bruit et risque peu d'en faire à l'avenir. Pourquoi? Ma réponse pointera vers ce qui constitue l'essence même de la technique. L'être humain façonne des outils de toutes sortes et ensuite, un peu comme un Narcisse des temps modernes, tombe en admiration avec le produit de sa création, entre dans une sorte de torpeur face à ces miracles de la technologie qui l'empêchent alors de réfléchir et de prendre une distance critique. Face à l'insistance de plusieurs pour que l'éducation se prosterne devant ces technologies, on peut affirmer que cette torpeur a déjà envahi l'esprit de bien des gens. Déjà, en 1973, Habermas nous mettait en garde en écrivant que «le danger de voir le créateur se perdre dans son œuvre, le constructeur s'aliéner dans sa construction, est aujourd'hui la tentation métaphysique de l'homme.» Alors, résistons à cette tentation, ouvrons les yeux et revenons à l'essentiel.

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