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Se plaindre le ventre plein

Les obligations des plus riches sont simplement proportionnelles à leurs privilèges.
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Dans un récent billet, Michel Kelly-Gagnon me reproche des choses. Se basant sur l'Institut Fraser et son calcul de la journée de l'affranchissement de l'impôt (Tax Freedom Day), il écrit que j'ai tout faux et me reproche de défendre « un système économique collectivisé et étatisé ».

L'Institut Fraser cherche à démontrer que nous sommes trop taxés. Il fait comme Michel Kelly-Gagnon. Il additionne les impôts, les taxes, les charges sociales et conclut qu'il nous faut travailler jusqu'à la fin de juin de chaque année pour payer tout cela. L'image est aussi forte qu'elle est fallacieuse.

Qui paie davantage pour les services offerts par les administrations publiques (le fédéral, le provincial, les municipalités et les commissions scolaires) ? Ce sont les célibataires avec des revenus de 500 000 $ ou plus (revenus de travail, ou d'intérêt, ou des rentes, ou des revenus net de loyers, ou un mélange de tout cela). S'ils ont plutôt des gains en capital ou des revenus de dividendes, leur taux marginal d'imposition est plus faible et ils paient moins d'impôt. Qui reçoit le moins en retour ? Les mêmes célibataires. Par exemple, ils paient la taxe scolaire sans profiter des services éducatifs. Ils paient la cotisation au Régime québécois d'assurance parentale (RQAP), mais n'en profiteront jamais sans enfants. Ils n'auront pas droit non plus aux allocations familiales.

Je prends donc l'exemple d'un célibataire avec un revenu de travail de 500 000 $. Il possède une maison qui vaut 1 000 000 $. Il n'a pas d'hypothèque. Il achète le maximum de REER chaque année. Il paie ses charges sociales (RRQ, Assurance-emploi, RQAP). Il paie ses impôts. Il paie la TPS et la TVQ.

Un contribuable sur 500 déclare des revenus semblables ou plus élevés, mais tous ne sont pas célibataires et l'ensemble des revenus de chacun est habituellement composé de plusieurs sources. Par conséquent, la grande majorité paie moins d'impôts que ce qui est indiqué dans mon tableau.

Je compare mon riche célibataire avec un autre qui gagne 55 300 $, c'est-à-dire juste assez pour payer le maximum de cotisations au RRQ. Sa maison vaut 250 000 $ et lui non plus n'a pas d'hypothèque. Il s'efforce de mettre 10 % de ses revenus dans un REER. Il paie ses impôts, les charges sociales, la TPS et la TVQ.

Plus des deux tiers des contribuables déclarent des revenus semblables ou plus petits. Ce n'est pas toujours des revenus de travail. Avec des revenus de pensions, ils paient moins d'impôts. Même chose s'ils ne sont pas célibataires ou s'ils ont des enfants. Même chose si certains de leurs revenus sont moins imposables, comme les gains en capital et les revenus de dividendes. Même chose s'ils ont des revenus non-imposables comme des pensions alimentaires, des prestations d'assistance sociale, des indemnités de la CNESST, le Supplément de revenu garanti...

Il faut additionner ce qu'on est obligé de payer et soustraire ce qu'on reçoit en retour. Mon tableau n'indique que ce qu'on doit payer.

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Dans le pire des cas, avec un salaire de 500 000 $, un célibataire est obligé de verser 49 % en impôts et en taxes. C'est beaucoup. Malgré tout, il lui reste près de 172 000 $ à dépenser après avoir subvenu à ses besoins. Il peut se payer du luxe, quitte à payer les taxes. Il peut boursicoter ; seule la moitié de ses gains sera imposable. Il peut aussi mettre cet argent à l'abri de l'impôt. Par exemple, il peut s'acheter un CELI de 5 500 $ et déposer le reste dans un paradis fiscal. Si le cœur lui en dit, il peut faire des dons de charité qui réduiront ses impôts à payer.

Pour le célibataire avec un salaire de 55 300 $, le coût est de 38 %. À l'exception du REER, il dépense tout son argent. Il ne peut profiter d'abris fiscaux comme le CELI, encore moins de paradis fiscaux. Il devra se priver s'il veut faire des dons de charité.

40 % des contribuables déclarent des revenus inférieurs à 25 000 $. Un célibataire avec un salaire équivalent pourrait payer jusqu'à 28 % en impôts et taxes de toute sorte, mais c'est beaucoup moins grâce aux crédits remboursables qui lui reviennent.

Il n'existe pas de pays sans impôts ni taxes. D'après le FMI, les dépenses des administrations publiques au Canada correspondent à 41 % du PIB. Pour les pays qui dépensent le moins, c'est environ 15 %. J'estime que les dépenses publiques canadiennes ne pourraient pas être inférieures à 15 % du PIB. Ces dépenses couvriraient les fonctions régaliennes de l'État (armée, police, justice, monnaie) ainsi que la plupart des services offerts par les administrations locales. Par conséquent, les plus riches célibataires paient 34 % de leur salaire pour les autres services, alors que ceux avec des revenus très moyens paient 23 %.

Michel Kelly-Gagnon juge les autres services inefficaces et coûteux. Sans donner une liste exhaustive, cela inclut l'éducation, l'assurance-maladie, l'assurance-médicaments, l'assurance-automobile, l'assurance-emploi, l'assurance parentale, les allocations familiales, les garderies, la sécurité sociale, les crédits remboursables, l'aide aux entreprises, la gestion de l'offre en agriculture, la recherche et le développement, la santé publique, les statistiques, les bourses d'études ou de perfectionnement, les prestations de retraite, d'invalidité et de survivants payées par le RRQ, la pension de sécurité de la vieillesse et son supplément, toutes les infrastructures nécessaires au commerce (voirie, voies ferrées, ports, aéroports), les parcs nationaux, les musées, la diplomatie, les relations internationales, la culture, le sport amateur et tutti quanti.

Curieusement, Michel Kelly-Gagnon croit que l'aide aux gagne-petit est importante, sans doute parce qu'elle permet aux employeurs de payer sans remords de misérables salaires à leurs employés.

Mon prochain tableau examine les dépenses publiques par rapport au PIB dans les pays les plus heureux. Je les compare à celles des pays les plus malheureux. J'indique aussi dans quelle mesure, il est facile de faire des affaires dans ces pays.

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Remarquons d'abord que le Canada occupe la septième position des pays les plus heureux au monde. Ensuite, il est évident que les dépenses publiques sont plus importantes dans les pays plus heureux. Mais le PIB est, en moyenne, 22 fois plus élevé et il est beaucoup plus facile d'y faire des affaires. Ce n'est pas un hasard. Pour distribuer de la richesse, il faut en avoir ! Les transferts et les mesures sociales comptent beaucoup dans l'indice du bonheur. La redistribution n'empêche ni les affaires ni le libre marché.

Les obligations des plus riches sont simplement proportionnelles à leurs privilèges.

Redistribuer la richesse implique une participation plus importante des mieux nantis. Si la TPS et la TVQ sont les mêmes pour tous, il est normal que les taux marginaux d'imposition augmentent en fonction des revenus. Les obligations des plus riches sont simplement proportionnelles à leurs privilèges.

Michel Kelly-Gagnon dit que « [...] prendre de force la moitié du revenu légitimement acquit de quelqu'un, c'est l'équivalent de lui prendre six mois de son temps chaque année, une période pendant laquelle il doit travailler pour d'autres avant de pouvoir subvenir à ses besoins. »

Il traite de voleur le Canada, le Québec, sa municipalité et sa commission scolaire. Pourtant, rien ne l'oblige à rester ici. Il pourrait facilement s'installer dans un pays qui exigerait beaucoup moins de lui. Il serait accueilli à bras ouverts avec ses gros sous. Il ne manquerait ni d'argent ni d'occasions pour faire la charité. Mais il préfère rester ici. Personne ne lui prend rien de force puisqu'il peut choisir où il veut vivre.

Il dit qu'il doit travailler six mois pour d'autres avant de pouvoir subvenir à ses propres besoins. En fait, il se plaint en rotant que les gouvernements lui enlèvent le pain de la bouche. C'est indécent et absolument faux quand on soustrait les dépenses incontournables des administrations publiques. Il devrait s'excuser pour son manque de savoir vivre ensemble.

Avril 2018

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