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Attentats: la valse des hypocrites ne fait que commencer

Aujourd'hui, des lois d'exception totalement inutiles pour lutter contre le terrorisme servent d'abord à museler des opposants politiques, les défenseurs de l'environnement par exemple.
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Il n'a pas fallu attendre la dissipation de la fumée des attentats bruxellois pour entendre le discours habituel, préparant la population à la pire des stratégies politiques. Enfermés dans une doxa absurde, les exécutifs et les médias de masse refusent de questionner le but du terrorisme, nous entraînant ainsi dans une catastrophe qui fera encore de nombreuses victimes.

Si tout cela n'était pas prévu, tout cela était prévisible. Nous étions très nombreux à hurler depuis vingt ans qu'une catastrophe violente et irrationnelle se produirait un jour. Notre surprise est grande de voir que, même quand elle se produit sous la forme des attentats, le déni de la réalité se poursuit.

1. Comme beaucoup, j'ai observé sur le terrain l'émergence d'une jeunesse sacrifiée dans les quartiers populaires. Des jeunes adultes enfermés dans des lieux de relégation, à qui tout rappelle qu'ils ne sont qu'à demi tolérés vu leur ascendance immigrée, objets d'une violence policière inouïe dont j'ai moi-même été témoin, et dont les maigres espoirs d'une vie «normale» sont barrés d'une pancarte «No Future», et qui s'entassent par centaines de milliers dans ce que le premier ministre français appelle lui-même un «apartheid social».

J'y ai vu, dans les caves où je traînais avec de jeunes adultes, des salafistes venir leur tenir un discours de «respect de soi», leur proposant d'arrêter de boire et de prendre de la drogue pour trouver un chemin digne dans le seul endroit qui leur est ouvert dans le quartier que l'universalisme républicain a déserté: la mosquée.

L'islam devait donc servir à faire accepter la pauvreté aux pauvres

On pouvait lire à l'époque sous la plume de Nicolas Sarkozy que «dans les banlieues qui concentrent toutes les désespérances, il est bien préférable que des jeunes puissent espérer spirituellement plutôt que d'avoir dans la tête, comme seule religion, celle de la violence, de la drogue et de l'argent.»

En toutes lettres, l'islam devait donc servir à faire accepter la pauvreté aux pauvres.

Aucun «printemps républicain» ne s'était alors levé pour combattre ce piétinement de la laïcité et des valeurs républicaines dont on paie aujourd'hui les conséquences. Dans le même livre, Nicolas Sarkozy précisait : «Je pense que l'on peut reconnaître la religion comme une source d'apaisement utile au fonctionnement de la République».

La paix sociale à bon compte et à court terme. Il fut élu à la présidence trois ans plus tard.

Si les jeunes partis en Syrie appartiennent à différentes classes sociales, il n'en va pas de même pour les terroristes qui sont passés à l'acte

Comment peut-on espérer nous faire croire que Salah Abdeslam, petit délinquant parfaitement mécréant, tenancier d'un bistrot sordide où l'on vendait du shit dans le quartier le plus pauvre de Belgique (Molenbeek), représente une mouvance religieuse radicale? El Bakraoui, le kamikaze qui a laissé un testament dans son ordinateur, évoque t-il le Coran, Dieu ou le paradis avant de se suicider? Non. C'est un type aux abois, qui se dit recherché, ne sait plus quoi faire et a seulement peur de finir en prison.

Qui se rappelle que les frères Kouachi, Mehdi Nemmouche (musée juif de Bruxelles), Mohamed Merah, mais aussi Hasna Aït Boulahcen (tuée dans l'assaut à Saint-Denis en novembre 2015) sont tous passés par des foyers de l'enfance? Cela n'explique pas tout, mais si ce fait n'est pas une coïncidence, il devrait nous obliger à intégrer cette donnée dans l'ensemble de la réflexion, du discours, de la stratégie. Si les jeunes partis en Syrie appartiennent à différentes classes sociales, il n'en va pas de même pour les terroristes qui sont passés à l'acte.

On ne s'attaque pas au problème pareillement selon la manière dont il est posé. Or, jamais n'est formulée la question du but des terroristes. Est-on face aux promoteurs d'une religion qu'ils veulent nous imposer (quelle drôle de méthode dans ce cas) ou face à des nihilistes suicidaires fondus dans la haine du monde au point de vouloir tout emporter aveuglément dans leur colère?

Après un attentat commis par un kamikaze palestinien à Jérusalem, la mère d'une des jeunes victimes israéliennes et fille du général Matti Peled, malgré la douleur suscitée par les assassins, avait eu la lucidité et le courage de se dire publiquement «trahie» par ses propres dirigeants, à qui elle s'en prenait pour leur refus de faire la paix. Elle avait interdit aux officiels de venir aux obsèques, imputant la mort de sa fille à «une politique myope qui refuse de reconnaître les droits de l'autre». Cette même femme milita avec un courage inimaginable aux côtés de familles palestiniennes pour la paix et contre la politique de son propre pays. On ne peut demander à toutes les familles endeuillées d'avoir une telle lucidité sur les causes des attentats qui emportent les leurs.

Quelle est la responsabilité des élus, des éditorialistes, des «experts»?

Mais quelle est la responsabilité des élus, des éditorialistes, des «experts» auto-proclamés que l'on entend en boucle et qui interdisent tout questionnement en dehors de leur doxa?

2. Au lieu de cela, le drame du terrorisme est résumé à une guerre qui sert de prétexte aux politiques les plus anti-démocratiques, dont rêvait l'exécutif de droite comme de gauche. C'est déjà en 2014, donc avant les attentats en France, que la loi de programmation militaire avait prévu la possibilité pour le gouvernement de lire tous les échanges électroniques (pièces jointes comprises) sans l'aval d'un magistrat.

Aujourd'hui, les lois d'exception totalement inutiles pour lutter contre le terrorisme servent d'abord à museler des opposants politiques (défenseurs de l'environnement par exemple) et à terroriser des familles innocentes que l'on perquisitionne brutalement et qui servent d'exemple à toute personne qui oserait sortir du rang.

Des moyens de rétorsion pour maintenir la paix civile malgré une situation intenable

Du coup, la confusion entre sécurité et contrôle, cette topique historique que l'extrême droite avait du mal à vendre, est aujourd'hui portée par la classe politique jusqu'à la gauche et par l'essentiel du système médiatique mainstream.

Les mouvements sociaux, parfaitement prévisibles vu la catastrophe sociale organisée et dont on ne voit que les prémisses, poussent les exécutifs à se doter de moyens de rétorsion pour maintenir la paix civile, malgré une situation intenable, pour le jour où cela explosera vraiment.

Pour convaincre et faire adhérer la population, on avait inventé le «terrorisme de l'ultra-gauche», et voilà les attentats... On voit encore mal l'ampleur du recul démocratique en cours.

3. Comble de l'hypocrisie, les discours inlassablement répétés promeuvent l'égalité, l'universalisme et le refus du relativisme culturel, pendant que l'Arabie saoudite, l'«État islamique qui a réussi», montre toute son horreur, non pas dans l'indifférence générale, mais avec le soutien de nos gouvernements. Quatorze millions de civils manquent de nourriture et d'eau au Yémen, suite aux bombardements saoudiens qui ont déjà fait des dizaines de milliers de victimes civiles en visant volontairement hôpitaux, écoles et bâtiments publics. Pourtant, la France vient de signer des contrats pour 10 milliards d'euros, notamment en armes, avec ce pays qui finance l'islamisme international.

L'organisation État islamique massacre ses opposants et brutalise les femmes? L'Arabie saoudite organise des grandes fêtes de décapitations publiques tuant jusqu'à 47 opposants en un seul jour. On y fouette publiquement les gamines victimes de viol... Mais le prince héritier reçoit la légion d'honneur (peut-on encore l'appeler ainsi?) des mains du chef de l'État français. Quant au roi des Belges, ses larmes ne font pas oublier la proximité de la couronne avec le wahhabisme saoudien.

Et tout cela ne fait que commencer.

Nicolas Sarkozy, La République, les religions, l'espérance, éditions du Cerf, 2004.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post France.

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