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Le renseignement, nerf de la guerre contre le terrorisme

La nébuleuse terroriste qui revendique ces attentats reste mal cernée par les services de renseignement intérieur et extérieur des pays concernés.
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Après les attentats meurtriers de Paris et de Bruxelles, force est de reconnaître que le terrorisme exporté par le groupe État islamique constitue désormais une menace universelle persistante, qui ne connaît ni frontières, ni nationalités, ni religions, face à laquelle la communauté internationale est appelée à être unie pour faire face à une même réalité.

La nébuleuse terroriste qui a revendiqué ces attentats reste mal cernée par les services de renseignement intérieur et extérieur des pays concernés. D'autant que la coopération demeure le maillon faible.

C'est un axiome que les experts des services connaissent parfaitement : dans le monde opaque du renseignement, deux règles régissent tous les échanges, y compris en matière de lutte contre le terrorisme.

La première est le «give and take» : celui qui donne aujourd'hui doit pouvoir recevoir demain, ce qui suppose une confiance dans la fiabilité à long terme de son interlocuteur.

La seconde est celle du rapport de force, y compris entre pays amis. Au sommet culminent les États-Unis, appuyés par un groupuscule d'alliés - les «Five Eyes» (États-Unis, Royaume-Uni, Australie, Canada, Nouvelle-Zélande). En dessous, la Russie, Israël, la Turquie, la France, l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne et le Maroc, compte tenu de leur expérience anti-terroriste.

La lutte contre l'État islamique n'échappe pas à cette règle d'airain : celui qui reconnaît avoir perdu la trace d'une cible dangereuse soi-disant djihadiste reconnaît de fait la vulnérabilité de ses services. Par conséquent, l'information tactique se partage rarement, par refus de dévoilement de ses sources ou de ses moyens.

Une confiance extrême est donc nécessaire. Or, l'autorité politique, le plus souvent, ne goûte guère ce genre d'aveux.

Nul doute que la culture du terrain fait défaut. Pour les services français, cette vague d'attentats démontre en plus qu'un écueil n'a pas été surmonté, à savoir le manque d'analyse en profondeur du phénomène de la radicalisation en France, notamment en raison de la priorité donnée aux opérations spéciales et au renseignement électronique.

De ce point de vue, les Britanniques ont apporté moult soins à cartographier le «Londonistan» et ses ramifications. Ils ont méthodiquement sollicité les universitaires, les sociologues, les travailleurs sociaux... Rares sont, par exemple, les universitaires français d'origine maghrébine, pourtant souvent désireux d'aider les services, à être consultés. On préfère l'inquisition à l'infiltration, prioriser les méthodes «coup de poing» que procéder au lent dépeçage et tri d'informations de terrain avant d'intervenir.

Le cercle est vicieux à cet égard, car les interceptions électroniques, par exemple, aboutissent à un flux de renseignements qu'aucun acteur ne parvient vraiment à traiter, organiser ou corroborer.

Or, l'arme fatale des islamistes radicalisés est bien leur lien de solidarité, au nom de l'adage qui exige «le soutien au frère, qu'il soit dans le vrai ou dans l'erreur».

D'où l'importance d'identifier les proches ou les membres de la famille d'un suspect, de cartographier sa cellule potentielle. Au Maroc, les spécificités du milieu social constituent historiquement un paramètre essentiel dans l'équation du renseignement opérationnel, mettant bénévolement à contribution tous les citoyens, du gardien de voitures au mokadem de quartier.

Pour sa part, l'Espagne a choisi de lutter contre le terrorisme avec l'implication de la société civile. C'est ainsi que dès 2004 furent mis sur pied deux acteurs dédiés à la cause avec l'idée de regrouper des forces jusque-là déconnectées l'une de l'autre : le Comité exécutif pour le commandement unique des forces et corps de sécurité de l'Etat (CEMU) ; et le Centre national de coordination antiterroriste (CNCA), réunissant la police nationale, la Guardia civile, les institutions pénitentiaires et le Centre national de renseignement (CNI), dans l'objectif de partager toutes les informations et renseignements disponibles. Les deux entités sont placées sous la responsabilité du secrétariat d'État à la Sécurité.

Le dispositif sera renforcé en 2015 avec l'adoption d'un plan de prévention et de protection anti-terroriste, prévoyant la mobilisation exceptionnelle de toutes les forces policières, voire des armées, pour assurer certaines tâches d'appui comme le contrôle de l'espace aérien. Le CEMU y ajoutera un plan national de protection des infrastructures stratégiques. La Guardia civile s'attachera par ailleurs à lutter énergiquement contre le trafic d'armes et d'explosifs, tandis que le gouvernement renforcera les outils pour traquer les sources de financement des mouvements terroristes présents sur son territoire.

En France, la réforme de 2008 conduite par Nicolas Sarkozy cherchait à rationaliser les services de renseignement du pays en fusionnant les renseignements généraux (RG) et le contre-espionnage (DST) pour former la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI devenue la DGSI), ce qui devait permettre une meilleure surveillance de la menace islamiste. Mais nombre d'experts relèvent qu'elle a finalement mené à la disparition du vaste réseau d'agents de terrain qui avait mis plusieurs décennies à se constituer.

Plus généralement, la critique principale se concentre sur la trop grande attention portée aux «signaux forts» venus des sphères supérieures de la nébuleuse terroriste, au détriment des «signaux faibles» venus du terrain, dont il importe d'interpréter et de leur donner du sens pour être en mesure de repérer le moment où l'un d'entre eux devient dangereux.

On a désossé les renseignements généraux, dont la force majeure était un excellent maillage du territoire, pour les répartir entre des services multiples. La gendarmerie, qui déployait des actions de terrain, s'est transformée en une police routière qui n'est plus en capacité de fournir des renseignements pertinents.

Qui plus est, l'espace Schengen a créé un espace unique de libre circulation des personnes sans harmonisation des méthodes de renseignement au niveau européen. Certains pays restreignent même la communication d'informations personnelles de leurs citoyens, pour des questions de libertés fondamentales. Cela rend le suivi fort compliqué pour les services de renseignement.

Partant, un projet de création d'un centre de contre-terrorisme au sein d'Europol est programmé au cours de 2016 afin de faciliter la coordination entre les services. Reste à savoir si ces derniers sont prêts à transmettre effectivement à d'autres services extérieurs ce qu'ils dissimulent parfois à leurs collègues au niveau national.

Le renforcement des moyens ne peut, cependant, être réduit à une simple gesticulation politico-administrative. La menace djihadiste ne cesse de croître et de se complexifier, et la mission centrale des services chargés de la combattre est de s'adapter à ses évolutions.

Les besoins sont réels, connus, exprimés, et on ne peut que déplorer que des réponses, qui plus est imparfaites, y soient apportées après des attentats, et non avant - mais au moins sont-elles apportées.

À cet égard, le simple fait de soudainement attribuer aux services spécialisés les ressources qu'elles réclamaient depuis des années constitue un autre aveu de la part des autorités, quand ce qui n'était pas urgent, voire souhaitable, devient prioritaire et nécessaire.

En d'autres termes, les perceptions du terrorisme selon les différents services, et donc de la lutte contre celui-ci, sont tellement diverses qu'il est difficile de bâtir une harmonie stratégique et opérationnelle. Dans cette guerre asymétrique, les réseaux terroristes aujourd'hui observent une posture idéologique, une manière d'aborder les problèmes spécifiques à chaque réseau, mais ces réseaux ont des extensions transnationales.

Pour lutter contre eux, une kyrielle d'acteurs s'attachent à des perceptions et des réponses différentes. Par conséquent, en raison de ce seul aspect culturel de la lutte anti-terroriste et de l'imagerie inhérente à chaque pays, la problématique du renseignement pose la question de la cohérence nécessaire pour faire face à la menace.

Enfin, le terrorisme est aussi une affaire de communication, mais le contre-terrorisme l'est également. La lutte contre le terrorisme se focalise à ce jour sur la seule réactivité (antiterrorisme), négligeant souvent de tenter une stratégie plus offensive (contre-terrorisme) en termes de communication et d'action politique proactive centrée sur la déradicalisation.

«Connaissez votre ennemi et connaissez-vous vous-même. Vous pourrez affronter cent défis sans danger» - Sun Tzu.

Ce billet a initialement été publié sur le Huffington Post Maghreb - Maroc.

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