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Les Printemps arabes sont-ils le nouveau visage des guerres de religion?

La belligérance d'un acteur à la rhétorique religieuse suffit-elle à conclure à un conflit de nature confessionnelle?
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La belligérance d'un acteur à la rhétorique religieuse suffit-elle à conclure à un conflit de nature confessionnelle? Aujourd'hui, dans le cadre des printemps arabes, si d'aucuns sont prompts à voir dans ces lignes de clivage la summa divisio autour de laquelle s'organise le politique, une analyse plus approfondie permet de nuancer tout ou partie des interprétations en termes de guerres de religion.

La configuration absolument inédite qui prévaut au sein des sociétés arabes depuis 2010 interdit de manière catégorique de privilégier une grille de lecture religieuse pour expliquer les logiques de contestation. La dynamique est incontestablement "verticale" et non "horizontale" puisqu'il s'agit de mettre à bas un régime dictatorial, autoritaire et prédateur des ressources économiques parfois abondantes des pays concernés. Parallèlement, il est difficile d'ignorer la composition ethnique et/ou confessionnelle de certaines de ces sociétés qui rend propice toute instrumentalisation idéologique, condition indispensable à une fragmentation identitaire et une mobilisation politique comme le montre la tragédie syrienne aujourd'hui. Est-il dès lors pertinent de souscrire à un tel type d'antagonisme pour décrire les révolutions arabes?

Ce que sont les «printemps arabes»

Au sens du philosophe Claude Lefort (L'invention démocratique, Fayard, 1981), les soulèvements révolutionnaires dont nous sommes témoins sont authentiquement démocratiques. Cet éminent théoricien du politique, dans le sillage d'Ernst Kantorowicz et de ses travaux sur "les deux corps du Roi" à l'époque médiévale, voyait dans l'inachèvement du pouvoir la quintessence de toute construction égalitaire. Si les systèmes politiques arabes qui vacillent aujourd'hui un à un ne peuvent être qualifiés de totalitaires, on est néanmoins obligé de voir dans ces contestations une ambition démocratique puisqu'il est question que "le peuple" s'empare de la place laissée vide après la chute du tyran. La dimension révolutionnaire incontestable de ces évènements tient donc à la possibilité pour chaque personne ou groupe de pouvoir à la fois contester le détenteur de l'autorité et d'être libre de réclamer le droit d'occuper un trône par définition vacant car personne ne saurait se l'adjuger ad vitam eternam. La possibilité d'inventer un nouveau pouvoir, et donc l'impossibilité de deviner ce à quoi ressemblera le politique demain, constituent, même si certains observateurs sont prêts à l'oublier, le point de départ de toute construction démocratique.

Ce que ne sont pas les printemps arabes

Partant de ce constat, il est extrêmement difficile de comparer les soulèvements à l'œuvre à une sédition confessionnelle. Au Bahreïn comme en Syrie, sans parler de la Tunisie, et dans une moindre mesure de l'Egypte où la composante chrétienne ne s'est jamais signalée par une défense exacerbée de l'ancien régime, l'explication "lefortienne" l'emporte. Le pouvoir de Bachar al-Assad, reposant certes sur une assise alaouite en partie liée à l'héritage du mandat français, peut en réalité difficilement être tenu pour chiite aux yeux des ayatollahs iraniens non seulement duodécimains mais fondamentalistes. Quid par exemple de la croyance en l'imam caché que de nombreux alaouites sont bien en peine d'accréditer, eux qui nient l'importance des obligations cultuelles et professent qu'un être humain peut incarner l'Esprit Saint allant jusqu'à reconnaître certaines fêtes chrétiennes? L'accréditation de la thèse d'une "guerre des religions" signifie donc non seulement essentialiser des différences mais surtout prendre les acteurs en présence au mot, ce que le politiste doit constamment se garder de faire.

La confessionnalisation: entre quête de survie politique et stratégie régionale

Le conflit confessionnel relève-t-il davantage de la stratégie que de la finalité « morale » ? Il semble que pour chaque interaction mettant aux prises des groupes aux vues religieuses divergentes, il soit tentant d'expliquer les usages politiques par l'infrastructure doctrinale. Or, on remarque dans le cas syrien que la "séquence" confessionnelle s'inscrit dans une double stratégie. La première concerne le régime syrien qui, en libérant des théoriciens et des combattants issus des mouvements jihadistes, a accéléré la mutation de l'agenda idéologique d'une rébellion disparate mais unie dans son projet de renversement du Président Assad. La seconde nous mène en Iran où, sur fond de programme nucléaire, et après des premiers débats sur la nécessité de soutenir ou non le système baathiste, les ayatollahs, par Hezbollah interposé et dans le cadre d'une alliance objective avec la Russie, ont poussé à une démarcation de plus en plus en nette autour de clivages confessionnels. Les pétromonarchies voisines que sont le Qatar et l'Arabie Saoudite, cherchant notamment pour la deuxième, à prévenir toute nucléarisation iranienne ont activement transformé la Syrie en théâtre d'un conflit où le combustible religieux est une nouvelle fois mis à vive contribution.

Frères musulmans et mouvements salafistes? Musulmans et chrétiens? Sunnites et chiites? "L'anarchie confessionnelle" est ce que les acteurs en font

Les nouveaux visages de la contestation politique qui sont apparus depuis le début des soulèvements structurent de manière logique les tensions qui se font jour depuis. Le cas égyptien est à cet égard intéressant, certains leaders salafis comme ceux du Parti de la Lumière s'élevant de plus en plus contre les "dénaturations" de l'islam que sont par exemple celle provenant des touristes iraniens chiites venus séjourner au pays du Nil et devant sacrifier à leurs rites.

Parallèlement, le gouvernement dominé par les Frères Musulmans a pris des positions diplomatiques "réalistes" par rapport à l'Iran ne cherchant pas, à la différence de l'Arabie Saoudite, à entrer dans une confrontation tout en appuyant les revendications populaires syriennes. Parallèlement, certaines inquiétudes coptes s'expriment au même titre que celles de partis d'opposition pour alerter contre ce qui est perçu comme une tendance à l'accaparement des pouvoirs de la part de la confrérie. La recherche de légitimation religieuse peut figurer une possibilité pour un régime devant faire face à de graves défis socio-économiques et qui serait tenté d'investir encore davantage les questions sacrées. En cela, la concurrence avec certaines formations salafistes peut renforcer des lignes de fracture idéologique d'autant plus mises en avant que les attentes réelles des populations sont loin d'être satisfaites.

Les révolutions arabes aujourd'hui : guerres de religion ou conflits cléricaux? Le danger des prophéties auto-réalisatrices

Le fait que des différences religieuses historiques existent est indéniable. Néanmoins, observer celles-ci ne signifie aucunement qu'elles servent forcément de moteur à une confrontation de grande ampleur comme peut l'être une guerre de religion. Les fragmentations de type confessionnel existaient en 2006 lorsque la majorité des populations arabes (pourtant sunnites) applaudissaient les coups portés par le Hezbollah aux forces israéliennes de même qu'il n'est un secret pour personne qu'une possible nucléarisation militaire de l'Iran serait vue d'un bon œil par une grande partie de ces dernières. Sur le plan de la comparaison historique, vouloir rapprocher la Révolution syrienne et la Guerre de Trente Ans trouve une limite sérieuse dans la mesure où cette dernière, en faisant fi un instant des considérations intéressées des différents États européens de l'époque, est une conséquence de l'apparition du Protestantisme sur le continent quelques décennies auparavant. Le chiisme et le sunnisme ont émergé entre le VIIe et le IXe siècle de l'ère chrétienne nous obligeant dès lors à nous demander pourquoi les tensions actuelles devraient faire l'objet d'une surinterprétation doctrinale.

Il semble bien que nous ayons à faire à des conflits en partie cléricaux entendu que les entrepreneurs identitaires (ici religieux) cherchent à définir une situation à leur avantage dans une optique de mobilisation autour d'une cause dont ils sont supposés défendre la survie. On sait depuis longtemps que l'action ne résulte que très peu d'une réponse aux variations de l'environnement mais plutôt de l'appropriation d'un point de vue donné. Dans cet écart existant entre le réel et l'interprétation que certains acteurs en font naissent les risques de concrétisation de ce qui n'était auparavant qu'une option parmi d'autres. Raisonner à partir de l'évidence d'une guerre de religion en Syrie ou ailleurs représente alors le meilleur moyen de son avènement. La politique est rarement objective.

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