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Ce tumulte autour de la question de la Charte des valeurs ne présage rien de bon, malgré de bonnes intentions. On observe que le flou de certains concepts entretient la mésentente.
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'' Verbum dei per omnia Santa Madre Iglisia ''

Ce tumulte autour de la question de la Charte des valeurs ne présage rien de bon, malgré de bonnes intentions. On observe que le flou de certains concepts entretient la mésentente.

Le document de réflexion sur le thème des valeurs et des interdictions est substantiel et indique que le gouvernement désire aborder la question utilement, pour le bien commun. Toutefois, plusieurs concepts sont flous, et on ratisse trop large. Mieux définir ces concepts et porter son attention sur l'essentiel consensuel serait plus garant de succès pour ce bien commun.

La voix de l'Assemblée des Évêques du Québec est apaisante et lumineuse. Elle invite à un débat serein et respectueux, et pose des repères raisonnables sur la base de principes et de valeurs chrétiennes dans une société libre, ouverte et pluraliste, mais en continuité avec son passé et son patrimoine religieux (catholiques dans un Québec pluraliste, un message pastoral de l'Assemblée des Évêques du Québec).

La position de l'Assemblée des Évêques du Québec semblerait rejoindre celle de la commission Bouchard-Taylor à l'effet qu'il n'y a pas de motif supérieur raisonnable justifiant une interdiction généralisée de libertés d'affichage de signes religieux. Il semble également que de la dite Assemblée entérinerait l'idée de la pertinence de la création d'un Conseil ou centre de référence pour les Institutions publiques et para-publiques qui réclament des balises ou des avis sages et équilibrés en continuité avec le patrimoine culturel religieux de la société québécoise. On peut déjà tous convenir qu'un cadre légal pourrait préciser que les services de l'État doivent être donnés et reçus à visage découvert, et dans l'espace public les citoyens s'affichent à visages découverts, cette règle simple est cohérente et en continuité avec nos traditions.

En amont, l'engagement normal envers la société d'accueil s'appuie sur de grands principes évidents, il précise simplement, mais clairement les conditions générales d'adhésion de la société d'accueil.

Ainsi quatre volets suffiraient pour établir une entente consensuelle cohésive, évolutive peut-être comme l'est la société. On pourrait ajouter que les juges des tribunaux du système de justice devraient continuer à respecter la tradition de parfaite neutralité vestimentaire et symbolique dans l'exercice de leurs fonctions judiciaire et quasi judiciaire. Voilà des clarifications qui engendreraient une large unanimité au sein de la population et des partis politiques, voire qui pourraient faire école au sein du Canada - car le Canada anglais connaît des problèmes d'intégration qu'il tait, fort d'une intégration sine qua non à la langue anglaise.

La confusion sémantique des orientations du projet de Charte

Il est important de comprendre que la critique des orientations traduit une foule de flous sémantiques, idéologiques ou intentionnels. Plusieurs concepts devraient être mieux définis.

Si les conflits humains sont inévitables (c'est ce qu'on assure) qu'au moins ce ne soit jamais par la faute de malentendus de mots. - Roland Barthes, Préface Dictionnaire Hachette.

Il est essentiel de faire le relevé des principales incohérences afin d'en arriver à un consensus sur la base d'un dialogue constructif. Les définitions et les notions se rapportant aux mots doivent être justes avant d'entrer utilement dans le règlement de situations de problèmes. Quelle est d'ailleurs la situation de problèmes à laquelle le projet de Charte veut répondre ? L'a-t-on explicitement définie ? On ne l'aura que sous-entendue par crainte d'identifier une culture religieuse ou un groupe religieux spécifiques issus d'une immigration récente. Et alors la charte issue des orientations deviendrait une sanction étendue de restrictions imposées à l'ensemble, dont à la collectivité d'accueil de culture religieuse chrétienne et de tradition judéo-chrétienne. Si le vœu social et politique des initiateurs est de créer plus de paix et de cohésion alors que les mots soient justes et amènent à la lumière non à plus de confusion.

C'est là le reproche fondamental que l'on peut formuler à l'endroit des orientations. Le projet ratisse trop grand, veut tout amalgamer, trop interdire... Il verse alors dans une forme de légalisme à outrance...

Plus le projet amalgame des notions confuses ou mal définies. Plus la tenue d'un débat serein devient difficile, et les chances d'ententes presque nulles, puisque trop relève de mésententes issues de la confusion sémantique ou provoque trop d'objections diverses...

Encore là, l'Assemblée des évêques donne le ton juste en affirmant qu'enchâsser les valeurs au-delà de grands thèmes, c'est aller à l'encontre de la nature même d'une société dont le propre est une évolution lente de ses systèmes de valeurs. À titre d'illustration par la négation, aurait-on dû affirmer dans une charte toutes les valeurs chrétiennes à l'époque de Duplessis-Charbonneau... ?

Neutralité : un leurre ; Séparation des pouvoirs : un principe déjà acquis

Disons les choses avec franchise et lucidité: rien n'est neutre. Le mot neutralité semble vouloir être attribué à une qualité que dont on voudrait émerger de la séparation des Pouvoirs, et en particulier des pouvoirs de l'Église et de l'État. Séparation des pouvoirs et neutralité sont deux concepts différents. La neutralité est traditionnellement liée à la position politique des États dans les affaires des autres États ou dans des conflits extérieurs à l'État national. La séparation des pouvoirs politiques est acquise dans les sociétés démocratiques depuis Locke et Montesquieu. Évoquer la séparation des pouvoirs en tant que valeur québécoise est naïvement prétentieux: c'est un principe universel propre aux démocraties modernes.

La séparation des pouvoirs entre l'Église et l'État est une affaire d'évolution politique et sociale qui en Angleterre provient d'Henri VIII et de T. Cromwell, quoique l'Église d'Angleterre devint sous Élisabeth Iere une Église nationale dont le souverain est le chef suprême; l'équilibre les courants divergents des Églises protestantes aurait alors contribué à la séparation des pouvoirs religieux et politique. La séparation des pouvoirs pour l'Église catholique est acquise depuis l'Encyclique de Pie IX, alors que l'Église renonce à être tenue pour l'unique religion de l'État ; et, plus nettement encore depuis l'Encyclique Pacem in Terris du pape Jean XXIII (1963) : '' Tout être humain a droit (...) à la liberté dans la recherche de la vérité.'' Cette évolution établit une nette différence avec la pratique musulmane conciliant l'État et l' Islam, voire à l'effet que le pouvoir politique doit servir le pouvoir religieux. Cette différence singulière fait en sorte que beaucoup de problèmes de perception et d'attitudes proviennent d'une lecture différente, voire irréconciliable pour une certaine forme intégriste.

Le billet se poursuit après la galerie

La tolérance est le fruit d'un lente évolution que le monde chrétien a entamé depuis des siècles (notion de tolérance dans C. Taylor dans Sources of the Self. The Making of the Modern Identity). Dans une large mesure, le heurt des revendications pour des accommodements religieux provient de ce que les intentions relèvent de deux modes de pensée différents. Beaucoup de la polémique qui en découle relève de l'écart entre la pensée moderne ( Modern Identity) et différentes tendances islamistes... Ce débat n'est pas le nôtre ; ce n'est pas notre problème et on devrait s'en distancier. Les sociétés n'ont pas à créer une Charte pour régler les problèmes évolutifs des tendances islamistes : c'est une polémique qui doit être faite en Algérie, Libye, Égypte, Iran, Pakistan, etc., mais pas ici.

Par ailleurs, dès la Nouvelle-France le pouvoir religieux est séparé du pouvoir seigneurial et du pouvoir politique (gouverneur, intendant, armée, milice)... Cette séparation historique spécifique a suivi un développement singulier au lendemain de la Conquête. La religion catholique aura joué le rôle de résistance des Canadiens-français , puis elle aura occupé les sphères de l'éducation et des services hospitaliers et sociaux, forgeant ainsi une forme de pensée cohésive comme pôle de cohérence collectif jusqu'à l'apparition du mouvement de sécularisation de la révolution dite tranquille. Par ailleurs, la France napoléonienne, ultramontaine, républicaine, colonialiste puis décolonialiste définit un paradigme différent. L'histoire de la France aura été marquée par le pouvoir royal quasi divin, les guerres de religion, la révolution, etc. ; ses chartes et ses interdictions doivent être comprises sous l'éclairage de son Histoire propre. Ainsi, cette volonté des promoteurs d'une Charte des valeurs québécoises de vouloir emprunter au modèle français est déjà douteuse. Il serait peut-être plus à propos de s'inspirer de ce qui se fait plus simplement en Angleterre, en Italie, ou en Belgique...

Par ailleurs, la séparation des pouvoirs ne signifie pas qu'il n'y ait pas d'influences mutuelles. Un principe s'accommode de plusieurs phénomènes au sein d'une société vivante agitée de plusieurs tendances qui font évoluer la trame collective et historique. Et, c'est le propre de l'homme et des entreprises humaines de vouloir étendre leurs zones de pouvoirs où altruisme et égocentrisme se chevauchent... Encore ne faut-il pas être dupe et reconnaître les intentions à peine voilées des pouvoirs politiques... Aucune intention politique n'est neutre, à défaut elle serait inutile et sans motifs puisque sans effets recherchés...

Motivations idéologiques non dites

Ainsi, la neutralité pure, ça n'existe pas. D'ailleurs craignons la neutralité qui en d'autres domaines serait trop assimilable à de l'indifférence : la nature humaine tire une partie de sa noblesse de sa propension à se révolter contre l'injustice, l'infamie, la misère ; à être capable de compassion et de bonté ; à vouloir se demander comment poser des actions de manière à être plus près d'un idéal divin fait de justice et d'amour...Un être indifférent à la souffrance et à l'injustice, neutre en tout, c'est un bourreau muet et aveugle qui se relève d'une lobotomie !

Ainsi en est-il de la couleur des orientations proposées d'une Charte des valeurs, de la laïcité et des interdits : elle n'est pas neutre, elle est ''tendance''... On doit donc reconnaître les formes non dites d'un combat obstiné de factions ou d'idéologies...

Ainsi, si des motifs supérieurs (selon G. Bouchard) ne justifient pas un projet aux mesures excessives (selon l'Assemblée des évêques) d'où nous viennent les motivations des concepteurs de ce projet, sur quelle voie nous orientent-ils consciemment ou non?

Plus, interdictions de signes et la parodie des signes ostentatoires nous enchaînent au domaine d'un légalisme normatif sans nous rapprocher de valeurs supérieures cohésives, ni même d'un climat propre à un dialogue constructif.

Alors, le débat porte sur l'objet de la définition d'un cadre légaliste, fixé par des légistes. On est alors loin de ce que les Romains entendaient par une juste loi commune, au mieux peut-on alors espérer une loi administrative qui ne réglera rien au problème de fond mais ajoutera à structure administrative d'un État omniprésent...

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