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L'architecture à l'ère où «espace virtuel» prime sur «espace physique»

Mondialement, nous voyons s'implanter des architectures sans référence culturelle à leur contexte et du coup dénaturant les repères identitaires du lieu: des architectures qui pourraient être reproduites autant en Chine qu'en Argentine ou en Suisse.
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De manière générale, ceux qui désirent analyser et théoriser la conceptualisation architecturale, ou encore les significations derrière ses usages, se tournent vers la sémiotique pour ce faire, laquelle est un sous-champ de la communication. Autrement dit, pour ceux peu familiers avec cette approche, l'architecture est généralement étudiée sous l'angle de la perception et de l'interprétation des «signes» qu'elle incarne. L'usage de cette approche esthétique est facilement compréhensible comme sa pratique des derniers siècles découle directement de la tradition des Beaux-Arts. Par contre, l'articulation claire d'une problématique entre l'architecture et la communication à l'ère numérique, elle, n'est pas chose fréquente. C'est à cette lacune que Joseph Moukarzel, auteur d'Architecture et communication, tente de pallier.

Il me semble pertinent de vous introduire cet ouvrage récent car, outre l'originalité de l'angle choisi pour un auditoire issu de l'architecture, par exemple, il met à jour un balancier de causes-et-effets entre architecture et phénomène de globalisation; pour ainsi dire négatif. De plus, je me permets d'ajouter que l'intérêt de cette référence réside dans la grande accessibilité du propos. En effet, malgré un intitulé qui semble cibler deux auditoires précis, mais à la fois bien distinctifs, l'écriture est tout à fait facile pour des lecteurs non initiés à ces sujets. Ainsi, j'invite à s'y arrêter toute personne désirant en connaître davantage soit sur l'architecture ou la communication. Elle en ressortira plus érudite sur ces deux disciplines et, surtout, plus avertie sur les dangers identitaires et culturels qui guettent actuellement nos sociétés.

L'approche de l'auteur repose sur l'idée que l'architecture est «message» et que cela passe par son image, d'où sa démarche enracinée dans la sémiotique. À partir d'un exercice d'analyse des signes émanant d'éléments concrets de l'architecture, Moukarzel cherche à y superposer les significations de «l'ici et maintenant» dans lequel nous propulsent aujourd'hui les communications numériques. En d'autres termes, sa réflexion repose sur le questionnement suivant: comment les nouveaux moyens de communication qui effacent les distances «physiques» influencent-ils nos interprétations du cadre bâti? Ces prémices, dans le but de montrer les mutations «architecturales» que subissent actuellement nos villes afin de répondre aux critères globalisés portés par ces nouveaux modes de communication.

Mondialement, nous voyons s'implanter des architectures sans référence culturelle à leur contexte et du coup dénaturant les repères identitaires du lieu: des architectures qui pourraient être reproduites autant en Chine qu'en Argentine ou en Suisse.

En effet, les technologies de l'information et de la communication (TIC) raccourcissent les distances et éliminent les différences, rendant ainsi tous lieux accessibles à tous en tout temps. Les TIC permettent, en quelque sorte, d'outrepasser toutes frontières et d'aplanir toutes les spécificités d'un lieu. Ce rapprochement virtuellement permis entre tous lieux géographiques se répercute sur la conceptualisation architecturale: les traditions locales, les facteurs climatiques, la religion et les croyances ou, encore, les ressources de proximité ne sont même plus pris en compte dans les processus d'idéation et de construction. Mondialement, nous voyons s'implanter des architectures sans référence culturelle à leur contexte et du coup dénaturant les repères identitaires du lieu: des architectures qui pourraient être reproduites autant en Chine qu'en Argentine ou en Suisse.

Un exemple bien connu est celui du musée Guggenheim à Bilbao, un geste architectural libre qui a pour seule fonction d'impressionner afin de signifier sa présence «ici et maintenant». Nous pouvons aussi penser aux tours du World Trade Center, lesquelles, à titre de symbole de la puissance américaine, furent l'objet d'attaque en tant que réaction violente à la peur de voir s'effacer une culture. L'auteur nous dit de manière très éloquente que «l'architecture copiée sur le modèle américain ne convient pas nécessairement aux pays dans lesquels elle s'implante. En plus du déni des valeurs culturelles et climatiques, aucune différence ou spécificité n'est prise en compte dans l'expression des idées et images qui se stéréotypent. [...] L'architecture dite unificatrice ne serait donc pas durable, même si elle est démocratique à l'échelle globale» (p.57).

Nous pouvons donc avancer que l'architecture, au même titre que les TIC et à cause d'elles, sert maintenant de véhicule des valeurs occidentales (ouverture, démocratie et libéralisme) à l'échelle mondiale, lesquelles menacent les frontières culturelles et identitaires, telle une «agression culturelle». Un facteur supplémentaire à l'angoisse des peuples orientaux de voir disparaître leur spécificité identitaire.

Dans sa conclusion, Moukarzel consolide sa problématique en soutenant que l'architecture, en tant que référent identitaire et culturel, tient un rôle déterminant dans nos sociétés en pleine mutation. Par conséquent, il interpelle les architectes qui occupent donc une position complexe dans le développement des sociétés à être à l'écoute des enjeux liés à la globalisation. Bientôt, il sera fondamental que ces derniers se questionnent sur chacune de leur intervention en observant le jeu évolutif entre la culture locale et globale d'un contexte.

Le propos sur la dissolution identitaire et de la disparition des spécificités culturelles causées par le phénomène de globalisation (et dont la croissance est accentuée par les TIC) de cet ouvrage est crucial. De le voir traduit en terme architectural est, de mon point vu, d'autant plus évocateur et il est étonnant de constater l'emprise grandissante de l'espace virtuel sur l'espace physique. Et pourtant... alors que le «culte du corps» envahit notre quotidien, la santé, le sport, etc. Il est grand temps que ces préoccupations liées à notre biologie atteignent une «dimension architecturale» et que nous réalisions enfin les effets du cadre bâti sur le développement physiologique, psychologique et bien évidemment social.

J'ai dit de l'approche de Moukarzel qu'elle repositionne le cadre bâti au cœur de l'évolution des sociétés et souligne le rôle des architectes, lesquels se doivent d'être toujours plus vigilants sur la manière de mener leur pratique. Cependant, pour que lesdits architectes puissent enfin opérer des changements en ce sens, la participation politique et de tout acteur social possédant un rôle significatif est nécessaire. Il est primordial que tout citoyen soit plus au fait du rôle de l'architecture dans la société et, seulement ainsi, pourrons-nous voir un mouvement du bas vers le haut qui permettra de changer les visions sur la pratique architecturale et de l'espace que nous devons lui accorder. C'est pourquoi, je répèterai pour terminer que l'une des grandes forces de l'ouvrage réside dans son accessibilité permettant d'atteindre un plus large public sur ces questions: bonne lecture et passez au prochain!

Référence: Moukarzel, J. (2016). Architecture et communication. Beyrouth une ville en surimpression. Paris : Presses des Mines.

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