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Théâtre: Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges

Je me demandais en allant voir la pièce tirée du roman de Michel Tremblay si cette histoire qui se passe en 1942 sur le Plateau Mont-Royal et publiée en 1980 résonnerait encore auprès d'un public qui, en grande majorité, ne comprend plus la signification d'une éducation menée de main de maître par des religieuses dans un Québec qui n'est encore que le Canada-Français.
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François Brunelle

Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges, d'après le roman de Michel Tremblay

Présentée au Théâtre Jean-Duceppe dans une adaptation et une mise en scène de Serge Denoncourt, jusqu'au 20 octobre 2012

Je me demandais en allant voir la pièce tirée du roman de Michel Tremblay si cette histoire qui se passe en 1942 sur le Plateau Mont-Royal et publiée en 1980 résonnerait encore auprès d'un public qui, en grande majorité, ne comprend plus la signification d'une éducation menée de main de maître par des religieuses dans un Québec qui n'est encore que le Canada-Français. Un public qui risque aussi de ne pas comprendre la ferveur associée aux célébrations religieuses dont cette Fête-Dieu dont on fait si grand cas dans le roman et dans la pièce et qui évoque un univers révolu, disparu dans l'incandescence de la Révolution tranquille.

Je n'aurais pas dû m'inquiéter. L'une des caractéristiques qui font d'un écrivain le bâtisseur d'une œuvre universelle c'est que même si cette œuvre est ancrée dans le passé, elle parle aux cœurs des hommes et des femmes de toutes les époques. Et Tremblay est autant un homme d'avant-hier que d'après-demain, pour paraphraser André Malraux alors qu'il parlait du Général de Gaulle.

Deuxième œuvre du cycle des Chroniques du Plateau Mont-Royal, le roman nous raconte une semaine dans la vie d'une école primaire où religieuses et petites filles se côtoient, se heurtent, s'aiment ou se détestent avec tout ce que cela implique de drames, de jalousies, de manipulations, de lutte des classes (dans tous les sens du mot) et de luttes de pouvoir. C'est l'opération qu'a subie Simone, l'une des petites filles, pour corriger un disgracieux bec-de-lièvre, qui sera le révélateur permettant aux passions de se déchaîner. On peut prendre Simone comme métaphore du Québec de cette époque : il est laid, pauvre, maladroit et dénigré par tous mais il veut embellir, s'enrichir et réclamer la place qui lui revient. Thérèse et Pierrette sont les deux amies de Simone : Thérèse, la fille d'Albertine, trop belle, qui attire déjà les regards dont celui d'un pédophile en puissance et Pierrette, la première de classe qui n'a pas encore compris que l'éducation est la clef qui lui permettrait de s'extirper d'un milieu médiocre et d'améliorer son sort.

Serge Denoncourt a adapté fidèlement le roman : il nous réfère à des extraits du texte qui sont projetés en arrière-scène, rendant ainsi hommage à la source originale et au talent de l'écrivain. Sa mise en scène est sobre, avec peu d'accessoires et, dirait-on, peu de moyens. Il rend cependant de façon convaincante les différents lieux qui tissent le paysage du récit, la salle de classe, les bureaux, les cuisines, le Parc Lafontaine et peut-être avec un peu moins de bonheur, à la toute fin, la rue où doit défiler la procession. Mais je reviendrai là-dessus.

Du côté des comédiens, Sébastien Huberdeau joue le seul personnage masculin de la pièce, le beau Gérard incapable de résister à ses lubriques et coupables pulsions. Il le fait avec la conviction de celui qui sait qu'il n'y a pas de rédemption possible, rendant ainsi attachant ce personnage qui pourrait n'inspirer que répulsion. Sophie Clément incarne mère Benoîte des anges, la religieuse malveillante qui détient un incroyable pouvoir sur son petit morceau d'univers. J'ai pensé que madame Clément manquait de coffre pour rendre parfaitement les crises d'hystérie au cours desquelles le personnage distille son mépris plein de venin à l'égard de ses collègues et des petites filles. Sa voix n'est pas assez robuste et ne porte pas suffisamment pour rendre les explosions de colère qui l'agitent. Je crois qu'ici la retenue n'était pas de mise.

Josée Beaulieu est parfaite en sœur Saint-Georges dite Pied-Botte, celle dont le langage est l'exact contre-pied au discours plein de rage mais cultivé de sa supérieure. Catherine De Léan et Marie-Ève Milot sont formidables dans les rôles de Thérèse et Pierrette, j'ai cru sans peine qu'elles n'avaient que 12 ans tant leur gestuelle et leur langage se sont révélés justes. Et je m'en voudrais de ne pas mentionner l'exquise Geneviève Schmidt qui nous propose une irrésistible Lucienne : la souffre-douleur un peu boulotte qui mange le bout de sa tresse blonde, qui tente de s'immiscer dans les amitiés des filles les plus populaires et qui échoue toujours lamentablement mais pour qui on ne peut s'empêcher d'éprouver de la tendresse. Bienvenue dans l'univers de Mean Girls.

Il n'y a que le choix de mise en scène de la fin que je questionne dans une représentation par ailleurs impeccable. La dernière scène, celle de la procession de la Fête-Dieu, qui est d'ailleurs extrêmement drôle dans son kétaine parfaitement assumé, doit se terminer sur le drame final. Mais ce drame m'est apparu escamoté par le choix de Serge Denoncourt de ne pas le montrer vraiment, de le suggérer plutôt. Cette dernière scène est ratée et c'est dommage qu'un si bon spectacle se termine ainsi. Mais ne boudez pas votre plaisir, on quitte avec nostalgie Thérèse et Pierrette à l'école des Saints-Anges parce qu'on ne quitte pas une histoire mais un monde et c'est là ce qui est vital.

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