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La nation québécoise a-t-elle une date de péremption?

Protéger et promouvoir la langue française, cela ne repose pas simplement sur la vigilance, n'en déplaise au gouvernement de Philippe Couillard. Cela exige de la vision, de l'audace et de la détermination.
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«Le temps joue contre le Québec, et davantage encore contre le Québec francophone.» C'est ainsi que le regretté Michel Vastel concluait son entretien avec l'essayiste, cinéaste et romancier Jacques Godbout, dans le magazine L'Actualité du 1er septembre 2006.

L'auteur de Salut Galarneau ! y évoquait alors la possibilité de voir le visage du Québec, tel que nous le connaissons, tomber en déliquescence en 2076 ; un Québec plombé par la démographie et la disparition d'une culture nationale jadis florissante qui, selon lui, avait amené, avec l'élection du Parti québécois en 1976, la Révolution tranquille à son étape ultime, à son apogée. «Ce fut le sommet de la courbe», disait-il. «Sans la chanson, sans la poésie, sans la littérature, sans le discours chargé d'émotion, le PQ n'aurait pas été élu.»

Déjà, à l'époque, les projections de Statistique Canada donnaient à réfléchir. D'ici 2030, par exemple, le Canada atteindra les 40 millions d'habitants, mais le Québec n'en comptera que 8 millions ; son poids démographique s'approchera donc dangereusement, soulignait-on, du cinquième de la population canadienne, après en avoir longtemps représenté le tiers.

La langue française, soutenait Jacques Godbout, est aussi menacée par l'idéologie du multiculturalisme, en référence à la politique canadienne du multiculturalisme de Pierre Elliott Trudeau, adoptée en 1971, au détriment du «biculturalisme», ce qui, fort probablement, avait pour finalité la marginalisation du nationalisme au Québec.

Dix ans plus tard, force est d'admettre que les statistiques officielles soutiennent la thèse de Jacques Godbout. Elles nous indiquent, clairement, un recul de la place du français au Québec, une tendance qui est d'autant plus préoccupante qu'elle se manifeste aussi sur le plan de la langue du travail.

C'est pourtant au travail que l'avenir du français se joue principalement. Or, au Québec, et plus particulièrement à Montréal, on observe une progression du bilinguisme en milieu de travail.

De plus, des études menées autour du projet de loi 14, déposé par la ministre Diane De Courcy en 2012, démontraient que, fréquemment, les employeurs exigent la maîtrise de l'anglais pour des postes qui n'en nécessitent pas la connaissance. Nous constations par ailleurs une certaine dégradation des services en langue française dans des commerces de Montréal. Il arrive en effet de plus en plus que des employés de commerces du centre-ville abordent la clientèle en anglais ou soient incapables de soutenir une conversation en français, une situation qu'a reconnue la ministre de la Culture et des Communications, Hélène David, lors de l'étude des crédits à l'Assemblée nationale, en juin 2014.

Ce projet de loi 14 était pourtant à la fois modéré dans ses objectifs et absolument nécessaire pour la pérennité du français à Montréal. Cette refonte de la loi 101 aurait certainement fait honneur à la mémoire du Dr Camille Laurin, mais aussi à la persévérance, au courage et à la résilience de l'ensemble du peuple québécois.

J'aime à croire, en effet, que l'obstination de ce peuple est à l'origine du miracle historique qu'est le Québec français d'aujourd'hui ; cette langue française qui a franchi l'épreuve du temps en Amérique depuis plusieurs siècles et plus particulièrement depuis la Conquête de 1763. Conquis par les Anglais, on aurait dû passer à la langue du conquérant, mais c'était sans compter sur l'entêtement, l'obstination et la détermination des Français, puis des Canadiens français, puis des Québécois... Cette obstination est non seulement un catalyseur identitaire, mais fut, surtout, un geste de résistance.

Parce que les francophones ne représentent plus que 2 % de la population totale de l'Amérique du Nord ; parce que le français, à titre de langue de travail et de service, perd du terrain ; et parce que les jugements multiples et successifs de la Cour suprême canadienne ont contrecarré les efforts du Québec en matière de protection des droits linguistiques des francophones; il nous fallait agir ! Le projet de loi 14 nous y invitait. Or, un certain nombre de députés de notre Assemblée nationale n'y voyaient alors, pas plus qu'aujourd'hui, cette urgence de renforcer le droit de vivre et de travailler en français au Québec.

À preuve, le gouvernement de Philippe Couillard, certainement le pire depuis 40 ans quant à la défense du français comme langue commune de l'espace public, se traîne littéralement les pieds. Pensons à sa promesse, par l'entremise de la ministre David, en juin 2015, du dépôt d'un règlement afin d'obliger l'ajout d'un générique en français à l'affichage des marques de commerce de langue anglaise ; pensons au processus de francisation promis pour les entreprises œuvrant sur des chantiers de construction dits «éphémères», le chantier du CHUM en étant un bon exemple ; pensons à la francisation des immigrants, le gouvernement devant impérativement s'assurer que les ressources humaines et matérielles soient disponibles et à jour ; pensons à notre devoir de faire respecter la loi 101 lors de l'admission des réfugiés dans les écoles et en formation professionnelle ; pensons aussi aux coupes à l'Office québécois de la langue française, qui minent la crédibilité de cette institution étant davantage qu'une «police de la langue», comme se plaisent à la décrire ses détracteurs.

Protéger et promouvoir la langue française au Québec, cela ne repose pas simplement sur la vigilance, n'en déplaise au gouvernement de Philippe Couillard. Cela exige de la vision, de l'audace et de la détermination, car le débat entourant la fragilité de la langue française au Québec, et plus spécifiquement dans la grande région métropolitaine, ne montre aucun signe d'essoufflement. Et, malgré les progrès réalisés depuis l'adoption de la Charte de la langue française voilà bientôt 40 ans, nous serions inconséquents de prendre cet enjeu à la légère, car il s'impose comme le fondement même de notre authenticité collective et de notre avenir en tant que peuple en Amérique.

Contrairement à ce que pense le premier ministre Couillard, le visage français du Québec n'est pas assuré. Et, non, nos inquiétudes légitimes ne sont pas le fruit d'un sombre complot afin de provoquer une crise linguistique... Pourtant, malgré toutes les études confirmant le recul du français au Québec, et particulièrement à Montréal, on persiste à dire, depuis l'élection de M. Couillard, que le français va très bien au Québec.

Nous ne le répéterons jamais assez, la prééminence du français est, par ailleurs, au Québec, un facteur majeur d'intégration, la porte d'entrée de la culture québécoise, du travail et du dialogue interculturel.

En matière d'immigration, nous le savons, la francisation est la clef de voûte d'une intégration réussie. Nous sommes fiers de voir, année après année, plusieurs dizaines de milliers de personnes choisir le Québec afin d'y vivre et d'y travailler. Aussi, il est de notre responsabilité de leur offrir les meilleures chances de réussite, comme nous l'avons exprimé le 17 novembre 2015 à l'Assemblée nationale lors d'un débat d'urgence que le Parti québécois avait demandé et obtenu, relativement aux capacités d'accueil du Québec dans la perspective de l'arrivée des premiers réfugiés syriens.

En tant que membres de la grande famille québécoise recomposée, un impératif non négociable s'imposera toujours à nous, soit celui de protéger et de projeter vers l'avenir, avec la même détermination, l'affirmation et la promotion du français. Cette détermination doit se manifester, entre autres, par un renouvellement de la Charte de la langue française, notamment par le renforcement du français comme langue de travail et d'intégration ; l'adjonction, dans la Charte des droits et libertés de la personne, du droit de vivre et de travailler en français, ainsi que celui des nouveaux arrivants de recevoir des services adéquats de francisation.

Ce sont là des actions à prendre immédiatement si nous voulons déjouer la prédiction de Jacques Godbout !

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