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Lettre au président de TransCanada, Russ Girling

Ici, c'est chez nous. C'est à nous et à personne d'autre de décider de ce qui se promène sur notre fleuve. Alors ton pipeline, ton port pétrolier, Russ, c'est non. Et laisse-moi finir en anglais pour être certain que tu comprennes ce que je dis:
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Cher Russ,

Ce jeudi 30 octobre 2014 est certainement un grand jour pour toi. Tu as fait ta carrière dans le pétrole et voilà que tu annonces le plus important oléoduc de pétrole des sables bitumineux à ne jamais avoir été projeté. Russ, nous venons de mondes différents. Tu travailles à maximiser le rendement de tes actionnaires et à transporter du pétrole. Je lutte pour la protection de l'environnement et de la santé humaine. Je tente de sauver ce qui reste du climat de notre planète. Nous allons dans des directions opposées. Nos chemins se croisent définitivement à partir d'aujourd'hui.

Russ, j'aimerais te poser une question. Existe-t-il un endroit dans le monde qui t'est précieux ? Un lieu unique que tu protègerais à tout prix ? Je t'imagine, enfant, à la pêche avec ton père sur un lac, ou dans le chalet de ta famille sur un bord de mer. Peut-être as-tu grandi sur une ferme en Alberta, avec de grandes prairies de roses sauvages, des couchers de soleil magnifiques ? Peut-être as-tu passé tes vacances dans les Rocheuses ? Tu le vois cet endroit n'est-ce pas ? Quelle est sa valeur pour toi ?

Pour moi, cet endroit, c'est le fleuve Saint-Laurent. J'ai grandi sur ses rives. J'ai passé de grandes journées d'été à marcher sur ses berges, entre les marées, sur les galets et les falaises. Je ramassais des oursins et des coquillages. De temps à autre je perdais une chaussure dans la boue. Les couchers de soleil, les aurores boréales. Le paradis quoi. Une beauté qui ne se raconte même pas. Quelle est la valeur du fleuve pour moi, à ton avis ?

Je voudrais te raconter la première fois que j'ai vu une baleine. C'était à Sainte-Luce sur Mer, près du vieux moulin. C'était un petit rorqual échoué. Je devais avoir huit ou neuf ans. La baleine était deux fois plus haute que moi. Elle sentait mauvais, il y avait des mouches autour. Les enfants donnaient des coups de bâtons dedans.

Russ, la première baleine que j'ai vue était morte. Je m'en souviens comme si c'était hier. La beauté du fleuve. La mort de ses créatures. Russ, j'aimerais que mes petits-enfants puissent voir des baleines vivantes. Les changements climatiques et la pollution tuent notre fleuve. Ton port pétrolier en plein habitat du béluga va enfoncer un autre clou dans ce cercueil, en plus de contribuer au réchauffement du climat. Ton pipeline, il tue mes souvenirs d'enfance.

J'ai une autre histoire à te raconter. Quand Jacques Cartier a fait son second voyage en 1535, il a observé les bélugas dans le Saint-Laurent : «[Nous] eûmes connaissance d'une sorte de poissons (sic) lesquels il n'est mémoire d'homme avoir ni vu ni ouï [...] et sont assez faits par le corps et teste de la façon d'un lévrier, aussi blancs comme neige et sans aucune tache; et il y en a moult grand nombre de dans le dit fleuve qui vivent entre la mer et l'eau douce.» Sais-tu seulement qui est Jacques Cartier ? Sais-tu qui nous sommes ?

Les bélugas du fleuve sont la population de bélugas la plus au sud de la planète, isolée de toutes les autres populations depuis des centaines, voire des milliers d'années. Une anomalie, une histoire de survie. Nous sommes un peuple établi ici depuis plus de 400 ans, vivant sur les terres de Premières Nations qui vivent le long du fleuve depuis 10 000 ans. Une histoire d'endurance, de résistance. Le fleuve, les bélugas, c'est nous.

Le fleuve, Russ, c'est chez nous depuis 400 ans pour les blancs, 10 000 ans pour les premières nations. As-tu seulement pensé nous demander la permission avant de t'y installer en 18 mois comme si tout t'était dû ? Pas besoin puisque tes amis à Ottawa et à Québec t'ont garanti le libre passage. Ottawa dicte, Québec capitule, les Premières Nations sont écartées. Ça fait 400 ans que ça dure.

Russ, tu vas essayer de passer ton pipeline en 18 mois. Je vais essayer de t'arrêter. Si tu gagnes, tu vas prendre une grosse prime de plusieurs millions et aller travailler pour une autre compagnie. Moi je vais rester ici. TransCanada va vendre son pipeline a quelqu'un d'autre, être rachetée ou faire faillite. Dans 20 ans, 40 ans, tu ne seras plus là, la compagnie non plus. Easy come easy gone. Mais le fleuve sera toujours là et nous aussi.

Comprends-tu ce que j'essaie de te dire Russ ? Ici, c'est chez nous. C'est à nous et à personne d'autre de décider de ce qui se promène sur notre fleuve. Alors ton pipeline, ton port pétrolier, Russ, c'est non.

Et laisse-moi finir en anglais pour être certain que tu comprennes ce que je dis :

Make no mistake. You are not welcome here. You'll find us on your way.

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