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Nous sommes la veille de Noël et je ne veux pas trop prendre de votre temps. Je veux vous tendre la main. Plusieurs vous ont reproché de parler de partage, d'entraide et de compassion dans votre message du temps des fêtes. Pas moi. Je vous sais sincère lorsque vous parlez de partage, comme lorsque vous parlez d'austérité.
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Monsieur le ministre,

Nous sommes la veille de Noël et je ne veux pas trop prendre de votre temps. Je veux vous tendre la main. Plusieurs vous ont reproché de parler de partage, d'entraide et de compassion dans votre message du temps des fêtes. Pas moi. Je vous sais sincère lorsque vous parlez de partage, comme lorsque vous parlez d'austérité. Je doute cependant que vous mesuriez à quel point l'un et l'autre vont dans des directions opposées.

Je ne suis pas un économiste, à peine un observateur informé des questions économiques. Aussi vous me permettrez de vous parler de l'expérience de ma famille. Je crois qu'elle est révélatrice des transformations sociales que notre pays a connu depuis trois générations et qui ont fait notre fierté.

Ma grand-mère est née à Québec en 1928. Elle a grandi dans une famille monoparentale, son père étant mort de tuberculose alors qu'elle avait moins de cinq ans. Pendant les dures années de la dépression, elle a vu sa mère se priver de manger pour nourrir ses deux filles dans un taudis du Quartier Latin de Québec où s'entassaient plusieurs familles. Ma grand-mère a connu une époque où l'on disait aux enfants «dort, on n'a pas faim quand on dort».

Ma mère est née en 1950. Elle a eu la chance de grandir dans une famille qui n'a manqué de rien, mais où le superflu était rare. Mon grand-père a travaillé 25 ans comme col bleu à la ville de Sainte-Foy. Il pouvait faire vivre sa famille avec un seul salaire, et peut jouir d'une retraite acceptable depuis l'âge de 60 ans. Ma mère fait partie de la première génération de Québécois qui ont eu accès aux études supérieures, chose impensable pour les générations précédentes.

J'ai grandi dans une famille monoparentale. Nous n'étions pas riches, mais nous n'avons manqué de rien, parce que le filet de sécurité sociale mis sur pied après la Seconde Guerre mondiale avait était assez solide pour que nous ne passions pas au travers de ses mailles. Entre les emplois temporaires et les périodes sur le chômage, ma mère était capable de remplir le frigo et de nous faire vivre.

Je reviens à aujourd'hui. Vous avez certainement entendu parlé de cette mère de Rosemont qui a écrit une lettre qui décrit son quotidien dans une pauvreté qu'on espérait disparue. Je vous en cite un extrait: « Il arrive bien souvent (et mes enfants ne le savent pas) que je me prive de manger ou que j'encaisse ce qui est moins santé pour qu'ils aient le meilleur et qu'ils mangent à leur faim ». J'ai tout de suite pensé à mon arrière-grand-mère. La mère en question doit s'occuper d'un enfant autiste et elle n'arrive pas à travailler en même temps. Elle vit avec 1300 $ par mois. Ses enfants n'ont pas le droit de fouiller dans le frigo sans permission, la nourriture étant rationnée.

Bref, un accident de la vie, un enfant autiste, a poussé une femme et ses enfants sous le seuil de la pauvreté. C'est ici que le partage, l'entraide et la compassion devraient trouver leur sens.

C'est ici que nos visions se séparent. Votre vision, c'est la charité. La mienne, c'est la solidarité. Vous croyez qu'il faut d'abord créer la richesse pour ensuite la redistribuer. Je crois au contraire que c'est la redistribution qui crée la richesse, que sans redistribution la richesse est un gaspillage éhonté. Je crois qu'il est indécent que tant de richesse se soit envolée depuis trois générations sans que jamais certains ne puissent en bénéficier. Le PIB par habitant du Québec s'est accru d'environ 25% depuis 1990. Comment se fait-il que nous n'ayons soudainement plus les moyens de soutenir notre filet de sécurité sociale si nous nous sommes enrichis autant ?

Je ne suis pas expert, mais j'aimerais partager avec vous quelques chiffres. Suite à la mise en place des politiques familiales québécoises et du régime public de garderies les plus progressistes du continent, le taux d'emploi des femmes monoparentales est passé de 46% à 69% en à peine dix ans. Le taux de familles monoparentales dont le revenu était inférieur de 50% au revenu médian est passé de 35% à 22%. Et tenez-vous bien : la proportion des enfants de moins de 5 ans qui grandissent sous le seuil de pauvreté a diminué de 65% !

Ces chiffres, ce sont des gens. Ce sont des femmes qui retrouvent le marché du travail, des enfants qui réussissent à l'école parce qu'ils y arrivent le ventre plein. Ces chiffres, c'est le cycle de la pauvreté qui se brise, c'est l'avenir du Québec. Le Québec est le champion toutes catégories de la lutte à la pauvreté! C'est avec ceci que votre gouvernement joue en ce moment, sans en avoir étudié les répercussions probables.

Je reviens à ma grand-mère. À 14 ans, elle a pris son premier emploi. Privée de tout depuis toujours, elle a épargné un peu d'argent et s'est acheté son premier arbre de Noël. À chaque année depuis, je pense à elle en faisant le mien.

Parce que la vraie richesse, monsieur Coiteux, elle ne se mesure pas par le nombre de BMW qui roulent sur nos routes. Elle se mesure par le nombre d'enfants qui sont encore privés d'arbre de Noël et envers lesquels nous avons un devoir de solidarité.

Joyeux Noël, monsieur le ministre, souhaitons-nous que chaque enfant ait son arbre de Noël en 2015.

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