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Une motion sans conséquence?

Je demeure perplexe quant aux actions qui suivront l'adoption de la motion de la CAQ. Que fera le gouvernement? Comment se fait-il qu'il ait fallu la sortie de Jean-François Lisée pour faire bouger le Commissaire à l'éthique? Comment justifier son silence?
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Nous sommes le 9 mars 2014. Pierre Karl Péladeau annonce sa candidature dans le comté de Saint-Jérôme pour le Parti québécois. Quelques minutes plus tard, le chef de la CAQ est on ne peut plus ferme: M. Péladeau doit vendre toutes ses parts dans Québecor s'il veut faire de la politique. Une fiducie sans droit de regard serait-elle suffisante? Non, répond Legault. Il s'agit d'une «fausse solution».

Nous sommes en pleine campagne électorale et le chef de la CAQ n'est pas le seul à s'inquiéter des effets d'accueillir au sein de l'Assemblée nationale un candidat qui détient autant de pouvoir sur les médias québécois. Ce même jour, l'analyste politique de L'Actualité, Alec Castonguay, signait un texte intitulé PKP au PQ: Le Berlusconi du Québec?"

Pierre Karl Péladeau doit vendre toutes ses actions de Québecor. Françoise David et François Legault l'ont demandé ce matin. Ils ont raison. Ce n'est pas une question partisane. Il en va de la crédibilité du débat politique dans les mois et les années à venir, et de celle de cette campagne électorale au premier chef. Il appartient à Pierre Karl Péladeau de prendre les dispositions nécessaires pour éviter la confusion et l'exemple italien (Berlusconi).

Dans tous les cas, il nous apparaît qu'un grand propriétaire de médias de masse doit rester loin des postes de pouvoir au sein de l'État. (...) et même s'il place les actions qui lui donnent le contrôle de Québecor dans une fiducie sans droit de regard, son pouvoir d'influence demeure réel. (...) Pour la FPJQ, le commissaire à l'éthique et à la déontologie, Me Jacques Saint-Laurent, doit se pencher très attentivement sur cette question.

Par ailleurs, selon Le Devoir, «le président de la Fédération, Pierre Craig, estime que si M. Péladeau fait le choix de la politique, il doit renoncer à la propriété de ses médias d'information.» Reconnaissant que Pierre Karl Péladeau s'était déjà engagé à placer ses actions dans une fiducie sans droit de regard, « le président de la FPJQ estime que cette assurance est insuffisante en soi pour assurer qu'il n'y aura pas de pressions politiques exercées à l'endroit des médias de Québecor et qu'il faut des garanties structurelles. »

Du côté du PLQ, le nouveau chef Philippe Couillard juge que Madame Marois a «fait preuve d'un manque de jugement et d'irresponsabilité». Selon ce que rapporte Denis Lessard de La Presse:

Le fait que Pierre Karl Péladeau se soit engagé à confier ses actions de Québecor à une fiducie sans droit de regard n'est pas suffisant à ses yeux. (...) Après avoir tergiversé (sur les précautions qu'aurait dû prendre Pauline Marois), Philippe Couillard a réclamé que Pierre Karl Péladeau cède ses actions, comme l'a fait avant lui le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault. « C'est une question qui m'apparaît essentielle pour une démocratie », de conclure Philippe Couillard.

Claude Bisson, jurisconsulte de l'Assemblée nationale (celui qui est le conseiller juridique nommé par l'Assemblée pour donner des avis aux députés sur les conflits d'intérêts), estime que «l'empire médiatique de Pierre Karl Péladeau a une capacité "d'influencer" la population et ne saurait être considéré comme une entreprise ordinaire». (Source)

Quant au Commissaire à l'éthique de l'Assemblée nationale, celui-ci n'est pas «en mesure de dire si le code d'éthique actuel exigerait que M. Péladeau vende ses actions», selon ce que rapporte La Presse. Dans ce même article, on y apprend toutefois que Pierre Karl Péladeau aurait déjà pris contact avec le Commissaire à l'éthique et qu'il s'engageait à placer ses actions dans une fiducie sans droit de regard 60 jours après son élection. «Nécessaire, mais peut-être pas suffisant», selon le Commissaire. (Rappelons également que six mois après son élection, ce mandat n'a pas encore été confié à un fiduciaire quelconque).

Enfin, au printemps passé, alors que nous étions en plein tourbillon électoral et que le poing en l'air de Péladeau allait faire couler tous les espoirs du Parti québécois, les président et directeur général de l'Institut sur la gouvernance, Yvan Allaire et Michel Nadeau, prennent position dans une lettre ouverte au Devoir.

Bien que M. Péladeau se soit engagé à placer ses avoirs dans une fiducie sans droit de regard et de respecter le code d'éthique de l'Assemblée nationale, ces mesures sont insuffisantes. Elles conviennent aux situations habituelles lorsqu'un membre du gouvernement détient un patrimoine important ou des intérêts dans une entreprise commerciale oeuvrant dans une industrie autre que les journaux et la télévision.

Pour remédier à la situation, le duo Allaire/Nadeau propose une solution: ramener sous la barre des 50 % l'actionnariat de PKP dans le Groupe TVA, sous lequel on aura regroupé toutes les activités reliées aux médias. «En résultat de ces opérations, les journaux et stations de télévision seraient, en droit et en fait, hors de portée de l'influence de M. Péladeau», selon les représentants de l'Institut sur la gouvernance.

Pour compléter le tout, en plein débat des chefs à Radio-Canada, celui qui allait devenir le premier ministre du Québec endossait la position du chef de la CAQ. S'adressant à la première ministre sortante, voici ce qu'avait à dire Philippe Couillard:

La liberté de presse, ce n'est pas un enjeu habituel, Mme Marois. Je crois que vous auriez dû faire preuve de plus d'autorité et de plus de jugement en demandant à M. Péladeau de vendre complètement ses actions avant de venir en politique. [...] Partout dans le monde, où on verrait une situation semblable, ce serait inacceptable.

Six mois plus tard...

La chef du PQ a démissionné, PKP est le candidat pressenti pour gagner la course à la chefferie, et le député Péladeau n'a toujours pas donné suite à sa promesse de disposer de ses actions dans une fiducie sans droit de regard. Plus encore, pour des raisons autant sentimentales («c'est l'héritage de mon père») que supposément nationalistes (il ne croit pas que le contrôle de l'entreprise demeurerait au Québec s'il la vendait), il déclare à de multiples reprises qu'il est hors de question qu'il vende ses actions dans Québecor.

Motion de la CAQ à l'Assemblée nationale la semaine dernière pour demander au gouvernement de confier au Commissaire à l'éthique de mettre à jour le Code d'éthique des élus: le PLQ, la CAQ et QS appuient la motion. Reprise dans les médias des arguments du printemps passé. On rejoue la pièce une 2e fois. Mêmes inquiétudes, mêmes signaux d'avertissement, mêmes intervenants auxquels s'ajoutent d'autres commentateurs tout aussi inquiets. Cette fois-ci, on prend la chose encore plus au sérieux. Il ne s'agit plus seulement d'un député. Est-il seulement imaginable qu'un PM détienne 40 % des médias au Québec?

Mais cette fois, c'est l'hystérie collective du côté du Parti québécois. On s'objecte avec toute l'indignation, la partisanerie, l'incohérence et la bassesse politique dont on sait faire preuve (je vous fais grâce des disjonctions de Jean-François Lisée).

Que s'est-il passé dans le camp des péquistes? N'avaient-ils pas exigé jadis du ministre libéral Pierre Arcand qu'il vende des actions (déjà en fiducie) qu'il possédait dans une firme d'affichage Métromédia Plus, lui qui avait déjà vendu ses actions dans la chaîne de radio Corus?

Les péquistes ne sont-ils pas ceux qui ont exigé que la députée libérale Julie Boulet vende sa pharmacie et les actions qu'elle détenait dans une entreprise familiale de production de bottes de cowboy (léguée par son père!)? «C'était la vente ou rien», se rappelle l'ancienne députée.

Est-ce que la députée péquiste Agnès Maltais n'était pas celle qui en 2009, «s'était indignée de la situation du ministre du Travail, David Whissell, même s'il avait confié à une fiducie sans droit de regard ses actions dans une entreprise familiale? Harcelé jour après jour, M. Whissell avait fini par démissionner», raconte La Presse.

Il s'est dit et écrit beaucoup de choses sur toute cette histoire depuis la fameuse sortie de Jean-François Lisée où il déclarait qu'on ne pouvait gouverner le Québec tout en étant actionnaire de contrôle de Québecor. Beaucoup d'analystes et commentateurs se sont ajoutés à ceux qui trouvent inacceptable une telle concentration du pouvoir exécutif et de celui des médias chez une seule personne.

Cela dit, j'avoue que je demeure perplexe quant aux actions qui suivront l'adoption de la motion de la CAQ. Que fera le gouvernement? Comment se fait-il qu'il ait fallu la sortie de Jean-François Lisée pour faire bouger le Commissaire à l'éthique? Comment justifier son silence?

Doit-on en retenir une vérité toute simple qui est celle que les péquistes seraient au-dessus des lois? Que ce qui est bon pour Québecor est nécessairement bon pour le Québec? Qu'il y aura toujours un « deux poids, deux mesures » lorsqu'il s'agit des péquistes?

Aux dernières nouvelles, Philippe Couillard aurait concédé que «Ce n'est pas par une motion à l'Assemblée nationale ni par un projet de loi que va se régler cette question. Cela va se régler par une décision personnelle de M. Péladeau». Une «décision personnelle»...

Eh ben. Tout ce cirque, il était là pourquoi alors?

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