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Au point où nous en sommes, je crois que les chiens peuvent nous sauver

Pour trouver un moyen d'aimer l'homme encore, je ne vois qu'une image: un humain qui se met en quatre pour le bien être d'un chien.
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Au point où nous en sommes, je crois que les chiens peuvent nous sauver
Au point où nous en sommes, je crois que les chiens peuvent nous sauver
Au point où nous en sommes, je crois que les chiens peuvent nous sauver

«Cher Joann, à l'occasion de la sortie de ton roman, pourrait-tu nous écrire un texte au sujet des chiens? Ça tombe bien, car ton livre parait deux jours avant la journée des chiens». Ceci est donc un texte promotionnel. C'est Thomas Fersen qui m'a appris à ne pas détester la promotion de mes ouvrages. Il m'a dit: «C'est parce que les gens n'ont pas que ça à faire. On leur met tellement de choses devant le nez que si tu ne vas pas faire le clown dans les émissions et les journaux, même s'ils s'intéressent à ton travail, ils ne sauront pas que tu as fait un disque ou un film ou dans ton cas un roman». Je comprends. C'est pourquoi j'ai accepté de donner au JDD une longue interview sur les dangers d'internet; parce que mon roman parle de cette tristesse qui vous écrase dans les grandes villes, et de l'espoir qu'on met dans un visage, fut-il aperçu sur Facebook.

Est-ce que c'est pour ça aussi que j'accepte de faire un billet au sujet des chiens? Parce que mon roman parle de la fois où j'ai dû rendre un chien à son éleveuse et parce que je ne m'en remets toujours pas, parce que ce chien ne voulait pas cesser d'essayer d'assassiner mes chats? Pas seulement. Je suis obsédé par les chiens. C'est un dénominateur. Ça peut nous sauver. Si tu sais que les types qui se jettent sur la foule en voiture font l'apologie de la barbe et du voilement, qu'est ce que tu as dans la tête si tu t'habilles comme ils souhaitent te voir? Tu peux passer ta vie à répéter que ça n'a rien à voir avec les choses qui sont sacrées pour toi, tu refuses de voir en face cette réalité: des ordures nous font mourir pour la raison qu'ils se sentent incompatibles avec tout ce qu'on tente de construire dès qu'on se met ensemble. Cette maladie mentale qui consiste à appeler «frère» quiconque possède la même religion que toi et à tenter soit de convertir soit de faire disparaître d'une façon ou d'une autre quiconque ne veut pas aller dans ton gang, c'est la fin de tout. C'est le moment où un pays ne devient rien d'autre qu'une espèce de salle d'attente. Salle d'attente des ordures: celui-ci rêve d'une France blanche. Celui-là veut qu'on accepte comme normal un pays ou chaque religion pourra imposer sa loi, même sur les incroyants.

Il faut multiplier les choses en commun. Ce qu'on fait ensemble. Ce qui fait consensus.

Et puis il y a les chiens qui ne savent pas tout ça et qui nous regardent faire. C'est bien simple, si on n'arrête pas de se réfugier chacun dans notre clan, on va exploser. Il faut multiplier les choses en commun. Ce qu'on fait ensemble. Ce qui fait consensus. Je crois qu'il y a une position commune au sujet du chien. Ça dit comment on est capables de s'occuper de quiconque sera en situation de fragilité par rapport à nous. Je suis compréhensible?

Le Blanc n'est pas l'unique dominant. Chaque merde humaine peut si ça lui prend devenir le dominant de sa barre d'immeuble, de son abribus ou de sa classe. C'est ce qu'on fait lorsqu'à la place d'un coeur on a cette tartine indigeste où se mélangent une tranche d'humanité et une épaisse couche de bête. Le chien, c'est l'occasion d'arrêter. Rappelez vous ce film où pour retrouver foi en l'espèce il fallait aller à l'aéroport et regarder les familles qui se retrouvent. Race, religion, genre, tout ça disparait face à l'universel des gens qui se retrouvent après un voyage et qui s'aiment. Et leur sourire tient lieu de ticket pour un nouveau départ dans le manège de l'humanisme. Le chien c'est ça. Allez à la SPA voir les bénévoles et les adoptants, dans leur infinie diversité et dans ce point commun qui les rassemble: le chien. Là, ils deviennent beaux. Là, leurs identités me semblent soudain accessoires. L'odeur infecte du clan ou du culte disparaît face à cette chose vieille comme Néanderthal: un humain et son chien.

Pour combattre cette peste et trouver un moyen d'aimer l'homme encore, je ne vois qu'une image: un humain qui se met en quatre pour le bien-être d'un chien.

Je vais continuer à accepter les interviews sur les dangers d'Internet, mais ce dont parle mon roman, c'est ça: l'absence de caverne où se réfugier, la solitude, la difficulté du chien, et le danger de ces bêtes humaines qui croient que quiconque est de leur clan relève du «frère» et que l'autre est soit un ennemi, soit un gibier à convertir. Pour combattre cette peste et trouver un moyen d'aimer l'homme encore, je ne vois qu'une image: un humain qui se met en quatre pour le bien-être d'un chien.

Vient de paraître: Vous connaissez peut-être, de Joann Sfar, aux éditions Albin Michel

Albin Michel

Ce billet de blogue a d'abord été sur le HuffPost France.

Avril 2018

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