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Les 50 ans des cégeps : constat d'un lamentable échec conceptuel

«Désolé de jouer les empêcheurs de tourner en rond, mais la création des cégeps n'est pas du tout une réussite.»
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Le confrère Réjean Bergeron, professeur de philosophie au cégep Gérald-Godin, s'est fendu, à l'occasion du 50 anniversaire de la création des cégeps, d'un panégyrique dithyrambique sur le sujet. Sonnez crécelles, jouez violons ! Tout est merveilleux dans le fabuleux monde des cégeps, selon Bergeron. Il n'est pas le seul à jubiler de la sorte, Le Devoir publiait dans son édition du 18-19 novembre dernier un cahier spécial soulignant l'anniversaire en question.

Désolé de jouer les empêcheurs de tourner en rond, mais la création des cégeps n'est pas du tout une réussite. Pourquoi donc ? Parce qu'elle repose sur conception erronée des rapports entre égalité et liberté.

L'Égalité, en effet, valeur phare de la social-démocratie que devenait le Canada français à partir de la Révolution tranquille en 1960, étendit ses tentacules dans le domaine de l'éducation. Le Rapport Parent posait en effet un lien complémentaire indissociable entre liberté et égalité. Je cite le dit Rapport :

L'égalité appelle la liberté; l'une ne se réalise pas sans l'autre... Égalité sociale et liberté sont les conditions d'une généralisation de l'éducation; celle-ci est en retour source de liberté et facteur d'une plus juste égalité. (L'éducation pour tous. Une anthologie du Rapport Parent, Choix de textes et présentation par Claude Corbo, PUM, 2002, p. 85.)

Supposons que, pour lutter contre la famine, nous décidions d'offrir à chacun le même plat avec la même quantité de nourriture. Par exemple, un plat de pâtes, des spaghettis. Tout le monde mange, est certes rassasié, mais pour ce qui concerne la qualité et la variété des mets on repassera.

En somme, la recherche de l'égalité est incompatible avec la liberté. Ou encore : l'égalité implique une perte sèche de liberté. J'aimerais bien être libre de manger autre chose que des pâtes; mais le souci d'égalité m'en empêche.

Il en va de même en éducation : le souci d'égalité implique un nivellement par le bas. Les bons profs ? Dans un système d'éducation égalitaire, un «bon» professeur, ça n'existe pas, car tous doivent être bons. Donc, c'est le règne de la médiocrité.

C'est le philosophe de la politique, John Rawls, qui énonce dans son fameux essai Une théorie de la justice (1971), qu'«au nom de la liberté, la liberté doit être limitée». C'est-à-dire : pour que tous soient libres également, il faut limiter la liberté.

Or, la liberté est source de création et d'invention. Par hypothèse, si tout le monde était égal, personne ne s'intéresserait à connaître et à apprendre quoi que ce soit. Sans liberté, pas d'éducation, en somme. Au contraire, les auteurs du Rapport Parent ne croyaient pas à la liberté. Ils pensaient erronément qu'il fallait que tous soient égaux pour que tous soient libres. Erreur conceptuelle aux conséquences abyssales.

Les rédacteurs du Rapport Parent partaient donc d'une mauvaise prémisse : l'égalité devant assurer la liberté; au contraire, l'égalité brime la liberté. Depuis lors, l'éducation au Québec roule sur cette funeste erreur conceptuelle.

Ce qui est d'autant navrant c'est que, Guy Rocher, l'un des membres de la Commission d'enquête sur l'éducation, vient d'être honoré d'une Place en son nom au cégep du Vieux Montréal...

Automne 1973. J'entreprends des études collégiales dans le programme philosophie (0.34) au cégep du Vieux Montréal. Malheureusement, je n'apprendrai pas la philosophie... mais le marxisme. Je deviendrai un fin-connaisseur des écrits de Marx...

Aujourd'hui, je jalouse l'éducation qu'ont reçue un Guy Rocher ou un Georges Leroux, ce dernier ayant reçu l'enseignement des jésuites au Collège Sainte-Marie (voir Georges Leroux, entretiens avec Christian Nadeau, Boréal, 2017).

Merci, messieurs et mesdames de la Commission Parent, vous avez bien nivelé par le bas l'éducation au Québec.

À cette époque ténébreuse au Vieux Montréal, il n'était pas question d'étudier les grands philosophes car, d'après la 11 thèse de Marx sur Feuerbach : « Les philosophes n'ont fait qu'interpréter diversement le monde, il faut aujourd'hui le transformer. ». Donc, au lieu d'étudier le grec et le latin, Platon, Aristote, Descartes, et tout le tralala, j'étudiais les discours des chefs syndicaux représentants le fameux Front Commun : les Laberge, Charbonneau et Pépin... Quel ennui mortel !

Merci, messieurs et mesdames de la Commission Parent, vous avez bien nivelé par le bas l'éducation au Québec. Il est à souhaiter qu'une éventuelle Commission d'enquête sur l'éducation corrige l'erreur de ne pas assimiler égalité et liberté.

Ce qui rend libre, c'est la vérité, comme le dit l'évangéliste Jean (8 32). Aristote, de son côté, déclare, dès la toute première ligne de la Métaphysique, «Par nature, l'homme désire connaître». Or, l'homme n'est pas une pure abstraction qui détiendrait des droits inaliénables, mais des personnes bien concrètes et singulières. C'est là, la seconde erreur du Rapport Parent : ce ne sont pas des Hommes et des Femmes qui s'éduquent, mais des personnes, et certainement pas des «citoyens», cet immonde abstraction.

L'éducation est conçue, selon la philosophie de l'éducation du Rapport Parent, comme un «bien commun», et non pas comme elle doit l'être, à savoir comme un bien de la personne, un bien personnel.

L'éducation selon le Rapport Parent se veut citoyenne visant, non pas l'éducation pour elle-même, mais la justice sociale. La pensée politique de Guy Rocher est toujours celle de la justice sociale. En 2012, lors de la grève étudiante réclamant la gratuité scolaire au niveau supérieur, il prit fait et cause pour les étudiants sur la base de la justice sociale. Il écrit : «La notion de justice sociale s'est affaiblie, l'espoir a perdu de son pouvoir évocateur.» («Une mentalité commerciale» in Université Inc., E. Martin et M. Ouellet dir., 2011, p. 126)

Ce que ne réalise pas l'un des auteurs du Rapport Parent, est que l'éducation s'ajuste désormais à un projet politique, celui de la justice sociale, où celle-ci devient la valeur ultime subordonnant l'éducation. Professeurs et étudiants deviennent alors des pions dans ce jeu de pouvoir dominé par l'État, protection de ce «bien commun», collectif. L'éducation étatique devient «collectiviste», et non pas «personnaliste» comme elle devrait l'être.

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