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On aime répéter que «la démocratie a parlé». On veut se rassurer par ces mots. Or, on a montré que la démocratie n'est pas, et de loin, le meilleur système.
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L'élection historique du 8 novembre dernier mérite réflexion. Quel regard un philosophe peut-il poser sur l'élection à la Maison Blanche de Donald Trump?

Je ne reprendrai pas les analyses éloquentes des experts politiques qui pullulent dans les médias. Sauf pour dire ceci: l'élection de Trump ne me surprend pas le moins du monde, étant donné la grogne profonde que nourrissait bon nombre d'Américains depuis huit ans contre l'administration Obama. Trump est leur Sauveur. Il représente la liberté, valeur si chère depuis toujours au cœur du peuple américain. Il pulvérise la rectitude politique. Trump a tonné contre l'innommable (aux yeux du moins des radicaux républicains) bureaucratie fédérale. De ce point de vue, qui est celui d'une grande partie de la population américaine, Trump représente le Messie tant espéré par qui ils réaliseront l'Exode de l'enfer de cet Égypte étatique qu'est le gouvernement fédéral . Pour nous, Québécois et Canadiens, au contraire, c'est un monstre, et nous sommes sidérés que les Américains aient pu élire ce sombre personnage.

On a dit, et on aime à le répéter à chaque occasion, le soir du 8 novembre dernier que «la démocratie a parlé». Ces mots couvent toute une mythologie. Surtout, on veut se rassurer par ces mots que l'exercice fondamental d'une démocratie s'est bien déroulé et que la démocratie est en santé. Or, on a montré que la démocratie n'est pas, et de loin, le meilleur système d'organisation du pouvoir politique. D'où le mot célèbre de Winston Churchill: «La démocratie est le pire de tous les régimes politiques, à l'exception de tous les autres essayés par le passé.» On s'entend que la démocratie ne résout pas tous les problèmes de la vie politique, mais c'est le meilleur de tous les régimes car elle correspond aux grandes valeurs modernes de liberté et d'égalité.

Tout de même, il est bon de se rappeler les redoutables objections contre la démocratie. Entre autres, celle connue du nom du «paradoxe de la démocratie». L'électeur est confronté au paradoxe suivant. Il vote pour le parti A, car il a de bonnes raisons de penser que ce parti est préférable au parti B. Or, une majorité d'électeurs votent pour le parti B. L'électeur, s'il est bon démocrate, semble devoir admettre à la fois que le parti A est le meilleur et qu'il ne l'est pas. Voilà le paradoxe de la démocratie.

Le pouvoir légitime n'est bon que lorsqu'on sait correctement s'en servir

Le problème le plus sérieux dans ce paradoxe de la démocratie, c'est que la démocratie semble aller à l'encontre de la rationalité. Je vote pour le candidat A qui, à mes yeux du moins, semble le choix le plus judicieux pour telle et telle raison. Mais une majorité d'électeurs opine le contraire en votant pour le candidat B. En bon démocrate - la démocratie ayant parlé! - je dois me rallier à la décision majoritaire. Donc, tout se passe comme si mes raisons de voter pour le candidat A ne valent plus. Ce qui signifie que ce sont les raisons soutenues par la majorité qui sont les bonnes, ou du moins les plus légitimes, pas les miennes.

C'est le sophisme connu de l'appel au grand nombre. L'irrationnel par excellence.

Les trois grands philosophes de l'Antiquité grecque à l'époque classique, Socrate, Platon et Aristote, n'ont jamais défendu la démocratie. Socrate, en particulier, ne prisait guère la démocratie athénienne - bien qu'il ne l'ait jamais ouvertement critiquée, voire condamnée. On peut comprendre d'ailleurs que son exécution constitue un règlement de compte politique. Il ne faut pas perdre de vue que, quatre ans avant son exécution en 399 avant notre ère, Athènes rétablissait la démocratie et ses partisans suspectaient tous ceux qui n'adhéraient pas ouvertement, comme Socrate, à la démocratie.

Qu'est-ce donc qui explique les réticences de Socrate envers la démocratie? Les exigences précédentes de la rationalité: la raison répugne à admettre que le grand nombre ait la vérité. Du point de Socrate, une raison fondamentale l'invitait à fuir la politique: sa mission qui lui fut prescrite par le dieu de Delphes, Apollon. Au sanctuaire de Delphes, justement, sur les frontons du temple, étaient inscrits des adages de sagesse. Socrate fit sienne la suivante: «Connais-toi toi-même!» («Gnôti seauton»).

Ce qui veut dire: «Recherche toi-même la vertu qui t'épanouira». Socrate douta au départ qu'il posséda le savoir de la vertu. Aussi, il passa le plus clair de son temps à interroger les prétendus experts - dont les politiciens - pour savoir ce qu'était la vertu menant à l'épanouissement, au bonheur. Or, il se rendit vite compte que ces soi-disant experts n'en savaient rien, même s'ils prétendaient le contraire. Ils ignoraient qu'ils ignoraient!

Les conservations relatées sous forme de dialogues par son élève et ami Platon montrent l'ignorance pitoyable et l'impudence des interlocuteurs de Socrate. L'interlocuteur de Socrate en vient au bout du compte à comprendre qu'il ignore de ce dont il parle. De son côté, Socrate réalise qu'il est sage dans mesure où il sait, lui, qu'il ne sait rien.

Donc, au lieu de passer son temps à entendre les discours creux de ses concitoyens à l'Assemblée du peuple athénien, Socrate se faisait un devoir d'entrer en relation personnelle avec ses concitoyens athéniens afin de savoir s'ils savaient vraiment ce dont ils parlaient.

Dans l'Apologie de Socrate, le sage athénien doit réfuter des accusations criminelles portées contre lui. Platon lui fait dire ces paroles: «Jusqu'à la fin de mes jours, je continuerai à aller par les rues en exhortant mes concitoyens: 'Occupez-vous de votre âme plutôt que de votre corps. Utilisez votre raison à rechercher la vertu plutôt qu'à accroître votre fortune ou à soigner votre réputation!'»

Nous vivons, comme les Athéniens, dans une culture de l'Avoir. Socrate, lui, plaidait pour une culture de l'Être. Il y a de bonnes raisons de penser que la démocratie athénienne, comme la nôtre, procèdent toutes deux de la culture de l'Avoir. Avoir quoi au juste? - Le pouvoir. Socrate nous rappelle que ce bien qu'est le pouvoir légitime n'est bon que lorsqu'on sait correctement s'en servir, et pour savoir correctement en faire usage, il convient au préalable savoir ce qui est bien ou bon en soi. Nous sommes alors engagés dans une quête de l'Être, et non plus de l'Avoir.

Donc, avant de s'engager en politique, il est impérieux, pensait Socrate, de se connaître soi-même, c'est-à-dire connaître ce qui est bien. En d'autres termes, il faut être. La politique n'est jamais un moyen pour nos satisfaire nos propres intérêts, mais pour les fins de l'être. Espérons que le 45e président des USA puisse entendre la voix de l'Être.

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