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«Jeûner» ou «pratiquer la faim»?

Quelle différence y a-t-il entre pratiquer «le jeûne» et «pratiquer la faim»? Pratiquer quoi en fait? De ne pas manger et boire? Pratiquer inclut obligatoirement «se mettre en action». Quelle action y a- t-il dans l'abstinence alimentaire?
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Dernièrement, une station de radio m'a invité pour parler de la répercussion du jeûne sur le comportement en société en tant que psychiatre et psychanalyste. Mon esprit a été envahi par une multitude de questions. Et si nous consultions ensemble sur certaines de ces questions? Afin d'éviter tout malentendu, penchons-nous sur le jeûne de façon générale, celui qui est prescrit dans toutes les religions et non pas sur le jeûne d'une religion en particulier.

Suffit-il de s'abstenir de boire, de manger, de fumer, de se droguer durant une période donnée pour affirmer: «je suis un jeûneur et un pratiquant et j'ai accompli mes obligations»? Suffit-il de s'abstenir d'introduire toute substance étrangère dans son corps, de l'aube au coucher du soleil, sauf l'air pollué, pour dire: «je suis un jeûneur et un pratiquant»? Les pollutions de nos pots d'échappement, de nos ordures, de nos paroles, de nos connexions internet, de nos écrans, de nos comportements incorrects, ne sont-elles pas des «substances» étrangères qui s'introduisent dans notre corps, par nos nez, nos gorges, nos bouches, nos oreilles, nos yeux? Ne cassent-elles pas notre jeûne?

Qu'en-est-il aussi du reste qui s'introduit dans notre corps, comme les propos agressifs, les regards équivoques, les images malsaines, les propos non chastes, les comportements indécents, irrespectueux, le harcèlement sexuel de nos concitoyennes sur la voie publique, la maltraitance de la part d'un mari, d'un père, d'une mère, d'un frère, ou autres?

Qu'en est-il de ce que nous laissons s'introduire en nous, comme la détresse des réfugiés dans nos rues, comme ces informations et ces images médiatiques désastreuses qui expriment le désarroi de l'humanité? Puis-je dire que ma conscience, si j'en ai une, «est jeûneuse et pratiquante»? Pensez-vous que le jeûne n'est que le fait de s'abstenir de manger et de boire? Ne pensez-vous pas qu'un «jeûneur» doit avant tout «s'abstenir» de tout ce qui pollue l'esprit, la conscience humaine, la société, l'environnement, les relations avec les autres, l'amour du prochain, la citoyenneté, le respect, la tolérance et la coexistence avec tout être humain, quelles que soient ses croyances et ses origines?

Quelle différence y a-t-il entre pratiquer «le jeûne» et «pratiquer la faim»? Pratiquer quoi en fait? De ne pas manger et boire? Pratiquer inclut obligatoirement «se mettre en action». Quelle action y a- t-il dans l'abstinence alimentaire? C'est tout le contraire de «pratiquer», c'est plutôt «ne pas se mettre en action pour manger»! Que pratiquons-nous donc alors en jeûnant? Vous allez me dire «observer une loi religieuse». Certes vous avez raison, mais la loi du jeûne, ou plutôt son but ne se résume-t-il que dans l'abstinence alimentaire?

Ne pensez-vous pas qu'elle impose en plus de l'abstinence alimentaire d'autres «pratiques»? Ne pensez-vous pas qu'elle nous projette dans une transformation spirituelle, une transformation de notre conscience, une transformation de nos comportements, une transformation de nos valeurs humaines, une remise en question de notre quotidien durant toute l'année? Pratiquer le jeûne n'inclut-il pas obligatoirement «se mettre en action» et «se remettre en question»? Ne pensez-vous pas que jeûner c'est d'abord «s'exercer à être en état de détachement»? Ne serait-il pas plus bénéfique de se détacher de la nourriture, de toutes sortes d'addictions (drogue, sexe, argent...), de la médisance, du mal, de l'intolérance raciale, religieuse, de tout ce qui pollue la conscience et les valeurs humaines, de l'irrespect, de la haine, de la violence, de l'injustice, d'une mauvaise hygiène de vie, de la corruption, de l'égoïsme, de la rivalité, de la compétitivité, de l'avidité, de l'oisiveté, des préjugés, de l'extrémisme, du fanatisme?

Lorsqu'on doit «se détacher», ne pensez-vous pas qu'il y a un effort à faire? Ne pensez-vous pas qu'il faut se mettre en action? Ne pensez-vous pas que nous devenons ainsi de vrais «pratiquants»? Ne pensez-vous pas que les individus qui pratiquent ce type de détachement durant toute leur vie ne sont pas des «jeûneurs de tous les jours de l'année»? Les véritables «jeûneurs»?

Seulement, lorsque nous nous mettons en action pour nous détacher d'un état, nous sommes obligés de nous attacher à un autre état. L'être humain est un être en perpétuel «attachement- détachement» en boucle depuis sa procréation. L'œuf embryonnaire ne s'attache-t-il pas dans l'utérus, pour évoluer et s'en détacher par l'accouchement, pour se transformer en personne attachée de nouveau au sein de sa mère pour s'en détacher par la suite et ainsi de suite? Ne pensez-vous pas aussi que «s'attacher» à autre chose nous demande un autre effort?

Ne pensez-vous pas que le «détachement» oblige un autre «attachement»? Ne s'agit-il pas d'une sorte de transformation? Le jeûne ne devrait-il pas être un moyen de self control qui devrait produire notre transformation spirituelle et comportementale? Ne pensez-vous pas que le jeûne devrait nous détacher de notre état antérieur, pour nous attacher à un nouvel état? Ne pensez-vous pas que le jeûne devrait nous transformer en «nouveaux hommes» qui se remettent en question et se transforment spirituellement et humainement pour une société meilleure, une société harmonieuse, tolérante et pacifique?

En nous observant durant le jeûne, trouvons-nous que nous nous détachons de nos états antérieurs ou bien nous y attachons-nous encore davantage? Alors quitte à jeûner sans remise en question, sans savoir utiliser l'instrument du «jeûne», autant «pratiquer la faim» tout simplement, mais sans dénoncer les vrais «jeûneurs», ceux qui pratiquent réellement «le jeûne», ceux qui se sont remis en question et ont fait un choix par conviction, ceux qui se sont détachés d'un état antérieur pour évoluer vers un autre, ceux qui œuvrent jour et nuit pour changer le monde, ceux qui ont dit «stop» au fait de reproduire «la pratique de la faim» et qui ont décidé de «jeûner» en jeûnant ou non!

Ce billet de blogue a initialement été publié sur le Huffington Post Maghreb.

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