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Attentats meurtriers: mondialisation en trompe l'œil

La mondialisation de l'information donne l'impression que nous vivons tous dans la même sphère informationnelle, mais les cultures nationales ou locales donnent sens ou déforment l'information que la technologie nous livre instantanément, de façon brute.
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Les attentats meurtriers qui ont coûté la vie à douze personnes dans la rédaction de Charlie Hebdo puis à cinq autres à Montrouge et dans l'attaque antisémite de la Porte de Vincennes (Hyper Casher) illustrent la mondialisation des espaces de communication, mais aussi la persistance des cultures nationales qui n'évoluent pas à la vitesse de la technologie. Les assassins s'informaient sur le Net et ils avaient voyagé au Yémen.

Les réactions internationales montrent non seulement que l'information est mondialisée, mais aussi que la désinformation se mondialise. Au Niger, des églises ont été détruites alors même que le pape a dénoncé le non-respect de la foi de l'autre et donc pris le parti du respect de l'islam, ce que réclamaient les manifestants. Ceux-ci n'ont donc pas compris que Charlie Hebdo et le pape n'étaient pas sur la même longueur d'ondes. La technologie a permis l'information instantanée, mais elle a été immédiatement adaptée au contexte local.

La mondialisation de l'information donne l'impression que nous vivons tous dans la même sphère informationnelle, mais les cultures nationales ou locales donnent sens ou déforment l'information que la technologie nous livre instantanément et de façon brute. Informer et comprendre sont deux activités différentes.

Entre la France et les Etats-Unis, là où les cultures sont proches et où la communication est permanente et fournie, les différences historiques et culturelles expliquent un traitement de l'information très différent. Alors que la loi américaine sur la liberté d'expression autorise beaucoup de choses qui sont interdites en France (pas de lois mémorielles, défense par des avocats juifs de l'ACLU du droit des néo-nazis à manifester à Skokie en 1978, pas d'interdiction de la parole négationniste..), on a noté une réticence, voire un refus catégorique de publier les caricatures de Charlie Hebdo dans les grands médias.

Ce n'est pas la loi, mais l'usage qui a conduit à cette décision. Pour les médias américains, l'offense visant les groupes religieux n'est pas acceptable. On peut penser que l'utilisation de drones ou la guerre lancée sur la base de mensonges sont des offenses bien plus graves que des dessins, mais les critiques les plus sévères de la politique étrangère américaine sont également réservés quant à l'usage de la liberté fait par Charlie Hebdo.

C'est la droite américaine qui a le plus défendu la liberté d'expression du magazine ceci pour utiliser l'affaire dans une guerre idéologique visant Obama et les pays musulmans, voire les populations arabes vivant en France. L'information neutre n'existe pas, elle s'inscrit tout de suite dans des schémas narratifs et idéologiques. Fox News a profité des attentats pour répandre sa désinformation habituelle.

En France, la classe médiatique, unanime dans la condamnation des meurtres, a aussi affirmé le droit à l'irrévérence et à la caricature. Pas de respect pour les croyances ; l'attitude américaine a été dénoncée comme du « politiquement correct » même par les médias qui, en d'autres temps, avaient dénoncé l'utilisation de cette expression. On a retracé l'histoire de la caricature française ou européenne et affirmé le droit de l'art de tout dire et de tout montrer. Donc le droit à l'irrespect. Ce droit s'inscrit dans une histoire, l'histoire de France, et il est illusoire d'imaginer que les pays qui ne partagent pas cette histoire puissent soudainement partager la même conception du droit.

La gauche américaine, qui a, bien sûr, condamné les meurtres, a peu apprécié les caricatures mises en cause dans le monde musulman mais a aussi insisté sur d'autres caricatures offensantes pour les faibles et les pauvres (par exemple celle qui montre les esclaves sexuelles de Boko Haram et fait référence aux allocs qu'elles perdent). Pour elle, le respect fondamental n'est pas d'abord religieux ; il s'agit du respect pour les dominés. La gauche française a affirmé le droit à l'expression pour se moquer des religions et retrouvé son passé anticlérical, totalement absent aux Etats-Unis. En France, l'histoire de la caricature est convoquée pour déconstruire la bêtise de ceux qui s'y opposent.

Pour la presse anglo-américaine l'histoire récente est convoquée pour dénoncer le deux poids deux mesures de l'hebdomadaire et la bêtise n'est pas du même côté. L'affaire Siné de 2008, et le renvoi d'un dessinateur jugé antisémite par le magazine satirique et congédié mais exonéré par la justice, est mentionnée dans un grand nombre de médias anglophones, ou encore la publication en 2002 d'un article vantant l'ouvrage raciste d'Oriana Fallaci (article ensuite condamné par la direction de Charlie Hebdo). Pour la gauche américaine, Charlie Hebdo est surtout puéril et raciste et a une attitude différente selon les groupes. Ces arguments se retrouvent en France, mais de façon tout à fait marginale et ceux qui les défendent sont parfois soupçonnés de connivence avec les tueurs.

En Grande-Bretagne, les lois sur la liberté d'expression diffèrent de celles aussi bien des Etats-Unis que de la France et les usages face au manque de respect pour les religions sont également fort différents. L'éditeur Oxford University Press recommande aux auteurs de manuels vendus au Moyen Orient d'éviter de parler de porc(s). La presse anglo-saxonne a peu évoqué les conflits idéologiques dans les pays musulmans ou le fait que les Français d'origine algérienne ou libanaise ont vécu les attentats comme une importation des conflits qui existent au Liban ou en Algérie. Kamel Daoud est une voix qu'il faut écouter.

Si l'irrespect, qui est au centre de la caricature politique en France, n'est pas compris aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne, pays plutôt proches de la France sur le plan culturel, il est facile de comprendre que cet irrespect ne peut pas être compris dans des cultures plus éloignées souvent musulmanes mais peut-être aussi asiatiques. Les réactions furieuses et meurtrières dans certains pays ont, au plan mondial, un caractère hobbesien de guerre de tous contre tous. Dans le monde occidental, certains pays ont encore des lois contre le blasphème (d'ailleurs l'Alsace et la Moselle également). La technologie nous donne l'illusion d'une sphère de communication mondiale mais nous sommes tous façonnés par des cultures locales qui ne se dissolvent pas par le Net. Même avec le Net on peut dire, pour paraphraser Pascal, que la vérité a des sens différents des deux côtés des Pyrénées. Le Net répand l'incompréhension et l'intolérance autant que la connaissance.

Les explications fournies par les médias sur les facteurs poussant certains Français ou Occidentaux à rejoindre l'Etat Islamique et/ou à commettre des attentats terroristes insistent sur l'importance des réseaux sociaux et de la communication par Internet. Les explications minorent le rôle de la politique étrangère qui sert pourtant de caisse de résonnance aux caricatures. Le rôle de la prison est mieux étudié. La torture d'Abou Ghraib compte certainement autant que l'incompréhension des images satiriques dans la radicalisation vengeresse. Ce n'est pas la seule technologie ni la maitrise technologique de Daech qui transforment certains en terroristes. L'aliénation par rapport à la société française et des facteurs psychologiques donnent un écho aux messages d'invitation au djihad. La culture française de l'irrespect pour le sacré de la religion n'a pas pénétré tous les groupes sociaux.

Dans la défense de Charlie Hebdo en France, qui a tout naturellement débuté dans le choc et la sidération qui ont suivi les attaques terroristes, on a parfois évolué d'une défense de la liberté d'expression à une approbation totale des caricatures du magazine. Approbation étrange si l'on considère les tirages d'avant les attentats. Mais l'approbation consensuelle est précisément ce dont Charlie Hebdo se gaussait. Beaucoup de commentateurs ont noté que pour les dessinateurs humoristiques de Charlie, avoir l'honneur des cloches de Notre Dame était plutôt ironique. En dehors de France il n'y a pas eu cet effet de sidération qui explique, pour partie, les différences d'analyse.

De ce point de vue, il est heureux que le pape ait poursuivi dans sa condamnation; en n'étant pas hypocrite, il légitime la caricature moqueuse de Charlie. S'il avait imité tous les nouveaux défenseurs de l'humour à la Charlie, celui-ci aurait perdu de son mordant. Charlie encensé par l'église catholique ne serait plus Charlie! Il y a beaucoup d'hypocrisie dans les postures officielles, pas uniquement de la part des dirigeants étrangers peu respectueux des libertés qui ont défilé à Paris, mais aussi dans l'espace public en France. Il faut être Charlie pour dire non aux meurtres et à l'assassinat de la liberté, mais ensuite la liberté d'expression doit laisser chacun libre d'apprécier les caricatures, l'humour ou l'irrespect à sa façon. C'est ce que dit Riss le dessinateur de Charlie interrogé par Le Monde. La réponse à l'offense doit être une autre prise de parole, c'est d'ailleurs la position de l'ACLU. Des mots pour dire sa colère, pas des armes: c'est une tâche démocratique. Cela dépasse le cadre des caricatures et interroge les décisions et comportements guerriers.

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