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Peut-on parler de «berlusconisation» de la société italienne?

Très diminué après sa démission de la présidence du Conseil en novembre 2011, annonçant son retrait de la politique en octobre 2012 à l'approche d'une condamnation en justice pour fraude fiscale, Silvio Berlusconi n'en a pas moins conduit sa sixième campagne électorale consécutive.
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Très diminué après sa démission de la présidence du Conseil en novembre 2011, annonçant son retrait de la politique en octobre 2012 à l'approche d'une condamnation en justice pour fraude fiscale, Silvio Berlusconi n'en conduit pas moins sa sixième campagne électorale consécutive.

Sa domination sur le Parti Des Libertés (PDL) et l'ensemble du centre-droit demeure très forte tout comme sa capacité à focaliser l'attention, au point d'avoir dicté le thème qui a prévalu durant cette campagne: la question fiscale. Ses promesses mirobolantes en la matière, autant de coups censés redresser sa "cote" auprès des électeurs, et son omniprésence sur les plateaux de télévision l'ont remis au centre de la lutte politique. Vu de l'étranger, ce retour en force inopiné suscite moult incompréhensions. Comment, après tant de scandales et un bilan gouvernemental aussi désastreux, le Cavaliere peut-il encore avoir des chances de l'emporter? Revenir sur les processus sociaux qui ont fait de lui à la fois un produit et un acteur de la société italienne nous apportera des réponses. Mais, avant de s'y attarder, plusieurs précisions s'imposent.

Primo, avant d'entrer officiellement en politique en 1994, Berlusconi passait déjà depuis une dizaine d'années pour un acteur politique, la plupart des groupes parlementaires étant divisés entre pros et anti-Berlusconi, législation du secteur audiovisuel oblige.

Secundo, loin d'une décision souveraine, sa première participation à la compétition électorale fut tourmentée: dans le sillage de l'opération "Mains propres", il avait perdu ses alliés politiques (au premier rang desquels Bettino Craxi, l'ancien président du conseil et leader socialiste, exilé en Tunisie pour échapper à la prison), les cinq partis de gouvernement ayant soudain disparu sous le coup de scandales en série, les héritiers du Parti Communiste s'apprêtaient à l'emporter aux élections législatives anticipées tandis que le pool Mani Pulite enquêtait sur les liens de corruption entre des officiers de la Brigande des finances et des cadres dirigeants de ses entreprises, dont l'endettement semblait insurmontable.

Tertio, le parti qui lui permettra d'accéder au gouvernement, Forza Italia, a été fondé par les dirigeants de son agence de publicité sous la direction de Marcello Dell'Utri, son principal collaborateur. D'après une sentence de la Cour de Cassation, c'est par Dell'Utri qu'il fut mis en contact avec des chefs de Cosa Nostra dès 1974, tandis qu'un mafieux (que le magistrat Paolo Borsellino qualifiera de tête de pont du trafic de stupéfiants au Nord de l'Italie) du clan palermitain de Porta Nuova était engagé dans sa villa en qualité de palefrenier.

Loin de posséder des pouvoirs démiurgiques, le magnat évolue dans des configurations très contraignantes et mieux vaut rappeler combien sa trajectoire ascendante et son être social ont dépendu des mutations constitutives de la société italienne. Ainsi, son anticommunisme viscéral peut être vu comme un héritage du fascisme (il est né en 1936) et de la guerre froide (il adhère en 1978 à la loge maçonnique couverte P2, l'un des réseaux occultes des covert politics). Il va occuper des positions et accumuler des ressources lui permettant d'exercer à son tour une certaine influence sur la société italienne, influence faite de myriades de médiations.

Parti du secteur immobilier, il se lance dans la télévision à la fin des années 1970: ce qui est en passe de devenir la Fininvest, soit trois chaînes nationales lui assurant un quasi monopole sur l'offre télévisuelle privée, participe d'un nouveau contexte, celui de la fin des "années de plomb" et de la relance de l'économie par le "deuxième miracle", marqué par la forte croissance des secteurs de la publicité, du marketing, de la finance, de la mode, des médias et du sport, autant de domaines d'activité où ses entreprises figurent en bonne place. À travers les programmes de divertissement et un véritable déluge publicitaire (près de la moitié des spots diffusés en Europe au début des années 1990), c'est une marchandisation tous azimuts qui prend pour cible la plupart des foyers italiens, exposition dont il s'avère délicat de mesurer les effets, mais qui a pu façonner les manière d'être de plusieurs générations, dont la dernière a été nourrie aux émissions de télé-réalité (dont Berlusconi a racheté la principale société de production).

Parallèlement, l'une des tendances lourdes de l'après-guerre, la réduction des inégalités sociales et territoriales (le fossé Nord-Sud), s'estompe à partir du début des années 1990: les amnisties et autres exemptions fiscales (pour les plus riches) impulsées par les gouvernements Berlusconi ont accéléré cette inversion de tendance. En outre, l'emprise croissante des organisations mafieuses au Nord de la péninsule alimente l'affaiblissement des autorités publiques, dans un pays où l'État est de longue date réputé faible.

Ces évolutions contribuent à un changement du rapport à l'État, un rapport plus critique chez ceux qui, à droite comme à gauche, louent les vertus de la liberté d'entreprendre.

Dans ce climat de célébration de l'individualisme et du capitalisme, la chose publique (Res publica) est de plus en plus désignée comme une entrave. Faisant montre d'une grande tolérance envers l'évasion fiscale, Berlusconi incarne une politique typique des anciens gouvernements à majorité démocrate-chrétienne (dont il fut l'un des soutiens), une posture susceptible de rallier les suffrages de petits propriétaires et de travailleurs autonomes -artisans, commerçants, petits entrepreneurs- si nombreux en Italie et si prompts à évader le fisc. L'un des principaux ressorts du berlusconisme tient dans ces dispositions sociales et ces collusions. Dans la semaine précédant ce scrutin du 24-25 février 2013, 9 millions de foyers ont reçu une lettre signée Berlusconi, avec un en-tête imitant celui des autorités fiscales, expliquant la démarche à suivre pour se faire rembourser l'impôt 2012 sur le logement (80% des familles sont propriétaires). Le dernier jour de campagne, l'ex-président du Conseil va jusqu'à promettre (tentative désespérée?) de puiser dans sa fortune personnelle pour restituer ces 4 milliards d'euros de recettes fiscales. Le lendemain, il transgresse la trêve électorale en affirmant que les procureurs anti-mafia sont plus nocifs que Cosa Nostra.

Indépendamment des résultats, l'un des traits marquants de ces élections provient de la forte personnalisation de la compétition, la plupart des partis ayant centré leur campagne sur leur leader, dont le nom figure en gros sur leur symbole. Indice et vecteur de la marchandisation à l'œuvre (poids des sondages et du marketing), des adversaires déclarés de Berlusconi adoptent en partie ses façons de faire. Celui qui a le plus longtemps gouverné depuis Mussolini fait encore figure de point focal: cette berlusconisation repose sur des processus sociaux qui, et cela n'a rien de rassurant, vont donc bien au delà de sa seule personne.

Retrouvez ci-dessous les principales têtes d'affiche de ce scrutin

Pier Luigi Bersani, l'ex-communiste

Les têtes d'affiche des élections législatives en Italie

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