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Jose Navas à travers le temps (ENTREVUE)

Jose Navas à travers le temps
Courtoisie

Sa force n’est plus la même. Ses mouvements ont changé. Son corps n’a pas fini de se transformer. Mais toujours, Jose Navas continuera de danser, de projeter son cœur dans toutes les directions, de flirter avec le néant et de lover sa vulnérabilité dans les yeux des spectateurs qui le suivent depuis trois décennies. Plus que jamais conscient du temps qui passe, le danseur et chorégraphe de 50 ans célèbre la vingtaine de sa compagnie de danse Flak avec quatre solos, dont l’éblouissant Sacre du printemps.

Né au Venezuela en 1965, arrivé à Montréal en 1991 et depuis longtemps habitué aux tournées qui l’ont fait voyager dans le monde entier, le créateur est particulièrement conscient des effets du temps sur son instrument de travail.

Jose Navas

« La façon dont j’entre en relation avec mon corps s’est modifiée. Je ne suis plus en lutte avec lui. Lorsque j’ai franchi le cap de la quarantaine, beaucoup de changements étonnants se sont produits. Même si je m’entraînais et que je continuais à danser, il allait dans une nouvelle direction. Aujourd’hui, mon corps parle plus fort que moi. Il faut beaucoup d’humilité pour accepter ça. Je m’abandonne à cette nouvelle réalité et je découvre de nouvelles couleurs à ma danse. Au final, je trouve qu’il y a une beauté de chorégraphier ce corps qui change. Mon rêve est de danser jusqu’à 90 ans pour voir ce que ça va donner. »

Affirmant avoir les deux pieds dans le deuxième chapitre de sa vie, Navas s’est offert un cadeau pour souligner cette nouvelle étape : un soupçon de bienveillance. « Plus jeune, j’étais un danseur très technique qui était fasciné par la précision. Je faisais tout pour contrôler ma fluidité extrême. Mais en vieillissant, j’ai moins de possibilités qu’avant et je vois que cette fluidité est devenue une richesse. Les gens qui m’ont vu danser il y a trois ans vont retrouver le même danseur, mais ce qui me fait danser a changé : la fluidité est devenue une amie. »

Il dit aussi être plus patient avec les autres. « Avant, lorsque je chorégraphiais, j’essayais de traduire mes idées pour les reproduire à 100 %. Aujourd’hui, je suis davantage ouvert aux propositions des danseurs. Je suis plus relaxe en contexte de création. Je ressens toujours une urgence et un désir de créer, mais je suis désormais ouvert aux accidents et aux changements de dernière minute. »

Ce laisser-aller l’accompagnera certainement sur scène, alors qu’il présentera quatre solos sur de célèbres morceaux de jazz et de classique minutieusement sélectionnés.

D’abord, « Ain’t no youth » de Nina Simone. « C’est quelqu’un que j’admire depuis que je suis enfant. Sa chanson en est une de rupture, une façon pour moi de dire à mon passé que je continue mon chemin la tête haute. Comme une lettre d’amour écrite à toutes les choses que je ne suis pas arrivé à réaliser dans ma carrière. Je laisse tout ça en paix derrière moi. »

Viendra ensuite une pièce de Dvořák, durant laquelle Navas rendra hommage à Bill Douglas, qui a occupé une place toute spéciale dans son cœur pendant des années. « C’est un passage que je lui dédie, à sa mémoire et à toutes les belles choses qu’il m’a laissées. »

Puis, le Winterreise de Schubert symbolisera la fin de la vie d’un homme. « La première fois que je l’ai entendue, cette pièce m’a énormément touché. Elle parle du voyage d’un homme vers sa mortalité, un voyage que nous ferons tous. Je suis moi-même au début de l’hiver de ma vie. »

Après l’hiver viendra le Sacre du printemps, une chorégraphie qu’il a imaginée en 2013, à l’occasion des célébrations soulignant le centenaire de l’œuvre de Stravinsky, et qu’il présentera pour la première fois en Amérique du Nord.

« C’est un cadeau que je me fais, car j’ai toujours eu le désir de danser sur cette musique. Je suis tombé amoureux de la partition musicale avant tout. Plus tard, dans ma petite école de danse à Caracas, on regardait sans arrêt la version de Pina Bausch. Pour moi, c’est très significatif de dire que je danse ce ballet en solo. Il représente mon histoire, mes 30 ans passés sur scène, la vie que j’ai dédiée à la danse et tous les sacrifices que j’ai faits. D’ailleurs, c’est probablement la dernière fois que je danse quelque chose d’aussi physique. »

Placé en position de grande vulnérabilité, Jose Navas explique qu’il n’a aucune idée de l’état dans lequel il va terminer le spectacle. « En studio, devant des producteurs, ça m’est déjà arrivé de pousser mes limites si loin que je ne pouvais plus continuer… C’est ce sentiment que je cherche durant chaque représentation : je veux me dépasser. Mais ça me rend tout de même nerveux. Je ne sais pas si je vais pouvoir le terminer. »

Afin de se rassurer, le Montréalais pourra toujours miser sur son rituel d’avant-spectacle. « Quand le public entre en salle, j’essaie de méditer pour contrôler les voix dans ma tête. C’est très difficile d’arrêter de réfléchir avant de danser. Mais lorsque je trouve le silence, avant de débuter, je prononce le nom de Bill, comme je le fais chaque fois depuis son décès. C’est quelque chose qui me rassure. Comme si je dansais pour quelqu’un qui n’est pas là et que je m’offrais la permission de danser avec tout ce que je suis, sans rien à perdre. »

« Rites » sera présenté du 11 au 28 novembre à la Cinquième Salle de la Place des arts. Cliquez ici pour plus de détails.

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