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Winter Sleep, un huis-clos psychologique en Anatolie

Winter Sleep, un huis-clos psychologique en Anatolie

Dans un village perdu d'Anatolie centrale isolé par l'hiver, les passions couvent dans un petit hôtel où le riche Aydin règne en maître : c'est le décor planté par le Turc Nuri Bilge Ceylan dans "Winter Sleep", un huis-clos psychologique de plus de trois heures.

Evoquant souvent le cinéaste suédois Ingmar Bergman (1918-2007), les critiques portent aux nues le film qui figure déjà parmi les favoris pour remporter la palme d'or, récompense ultime pour un réalisateur déjà gâté à Cannes dans le passé (deux Grands prix du jury, un prix de la mise en scène...).

Pour "Winter Sleep" (Sommeil d'hiver) Ceylan installe sa caméra dans un petit village de Cappadoce dont les habitations troglodytes attirent les touristes l'été.

Mais les beaux jours sont partis et l'hôtel de Aydin, ancien acteur ayant atteint la soixantaine, est quasi-désert, le laissant seul face à sa jeune femme et sa soeur divorcée.

Le film est dominé par Aydin, interprété par Haluk Bilginer, l'un des grands acteurs turcs, connu aussi des Britanniques pour avoir tourné dans le feuilleton culte Eastenders.

Dans ce village, Aydin se voit comme un riche intellectuel éclairé, sorte de seigneur local bienveillant.

En 3h16, Ceylan va minutieusement démonter cette image auto-satisfaite.

Aydin garde les mains propres mais son régisseur fait tabasser et saisir les locataires en retard de loyer. Sa femme et sa soeur l'entourent mais c'est parce qu'il détient les cordons de la bourse et qu'elles ne savent pas où aller.

Chacune tour à tour va lui asséner ses vérités, de longues discussions filmées dans des intérieurs douillets, faiblement éclairés par quelques lampes, tandis que la neige commence à tomber.

"Grâce à toi, ma vie est totalement vide. Je vis à tes crochets au prix de ma liberté," lui dit sa jeune femme tandis que sa soeur démolit avec ardeur ses prétentions littéraires exprimées dans le journal local, "La voix de la steppe".

Connu pour ses images de paysages grandioses, Ceylan intercale les scènes intimes de grandes échappées dans la steppe où cavalent encore des chevaux sauvages.

"J'ai utilisé des dialogues très littéraires. Dans le cinéma, cela peut être risqué. J'ai essayé de voir si cela pouvait marcher", a expliqué en conférence de presse le réalisateur, disant avoir puisé son inspiration dans trois nouvelles du romancier russe Anton Tchekhov (1860 - 1904).

"Quand j'ai reçu le script, j'ai pris peur. C'était l'annuaire de New York !", a plaisanté Haluk Bilginer, qui a dû apprendre "des pages et des pages de dialogue" puisqu'il arrivait à Ceylan de tourner 20 minutes d'affilée.

Au total, il s'est retrouvé avant le montage avec 200 heures à visionner !

Ceylan a écrit le scénario avec sa femme Ebru. "L'écriture était très intense, nous avons souvent eu de sévères disputes. Mais on travaille très bien ensemble parce que je crois que nous voyons la vie de la même manière", a-t-elle dit.

"En tant que réalisateur, j'avais le dernier mot", a quand même souligné son mari.

Ceylan a refusé de s'exprimer sur les difficultés que traverse la Turquie après la catastrophe minière qui a relancé la colère contre le régime islamo-conservateur d'Ankara.

"Je ne pense pas qu'un réalisateur doive faire allusion à l'actualité de son pays. Si je veux le faire (...), je le ferai dans trois ans," a-t-il dit.

Toute l'équipe a cependant dit sa douleur devant cette catastrophe dont le bilan définitif officiel a été fixé samedi à 301 morts.

"Alors que nous sommes heureux d'être ici, c'est aussi un jour amer pour nous", a dit Nuri Bilge Ceylan.

pjl/da/phc

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