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En Turquie, la mystérieuse confrérie qui défie le Premier ministre Erdogan

En Turquie, la mystérieuse confrérie qui défie le Premier ministre Erdogan

Elle a toujours préféré l'ombre mais sa guerre avec le gouvernement l'a placée en pleine lumière. Simple organisation religieuse pour ses partisans, véritable "Etat dans l'Etat" aux yeux de ses rivaux, l'organisation de Fethullah Gülen intrigue, fascine et inquiète.

Depuis qu'il en a fait la cause des accusations de corruption qui le visent, la confrérie est la bête noire du Premier ministre Recep Tayyip Erdogan. A chacune de ses sorties, il étrille le "gang criminel" qui complote depuis l'étranger pour provoquer sa chute.

Les médias à sa main ne sont pas en reste, comme le quotidien Sabah, qui a récemment reproché aux hommes de l'imam Gülen leurs méthodes de "pédophile".

Cemal Usak balaie ces outrances d'un revers de main. "Tout cela est faux", assure le vice-président de la Fondation des journalistes et des écrivains, un porte-voix du "respecté professeur" Gülen. "Nous n'avons jamais fait et ne ferons jamais de politique".

Dans la mouvance islamique, la "Cemaat" ou "communauté" est une curiosité. A mi-chemin entre les églises évangéliques américaines pour son prosélytisme, la franc-maçonnerie occidentale pour ses réseaux d'influence.

Fondée en Turquie à la fin des années 1970, la confrérie se présente aujourd'hui comme un regroupement hétéroclite de plus d'un millier d'écoles, en Turquie et à l'étranger, de chefs d'entreprises et de puissants médias, dont le premier quotidien turc, Zaman.

A sa tête, un imam septuagénaire à la moustache blanche reclus depuis 1999 dans une propriété sécurisée de Pennsylvanie, aux Etats-Unis, d'où il dispense à ses fidèles --ils seraient "plusieurs millions"-- un islam résolument tourné vers l'Occident.

Les écoles constituent le coeur de cette nébuleuse, et notamment les "dershane", des boîtes à bac fréquentées par 60 à 70% des lycéens qui entrent à l'université.

"Ici, on ne prépare pas seulement aux examens, on prépare à la vie", précise Faruk Akdiç porte-parole du principal réseau d'écoles préparatoires "gulenistes". "Les élèves apprennent (...) la bonté, le droit universel, à ne pas être corrompu, à ne pas voler", ajoute-t-il, "ils apprennent à devenir des modèles".

Poumon financier de la confrérie, ces nombreuses écoles privées sont aussi son principal instrument d'influence en recrutant et en formant, via des bourses, ceux qui vont ensuite propager sa bonne parole dans l'appareil d'Etat.

"C'est le quatrième pilier du mouvement, celui qui inquiète le plus", souligne le chercheur Sinan Ulgen, du centre d'études Edam. "Rien n'est transparent (...) on ne sait pas qui prend ses ordres auprès de qui", ajoute-t-il, "ils ont infiltré tout le système, aussi bien dans l'exécutif que dans la justice et les forces de l'ordre".

Depuis son arrivée au pouvoir en 2002, M. Erdogan s'est appuyé sur ce réseau, issu de la même mouvance islamo-conservatrice, pour asseoir son autorité sur le pays. Jusqu'à ce que la suppression annoncée des "dershane" mette le feu aux poudres.

Fethullah Gülen a expliqué ce divorce en affirmant que la dérive autoritaire du gouvernement avait "remis en cause le progrès démocratique" dans le pays.

"Ils ont essayé d'accaparer tous les pouvoirs", renchérit le patron de la fédération des patrons gulenistes (Tuskon), Rizanur Meral, "en dehors d'eux-mêmes, ils ne supportent pas l'existence d'autres groupes, personnes ou associations".

Dans cette lutte à mort, les "fethullaci" semblent prêts à rendre coup pour coup. Par tous les moyens, même en prenant des libertés avec la légalité, ainsi que le suggère la diffusion sur internet de conversations téléphoniques piratées mettant en cause M. Erdogan, ses proches et des ministres.

En face, les révélations sur les pratiques douteuses de la communauté vont bon train. "J'ai réalisé que ce n'était pas seulement une structure destinée à nommer des conservateurs à des postes importants mais aussi pour préparer la chute du gouvernement", a raconté à la télévision un transfuge, le théologien Ahmet Keles.

Les partisans de l'imam Gülen en sont certains, cette guerre fratricide va peser sur les municipales du 30 mars. "Il y aura un impact, même s'il est encore difficile à évaluer", assure le journaliste Cemal Usak.

Sûr du soutien d'une majorité de la population, M. Erdogan n'y croit guère et a promis à son rival "américain" de lui régler son compte après le scrutin. "Nous allons les liquider", répète-t-il à ses partisans. La bataille ne fait que commencer.

pa/ia

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