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A Tchongar, une frontière bricolée à la hâte entre Russie et Ukraine

A Tchongar, une frontière bricolée à la hâte entre Russie et Ukraine

Un canon symboliquement pointé vers Kiev, quelques miliciens pro-russes désoeuvrés et une file d'automobilistes qui prennent leur mal en patience: une petite bande de terre près du village de Tchongar, au nord de la Crimée, fait désormais office de frontière russo-ukrainienne.

Plus de trente véhicules sont à l'arrêt côté russe. On en devine deux fois plus côté ukrainien. Tous, sans exception, seront fouillés par les forces criméennes, épaulés par les Berkout, ces troupes antiémeutes de la police ukrainienne qui avaient été dissoutes après les violences à Kiev, mais dont certains ont depuis prêté allégeance à la Crimée séparatiste.

La route, bordée par l'eau, est l'un des deux seuls points d'accès terrestre à la péninsule. Des pneus et des sacs de sable ont été entassés sur la chaussée.

Les improbables "douaniers" armés, cagoulés et aux uniformes curieusement dépareillés ordonnent aux conducteurs de sortir de leur véhicule. Les coffres sont ouverts, les cargaisons contrôlées avec soin.

"Tout ça, c'est très triste et ça ne sert à rien", regrette Alexandre, un Ukrainien aux cheveux grisonnants, accoudé à la fenêtre de sa Skoda noire. "Il faut enlever cette frontière, c'est tout !", clame-t-il après une demi-heure d'attente.

Plus loin dans la file, Irina, 48 ans, en t-shirt à paillettes, veut se rendre à Donetsk, dans l'est de l'Ukraine. "C'est très humiliant ce qu'on voit maintenant. Avant, on pouvait voyager librement. Maintenant, on nous enlève ça", explique-t-elle en tenant ses fausses lunettes Gucci entre ses ongles manucurés.

Cependant, favorable à Moscou, elle ne serait pas opposée un rattachement d'une partie de l'Ukraine à la Russie. Elle se reprend: "Moi, je suis prête à rester des jours entiers dans la file s'il le faut pour qu'on puisse vivre correctement !"

Les forces russes, rassemblées sous trois grandes tentes kaki, ne sont pas absentes. Mais elles restent discrètes et sans signe distinctif. Elles ont creusé une tranchée de part et d'autre de la route et un véhicule blindé pointe son canon en direction de l'Ukraine.

Sur place, il n'y a rien d'autre, ou presque. Une petite église orthodoxe, deux minuscules cafés et des abris vieillissants qui n'accueillent qu'un vendeur de poissons fumés malodorants.

Le reste des lieux est occupé par une vingtaine de membres de la milice d'auto-défense pro-russe: beaucoup de jeunes oisifs et quelques gueules cassées.

"On est là pour donner un coup de main", explique un milicien à casquette, affable et rondouillard. "Moi, je n'ai pas le droit de vérifier personnellement les coffres".

En réalité, ils ne font pas grand chose. Trois d'entre eux, en treillis et rangers, fument une cigarette, la barbe mal taillée, adossés à une vieille BMW rouge. D'autres sont affairés sur deux poêles mobiles de l'époque soviétique, dont la cheminée crache une épaisse fumée grise.

Un milicien hilare s'amuse à viser la tête d'un collègue avec sa kalachnikov. Un troisième, teint buriné, regard azur, se joint à eux en boitant. Il est ivre.

La Crimée est russe, l'euphorie est passée. L'ennui, la poussière et les chiens errants sont toujours là, même de ce côté de la frontière.

zap-lap/via/Bir

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