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Laura Alcoba: raconter la dictature argentine autrement

Laura Alcoba: raconter la dictature argentine autrement

Les auteurs argentins restent hantés par la dictature mais "une nouvelle génération interroge désormais l'humain et tend vers l'universel", dit à l'AFP la romancière Laura Alcoba, enfance clandestine et père prisonnier politique, invitée du Salon du livre de Paris où l'Argentine est à l'honneur.

Chevelure brune, silhouette gracieuse et regard pénétrant, cette Franco-Argentine juge "excessive" la polémique outre-Atlantique sur la sélection des auteurs invités à Paris, perçue comme politique par l'opposition argentine.

"Il y a une polarisation politique extrême de la société argentine. Mais ce n'est pas une liste d'écrivains +officiels+ et certains ne sont pas du tout proches du régime", assure-t-elle. Cependant, "il y a des oublis regrettables, tels Rodrigo Fresan, Eduardo Berti ou Martin Caparros, bien connus en France", ajoute Laura Alcoba, dont "Le bleu des abeilles" est paru à la rentrée chez Gallimard.

La touchante narratrice du "Bleu des abeilles" a une dizaine d'années quand elle quitte l'Argentine pour rejoindre sa mère, opposante à la dictature réfugiée en France. Son père est en prison à La Plata. Elle atterrit au Blanc-Mesnil, loin de la Tour Eiffel qu'elle s'attendait à côtoyer...

Laura Alcoba décrit une réalité très dure: le déracinement et l'enracinement dans un nouveau pays, rythmé par sa correspondance hebdomadaire avec son père emprisonné, qui lui parle sans cesse de livres, et l'apprentissage émerveillé de la langue française. "Le premier livre que j'ai lu en français, sur les conseils de mon père, c'était +Les fleurs bleues+ de Queneau. Il a changé ma vie".

"J'avais gardé dans une boîte toutes les lettres de mon père, emprisonné près de sept ans, sans jamais les relire. Je l'ai fait en 2012. Cela a été le point de départ du +Bleu des abeilles+."

L'auteure née en 1968 écrit ses romans en français: "l'espagnol est la langue dans laquelle j'ai d'abord appris à me taire. J'adore cette langue et je l'utilise dans mon travail universitaire et de traductrice, mais c'est en français que j'ai choisi d'aller gratter du côté de cette enfance silencieuse sous la dictature".

"Il reste beaucoup à dire sur la dictature. On n'en a jamais fini. C'est comme la Seconde guerre mondiale. Mais tout dépend de ce qu'on en fait. J'essaye, avec d'autres, d'en parler autrement".

"Après la junte (1976-1983), il y a eu un immense silence. Puis des livres sont apparus mais traitant du sujet de manière trop démonstrative". Une troisième étape s'ouvre, explique-t-elle, avec "une nouvelle génération qui interroge l'humain, tend vers l'universel, à partir de l'expérience de la dictature". Elle cite Leopoldo Brizuela, avec "La Nuit recommencée" (Seuil) : "persistance du Mal, comment vivre avec la terreur, jusqu'où avons-nous peur de notre propre lâcheté?"

"Cela dépasse l'histoire argentine. Ce n'est pas non plus de la littérature de la mémoire, du ressassement. D'autres jeunes voix parlent d'univers différents. Il y a aussi des auteurs qui viennent d'une Argentine plus profonde, loin de Buenos Aires, ramenant des textes plus incarnés, plus terriens, des espaces jamais explorés. Même Borges parlait d'une pampa abstraite, conceptuelle".

Laura Alcoba est arrivée à Paris à 10 ans. Elle avait rejoint l'Argentine à quelques mois, après une naissance clandestine à Cuba (enregistrée pour cette raison à Buenos Aires). Son enfance a été marquée par la clandestinité, le silence, les fausses identités, thèmes de son premier roman, "Manèges" (2007), à l'immense succès en Argentine, traduit dans de nombreuses langues.

Depuis, "mes liens avec l'Argentine, où je retourne régulièrement, se sont intensifiés. J'y suis considérée à 100% comme un écrivain argentin. Moi, je me vois comme un auteur argentin et français".

"Dans mes livres, la petite fille, c'est moi et pas moi. Je n'ai pas écrit dans une perspective autobiographique. J'ai voulu raconter mon histoire, mais aussi d'autres histoires d'enfance, en Argentine ou ailleurs. Beaucoup d'enfants d'immigrés en France, de tous pays, dit-elle, se sont reconnus dans mon dernier livre".

cha/pjl/alc/glr

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