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Dans une Chine en pleine mutation, l'inspecteur Chen a le blues

Dans une Chine en pleine mutation, l'inspecteur Chen a le blues

"Quand j'ai commencé à écrire, l'inspecteur Chen et moi étions pleins d'espoir. Il y avait les réformes en Chine, on croyait qu'on allait dans la bonne direction. Mais presque deux décennies après, l'inspecteur et moi sommes de plus en plus déçus"...

A la veille de l'ouverture à Paris du Salon du livre, l'auteur chinois Qiu Xiaolong enchaîne les interviews chez son éditeur français, Liana Levi, conséquence de son immense succès en France : ses livres traduits dans 20 pays, se sont vendus à plus d'un million d'exemplaires, dont plus de 500.000 dans le seul hexagone...

Plus politique que jamais, le neuvième roman policier de l'universitaire né à Shanghai, dont Chen Cao est le héros ("Dragon bleu, tigre blanc"), est noir, désenchanté, pour une intrigue toujours bien ancrée dans le réel. Qiu s'est inspiré du retentissant scandale de corruption, aggravé du meurtre d'un Britannique, qui précipita la chute d'une étoile de la Chine communiste et son épouse: Bo Xilai, l'ancien maire de Chongqing, et Gu Kailai.

De Bo Xilai, rencontré étudiant lors d'un match de ping pong, il a un souvenir : celui qui allait connaître une fulgurante ascension au sein du parti lui avait emprunté sa raquette "préférée". Et ne lui a jamais rendu.

Qiu, sexagénaire plein d'humour, ajoute aussitôt, plus sérieusement : "c'est tout un symbole. Symbole de ces gens qu'on appelle les +Princes rouges+. Comme si tout ce qui vous appartient était à eux. Ils le tiennent pour acquis. Ils ne traitent jamais les autres comme des égaux".

Ce sont ces oligarques, ceux qui se servent de leur "guanxi" (réseau) pour acquérir toujours plus de pouvoir ou de richesse, les corrompus, les messieurs "Gros-sous", les pollueurs que l'inspecteur Chen, poète et gourmet, traque envers et contre tout, tiraillé entre idéalisme et appartenance au parti.

Une tâche peut-être impossible semble désormais dire Qiu: dès les premières pages de son nouveau roman, tout juste paru en France, Chen sous couvert de promotion est mis au placard.

"Je ne voulais pas spécialement au départ écrire des romans policiers mais je voulais parler de la société chinoise en transition", explique-t-il.

Qiu, auteur d'une thèse sur TS Eliot, franchit le pas et crée Chen, le "policier intello" qui, comme lui, est épris de poésie et a appris seul et en cachette l'anglais pendant la période noire de la Révolution culturelle (1966-1976).

Chen est bien ancré à Shanghai, dont il assiste à la transformation accélérée, à la disparition des vieux quartiers qui bruissaient d'une vie intense, remplacés par des tours de prestige, inabordables pour le petit peuple. Il connaît encore les adresses d'inoubliables gargotes, des rares maisons de thé encore debout.

C'est le Shanghai des Shikumen (maisons traditionnelles) que Qiu dépeint aussi de façon émouvante dans deux recueils de nouvelles ("Cité" et "Nouvelles de la poussière rouge").

Qiu, lui, vit en exil. Parti pour des recherches aux Etats-Unis en 1988, il a décidé d'y rester -- devenant professeur de littérature comparée à l'université de Saint-Louis (Missouri) -- après la répression sanglante des manifestations pour la démocratie sur la place Tiananmen à Pékin, le 4 juin 1989.

Longtemps privé de retour au pays (après avoir été vu à un gala de bienfaisance pour les manifestants de Tiananmen), Qiu y va aujourd'hui une à deux fois par an.

Il y adopte un "profil bas" car il sait pertinemment que ses dénonciations des travers et excès du pouvoir lui attirent quelques inimitiés. "Parfois j'ai des mises en garde voilées d'amis".

Et il refuse désormais que ses livres -- écrits en anglais -- y soient traduits : "des lecteurs chinois sont venus me dire qu'ils n'y comprenaient rien. Alors j'ai vu qu'il manquait des paragraphes entiers". Des livres expurgés, qui ne se passaient même pas à Shanghai mais dans une "H city", des chutes modifiées: Qiu a jeté l'éponge...

Et Chen, quel avenir ? Qiu ne se prononce pas...

jg/pjl/alc/abl

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